Enquête

Le blues des étudiants de psycho : "Dès la rentrée, c’est assez flippant"

Fille triste harcèlement
À la fac, plus les effectifs sont élevés, plus on peut se sentir seul. © plainpicture/Gallery Stock/Armando Ferrari
Par Paul Conge, publié le 12 octobre 2016
1 min

Cours ardus, salles bondées, manque de matériel... Face aux problèmes qui s’accumulent dans leur filière, les étudiants en psychologie ne sont guère rassurés. Malgré tout, ils tiennent le choc pour se préparer aux réalités de leur métier.

Sur les bancs des UFR de psychologie, on a connu des jours meilleurs. Amphis pleins à craquer, groupes de TD surbookés... et des étudiants qui ont le cafard. "Dès la rentrée, les intervenants nous ont dit qu'on était trop nombreux. Qu'ils ne savaient pas s'ils allaient pouvoir faire classe à tout le monde, ou si on aurait accès à tous les cours, se rappelle Manon, en licence 3 de psychologie à l'université de Brest. Entendre cela le premier jour, c'est assez flippant." Après deux ans passés dans une fac privée, moins surchargée, la jeune femme de 20 ans tombe des nues : "Les personnels ont réussi à s'organiser après un mois de tâtonnement, mais les étudiants restent trop nombreux. L'impression générale, c'est que c'est chaotique..."

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Brest n'est pas un cas isolé. À Caen par exemple, l'UFR accueille 250 étudiants en licence 3 en 2016-2017, c'est-à-dire 70 de plus que l'année précédente. "Résultat, on est un peu plus serrés dans les groupes de TD. Mais c'est vrai que je connais ça depuis le début de ma licence", admet Célia, 21 ans, présidente de l'association des étudiants en psycho, qui néanmoins reste "contente" de sa filière.

Trop d'étudiants, pas assez de stages

Ce trop-plein se répercute pourtant sur les expériences professionnelles, obligatoires pour ces futurs spécialistes de la synapse. Célia ne l'ignore pas : "Pour les stages, on devient trop nombreux par rapport aux offres. La plupart des structures et des institutions ont des places limitées et ne peuvent pas accueillir tout le monde." Ce qui peut remettre en question la validation d'une année d'études. Pour beaucoup, c'est là un motif de déprime. 

Et dans l'université normande, on manque de moyens matériels. "Cela peut être agaçant, poursuit Célia. Parfois, on a besoin de matériel expérimental et il n'y en a pas, ou très peu. Pour faire nos expériences, comme le test de la Tour de Londres [des patients doivent reproduire avec des bâtons en bois et des perles, l'objet qu'a monté l'expérimentateur] on n'a que 5 kits... pour 40 étudiants."

Des prises de conscience tardives

La psychologie est-elle victime de son succès ? Attractive pour de nombreux élèves de terminale, dont beaucoup espèrent apprendre à percer les cloisons mentales, la filière démoralise souvent les étudiants dès les premières heures. "Il y a un réel manque d'information sur cette licence, diagnostique Juliane Martin, présidente de la Fenépsy (Fédération nationale des étudiants en psychologie). Les bacheliers arrivent en psycho sans savoir qu'il s'agit d'une matière scientifique, avec de la neurobiologie, des statistiques, des sciences cognitives... De fait, il y a de l'appréhension en arrivant juste après le bac. L'étudiant est confronté à la dureté de la filière sur le plan universitaire, mais aussi sur le plan émotionnel, car cela demande beaucoup d'empathie."

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Noyé dans une marée d'étudiants, le primo-arrivant "va se sentir perdu dans la masse, déstabilisé par les cours qu'on lui propose, sans aucune idée de ce qui l'attend", résume à son tour Pierre Durand, vice-président de la Fenépsy. Lui-même en L3 à l'université Paris-Descartes, il décrit une formation "sacrifiée" et réclame aussi "plus d'orientation avant le bac".

Les enseignants en grève

L'université Toulouse Jean-Jaurès fait les frais de ces complications. En 2016, la fac, qui ne limite pas le nombre d'inscrits en psychologie, enregistre un afflux supplémentaire de plus de 500 étudiants par rapport à l'année précédente. "Les bacheliers recalés à Bordeaux, Aix ou Montpellier, à cause des contingentements en licence, s'inscrivent tous dans la Ville rose. Ce qui fait exploser les conditions d'études, qui ne sont absolument pas satisfaisantes", commente Juliane Martin.

Pour protester contre ces filières bondées, les enseignants-chercheurs ont planté le piquet de grève du 20 septembre au 10 octobre 2016. Largement soutenus par leurs étudiants, ils ont dénoncé le manque de moyens et la réduction de plus de 100 heures d'enseignement en présentiel en L3 et M1, et 150 heures en M2. Finalement, ils ont obtenu un volume d’heures supplémentaires, et la création de deux postes administratifs. 

"De l'irrespect" envers les étudiants en psycho

Mais les difficultés n'avaient pas attendu la rentrée pour se manifester. Le 29 août 2016, les 1.228 étudiants qui prennent leur cours à distance à l'université de Reims ont tous reçu une mauvaise surprise dans leur boîte mail. Un courriel lapidaire de six lignes, leur annonçant que la formation à distance était tout bonnement "supprimée", faute de ressources. Aux étudiants, il était conseillé de se rediriger vers les bancs de Toulouse, ou Bordeaux, toutes déjà débordées. Pierre Durand déplore cet "irrespect". "C'est une démission des pouvoirs publics sur la psychologie", clame-t-il. Selon lui, les futurs psys "tiennent le coup, s'accrochent et travaillent" malgré ces déboires. En fac de psycho, seuls 41 % des étudiants de première année sont reçus en licence 2. 

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