En STAPS, les universités peinent à s’adapter aux étudiants handicapés
Les universités ont encore du chemin à faire pour mieux accompagner les étudiants en situation de handicap. Une problématique particulièrement visible en sciences et techniques des activités physiques et sportives. Témoignages.
Les jeunes en situation de handicap accèdent-ils aux études supérieures au même titre que les autres ? En 2022-2023, 59.000 étudiants accompagnés par une mission handicap ont été recensés dans l'enseignement supérieur public et privé, soit 2% des effectifs étudiants, selon les chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur. Près de 83% d'entre eux sont inscrits dans une formation universitaire.
S'il y a du progrès, nous sommes encore loin du compte. Une problématique d'autant plus présente en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), qui nécessite des aménagements particuliers pour la pratique physique.
"Ce n'était pas le projet que je voulais"
Lucie est en fauteuil roulant à cause d'une paralysie cérébrale. L'étudiante a réalisé sa première année de licence STAPS à l'université de Nantes (44). "Dès le début de l'année, on m'a orientée vers la filière APAS (activités physiques adaptées). Or, ce n'est pas parce que je suis handicapée que je veux côtoyer des personnes handicapées tout au long de ma vie ! Ça m'a dégoûtée, car ce n'était pas le projet que je voulais", témoigne Lucie.
Pour Guillaume Bodet, président de la C3D STAPS , cette situation n'est pas représentative. "Ce n’est pas normal et ce n’est pas notre vision des choses. Nous formons des publics en situation de handicap, il est naturel que nous soyons les premiers à l'appliquer", réagit-il.
En raison de l’autonomie des universités, l’accueil des étudiants en situation de handicap diffère en effet selon les établissements, et même selon les disciplines. La problématique de l'accessibilité est par ailleurs liée au manque de ressources des universités, qui n'ont souvent pas le budget nécessaire pour adapter les équipements sportifs.
Des difficultés dans l'apprentissage
Si Lucie a bénéficié d'un aménagement avec un tiers temps lors des examens, les cours étaient difficilement accessibles. "C'est compliqué dans les amphithéâtres, car il y a des marches. Tout en bas, ce n'est pas facile de tourner avec un fauteuil, ni de s'installer, et les tables sont très petites. Et tout en haut, on ne voit pas le tableau", raconte Lucie.
Les étudiants en situation de handicap peuvent être accompagnés par un preneur de notes. Mais malgré la demande du relais handicap, aucun accompagnant n'a été trouvé. Lucie a par conséquent demandé aux professeurs de lui envoyer les cours par mail… et a essuyé un refus. "Ils ont invoqué une question de sécurité, ce que je peux comprendre. Mais j'étais embêtée, car je ne pouvais pas apprendre correctement mes cours", souffle-t-elle.
La filière STAPS comprend par ailleurs de nombreux cours de pratique physique. Si certaines étaient adaptées au handicap de Lucie, elle ne pouvait pas accéder à certains sports, comme le judo. Elle était donc envoyée dans une classe de deuxième année. "Forcément, quand on va dans une autre classe que la nôtre, ça ne favorise pas la cohésion avec les camarades de la classe", regrette Lucie.
Pour la jeune femme, il y a encore beaucoup de travail pour faire tomber les barrières liées au handicap. La formation des professeurs pour inclure les étudiants handicapés et adapter leurs cours est encore trop peu généralisée. "Certains profs me regardaient de la tête aux pieds avant de lancer : "On parlera de votre cas plus tard. Là, je vais m'occuper des élèves". On est comme mis de côté", se souvient-elle.
Une réorientation contrainte
Après une année de cours, elle a finalement dû abandonner sa formation. "À la fin de ma première année, on m'a annoncé que les mentions entrainement et éducation n'étaient pas accessibles, car il y a des épreuves physiques que je ne peux pas passer", se souvient-elle.
Elle décide alors de se réorienter en médecine, où elle bénéficiera de plus de possibilités. Elle change également de lieu d'études, afin de rejoindre l'université d'Angers (49).
L'étudiante est alors mieux accompagnée. Le relais handicap a trouvé un étudiant pour l'aider à prendre ses cours, ce qui n'avait pas été le cas dans son précédent établissement. Les professeurs dictent par ailleurs plus lentement le cours qu'en STAPS, où les étudiants abordaient trois chapitres en une heure et demie.
De l'écoute et de l'accompagnement
Diego, étudiant sourd en STAPS à l’université Paris Nanterre (92), s'estime quant à lui chanceux. Il est en troisième année, mention entraînement sportif. "L'université a mis ses ressources et moyens pour améliorer l'accessibilité et mes conditions d'études", assure le jeune homme.
Pour lui, la pratique sportive est la même que pour les autres étudiants. "Seule la communication est différente : l'écrit, la démonstration, le mime", explique Diego. Les pratiques sportives sont au contraire pour lui une façon de mieux s'intégrer à la classe et de faire des connaissances.
Ses études n'ont pourtant pas été sans embûches, il a d'ailleurs été contraint de redoubler deux fois sa deuxième année de licence. En cinq ans, il a connu "des montagnes russes", raconte-t-il : "Le prestataire en partenariat avec l'université a fermé, je n'avais plus d’interprète durant environ trois ans. Heureusement, depuis l'année dernière, l’université a fait tous les efforts pour m'aider au maximum".
L’établissement a par exemple développé la vélotypie et la transcription. Diego bénéficie par ailleurs d’un étudiant qui prend ses notes et à des interprètes en langue des signes, cinq à six heures par semaine. Pour lui, l’écoute et l’accompagnement de l’université ont été cruciaux. "Cela me permet de tenir et de garder la motivation", confie-t-il.
Pour améliorer la prise en charge des étudiants en situation de handicap, il rejoint Lucie quant à la nécessité de former des référents handicap. Mais le nerf de la guerre pour mieux accompagner ces étudiants réside dans des moyens financiers importants. Un besoin qui a peu de chances d’être satisfait, alors que le déficit des universités se creuse.