Reportage

La grève des fonctionnaires vue de la fac : "Il n'y a pas assez de moyens pour nous"

À l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, étudiants, personnels et enseignants se sont mobilisés conjointement.
À l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, étudiants, personnels et enseignants se sont mobilisés conjointement. © Catherine de Coppet
Par Catherine de Coppet, publié le 10 octobre 2017
7 min

Mardi 10 octobre 2017, jour de mobilisation nationale de la fonction publique, notamment dans l'éducation. L'UNEF et Solidaires Etudiants ont appelé les étudiants à descendre dans la rue, notamment pour dénoncer l'impact sur la jeunesse du "délaissement de nombreux services publics". Reportage, avant la manif, sur le campus de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où se tenait une assemblée générale.

"Ici, quand on n'est pas soi-même concerné, on connaît tous au moins quelqu'un qui a eu un problème depuis la rentrée : trop de monde en cours, TD annulés, problèmes de bourses ou administratifs..." Cantien, 23 ans, en master 1 d'économie, est sur le campus de Tolbiac de l'université Paris 1 depuis tôt ce matin pour tracter. Responsable des problèmes individuels, à la délégation UNEF (Union nationale des étudiants de France) de Paris 1, il espère que ses camarades vont se mobiliser et venir à l'assemblée générale, prévue à 11 h. À côté de ceux du syndicat, ce sont quelques militants du NPA Jeunes qui arpentent le campus pour rassembler les étudiants.

"Cela fait plusieurs semaines qu'on prépare cette journée, explique Jaspal, présidente de la délégation UNEF. Nous souhaitons dénoncer la précarisation de tout l'ESR (l'enseignement supérieur et la recherche). Ici, à Paris 1, 80 étudiants en L1 d'histoire ont été contraints de s'inscrire en contrôle terminal faute de TD. Et en éco, des TD de statistique ont été supprimés faute d'enseignants ! Nous sommes mobilisés au côté des personnels." De fait, ce mardi 10 octobre 2017, plusieurs organisations de l'université Paris 1 ont appelé ensemble à manifester : l'UNEF donc, mais aussi la CGT-FERC, Sud Education, la FSU et le Collectif des doctorants mobilisés, créé en 2016.

"Cela fait cinq ans que j'enseigne comme chargé de cours, explique Vincent, doctorant en philosophie. L'administration inscrit plus d'étudiants que les salles ne peuvent en supporter. Elle mise sur les absences pour que les conditions de sécurité soient respectées. Or, depuis cette année, les capacités sont dépassées même si on compte sur les absences... Les conditions pour les étudiants comme pour les enseignants sont devenues désastreuses !"

"Je ne veux pas commencer à louper des TD !"

À quelques pas de là, sur les marches bétonnées qui encadrent l'entrée du campus, trois étudiants de L1 en histoire et histoire de l'art discutent. "On soutient le mouvement, mais on ne va pas se mobiliser, on s'informe, c'est tout. Étudiant, enseignant ou personnel, il n'y a pas assez de moyens pour nous !", explique Corentin, 18 ans, qui a entendu parler de l'AG (assemblée générale) par un ami "plus engagé". "Je travaille en plus de mes études. Je ne veux pas commencer à louper des TD et me mettre en difficulté", ajoute Lydia, 18 ans. Mais j'ai peur des conséquences des ordonnances (réformant le code du travail, NDLR) sur notre avenir."

Corentin, Lydia et Bryce, en L1 d'histoire et histoire de l'art, n'iront pas manifester.
Corentin, Lydia et Bryce, en L1 d'histoire et histoire de l'art, n'iront pas manifester. © Catherine de Coppet

Ceux qui n'ont pas l'intention d'assister à l'assemblée générale font tous plus ou moins le même constat : l'université manque de moyens ! À l'instar de Florent, 18 ans, en L2 d'économie, qui a son idée personnelle de la façon dont il souhaite s'engager : "Je soutiens clairement nos enseignants grévistes, mais je n'aime pas les méthodes de l'UNEF, ni ces AG qui mettent la foire. Je préfère agir dans mon engagement associatif, au sein des conseils d'UFR (unités de formation et de recherche)."

Appel à former des AG lycéens-étudiants-doctorants

Il est 11 h 25. L'assemblée générale commence dans l'amphi N, au rez-de-chaussée du bâtiment. Malgré les efforts, un peu moins d'une centaine de personnes seulement son présentes, dont beaucoup de militants et sympathisants syndicaux ou politiques. Certains le mettent sur le compte de l'absence des enseignants pour cause de grève, qui aurait fait fuir les étudiants. D'autres indiquent qu'il est toujours difficile de mobiliser en début d'année... notamment quand les étudiants ont peur de perdre leur place en TD, quand ils sont surchargés !

Auréa, timide et regard dans le vague, s'est assise en bout de rang, seule : "Je suis venue pour me renseigner... Je ne suis pas sûre de manifester ! Les conséquences de la loi Travail XXL, ce n'est pas pour tout de suite, mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a beaucoup trop de monde à la fac !"

À la tribune, UNEF et NPA jeunes organisent les tours de parole : trois minutes chacun, avec, à la fin, soumission au vote des propositions qui auront émergé. Au fur et à mesure des interventions, les sujets, variés, s'enchaînent : trouver de nouvelles façons de mobiliser, appeler à "politiser chacun au moins une personne", prévoir des AG réunissant lycéens, étudiants et doctorants ; interpeller sur les conditions de travail des personnels, et même élaborer une motion de soutien aux étudiants de Catalogne...

L'UNEF mise en cause

"Si le président de Paris 1 s'indigne véritablement du manque de moyens, il faut lui demander de ne pas pénaliser les absences pour participation à des AG ou à des manifs", propose un doctorant. "Nous sommes le sous-prolétariat de la fonction publique, pointe un membre du personnel. Il faut que nous prônions l'unité des mouvements !"

Vers 12 h 15, c'est la question du défilé du jour qui s'impose dans les prises de parole. L'UNEF se voit reprocher par certains l'action de sa présidente, Lilâ Le Bas, considérée comme trop conciliante à l'égard du pouvoir. "Ce n'est pas à l'Élysée que nous pouvons obtenir quoi que ce soit", s'emporte une militante du NPA Jeunes, très applaudie. Nous appelons à un cortège auto-organisé, près du carré de tête, avec les autres universités. Nous ne voulons pas défiler derrière le camion de l'UNEF. Ils ne négocient pas au nom de tous les étudiants !"

Sur le campus de Tolbiac, les militants Unef mobilisent pour l'AG et la manifestation.
Sur le campus de Tolbiac, les militants Unef mobilisent pour l'AG et la manifestation. © Catherine de Coppet

S'engage alors un jeu de ping-pong. "Ne tapez pas trop sur l'UNEF, ce sont eux qui font le boulot de terrain ici, venez plutôt les aider. Ils passent des coups de fils jusqu'à 23 h pour mobiliser", résume Walid. "L'enjeu est bien de partir ensemble à la manif", insiste une doctorante de Sud Education. "Plutôt que d'entrer dans des guerres d'organisation, il faut se concentrer sur la lutte", indique Thomas, du NPA Jeunes.

Manifester, avec ou sans étiquette !

À l'issue de l'AG, plusieurs propositions sont votées comme la réunion d'un "comité de mobilisation" chargé d'organiser plusieurs actions proposées. Et c'est finalement la décision de défiler avec les autres universités, et non derrière l'UNEF et les organisations de jeunesse, qui emporte l'adhésion.

La déception est visible chez Jaspal, qui n'a pas réussi à mobiliser sur son point de vue : "Le camion unitaire représente tous les signataires de l'appel intersyndical au niveau national, dont le NPA Jeunes, j'ai du mal à comprendre", confie-t-elle. C'est dommage qu'il y ait deux cortèges !"

À la sortie, Antoine, en L2 d'histoire-sciences politiques, garde une certaine distance : "L'AG me permet de me familiariser avec les codes du militantisme, mais je ne suis encarté nulle part et je pensais aller manifester de toute façon. La rentabilité à tout crin, prônée par le gouvernement, me révolte !" Sait-il derrière quelle bannière il défilera cet après-midi ? Je me mettrai là où je me sens le mieux, je verrai avec mes amis au dernier moment !"

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