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Reportage

Au cœur de Sciences po Paris : à l'école du débat

Sciences po Paris // © Myr Muratet pour l'Etudiant
Dans l’amphi Émile-Boutmy, face aux étudiants, se succèdent des personnalités du monde politique ou des spécialistes reconnus dans leur domaine de compétence. © Myr Muratet pour l'Étudiant
Par Marie-Anne Nourry, publié le 15 juin 2015
1 min

Niché au cœur d’un quartier huppé de Paris, Sciences po a vu défiler des générations d’étudiants brillants. À l’ère de l’internationalisation, l’école continue de former les élites de l’État, mais pas seulement. Avec une même constante : une entrée hypersélective.

Quelque 100 mètres après le Café de Flore, il faut emprunter la discrète rue Saint-Guillaume pour se rendre dans les locaux de Sciences po. Au numéro 27, le mythique institut d'études politiques occupe un immeuble à la façade typiquement parisienne. Trois portes, encadrées de grilles noires, permettent d'accéder à la fabrique des élites. Pas de contrôle à l'entrée, mais les appariteurs de la maison surveillent les allées et venues.

Dans le hall, surnommé la "Péniche" à cause de son long banc central, les étudiants fourmillent. Lieu de passage, de rendez-vous ou de travail, il voit à longueur de journée défiler la faune des "sciencespistes". Lunettes carrées, manteau long, chemise impeccable, l'élégance est de mise. "On fait attention à notre apparence, on s'observe, c'est ça, l'école de la politique", glisse une étudiante. Assise sur le banc, Ana, en première année, se sent déjà comme un poisson dans l'eau. "On est 700 par promo, donc on ne peut pas connaître tout le monde, mais j'aime ce foisonnement."

Sur la gauche, quelques associations occupent des tables. À tour de rôle, elles tiennent permanence auprès des étudiants. Ana est elle-même engagée dans l'association Politiqu'elles, qui promeut la place des femmes en politique. "C'est une asso féministe, mais pas extrémiste", précise-t-elle. Avec les autres étudiants engagés dans la vie de l'école, elle forme ainsi un "noyau dur" garant de l'esprit Sciences po au-delà des murs.

Des "professeurs" stars

À l'autre bout du hall, les portes de l'amphi Boutmy, du nom du fondateur de l'institut parisien, Émile Boutmy, se referment. L'auditorium de 500 places est plein à craquer et le cliquetis des touches d'ordinateur accompagne sans tarder la voix de Pap Ndiaye, spécialiste de l'Amérique du Nord. "C'est un cours de deuxième année sur l'histoire des empires au XXe siècle", chuchote une étudiante. Quelques-uns flânent sur Facebook, d'autres bavardent discrètement, mais l'ambiance reste studieuse.

Outre les matières fondamentales du programme, le Boutmy accueille aussi ponctuellement les conférenciers les plus illustres. Laurent Fabius, Mario Monti ou encore Karl Lagerfeld se sont déjà succédé sur l'estrade. Un point fort de l'institut. Le dernier "prof" star en date est Jean-François Copé. L'ancien président de l'UMP, promotion 1987, donne un cours de gouvernance tous les vendredis matin à un petit groupe d'élèves.

À la fin du cours magistral, certains se pressent vers la bibliothèque dans l'espoir de trouver une place libre. D'autres descendent à la cafétéria, un étage plus bas, où le brouhaha couvre les conversations. Au fond de la grande salle au style industriel, dans le local de l'association sportive, Jules bavarde avec ses camarades, l'ordinateur sur les genoux. Le Troyen, en deuxième année, aurait préféré effectuer son premier cycle dans un campus délocalisé en région, mais il a obtenu Paris par défaut. "L'ambiance en province me paraissait plus sympa car les effectifs sont plus petits, mais je me suis finalement fait de très bons amis dans ma triplette [petite classe pour les trois matières principales, en première année, NDLR]." En 2014, un peu plus de la moitié des admis ont été affectés dans l'un des six campus régionaux de Sciences po [sept IEP en 2018, NDLR], qui arborent chacun une couleur internationale : Amérique du Nord à Reims (51), Asie au Havre (76) ou encore Moyen-Orient à Menton (06). Les étudiants se retrouvent ensuite tous à Paris pour le cycle master.

Mention très bien pour tout le monde

Assise près de la porte vitrée donnant sur le jardin de l'institut, Camille, étudiante en deuxième année originaire d'Angoulême (16), raconte, dans un éclat de rire, son premier jour à Paris : "Les étudiants sont brillants et débattent de tout ce qui touche à l'actu. J'avoue que j'étais fatiguée à la fin du premier verre au Basile !" Le café situé à l'angle de la rue Saint-Guillaume et de la rue de Grenelle est le QG des sciencespistes depuis des générations.

Malgré sa mention très bien au bac, "comme quasiment tout le monde", Camille se présente sans complexe comme un cancre : "Je n'ai eu que 16 de moyenne", indique-t-elle. En plus des vingt heures de cours hebdomadaires, elle se fixe comme objectif de travailler une à deux heures par jour. "C'est le minimum syndical mais, en période de galop (examens mi-semestre), je suis capable de rester en bibli jusqu'à 23 heures." Car, si une fois admis à Sciences po le plus dur est fait, il n'est pas question pour autant de relâcher les efforts, comme c'est parfois le cas en école de commerce.

" Quand on va en cours, on se sent comme si on allait à un entretien professionnel "

Pour suivre un double cursus en philosophie avec l'université Paris 1 — Panthéon-Sorbonne durant le premier cycle d'études, François a ainsi dû mettre les bouchées doubles. "Après avoir été admis à Sciences po, j'ai passé un oral de motivation très sélectif pour intégrer le dispositif. Mes camarades de double cursus avaient tous obtenu au moins 18 au bac." Les semaines des cumulards se répartissent entre la rue Saint-Guillaume et la Porte de Clignancourt. "Le programme est char­gé, on a une trentaine d'heures de cours, mais cette ouverture sur une humanité en plus d'un cursus généraliste est une expérience intellectuelle hyperenrichissante."

Un solide esprit critique

Ouvrir l'esprit des étudiants figure parmi les missions de la grande école. En première et deuxième année, un enseignement artistique obligatoire vise ainsi à les sensibiliser au monde contemporain par une voie différente de celle des sciences so­ciales. Au menu : art oratoire, écriture ou encore chorégraphie. "Bannissez les expressions "on voit que", "on a l'impression", osez le 'je' dans vos commentaires", conseille Ferrante Ferranti, un photographe professionnel qui anime un atelier de décryptage de photographies pour une quinzaine d'étudiants de première année. Des petites rires fusent dans la classe. Les bons élèves formés au plan en deux parties sont un peu pris au dépourvu par cette invitation. "Je veux sortir du formatage, je veux que les élèves puissent livrer leurs qualités humaines au-delà de leur mention au bac, indique l'intervenant en aparté. Si demain ils répondent à une offre d'emploi, est-ce que le recruteur va vouloir lire 18 fois la même chose ?" Une réflexion qui devrait prendre toute son importance à l'entrée en master, quand l'orientation professionnelle devient centrale.

Les ateliers artistiques ont vocation à aiguiser le sens critique des "sciencespistes". Par exemple à travers un cours d'analyse du langage photographique.// © Myr Muratet pour l'Etudiant

De retour dans la Péniche, un cercle d'étudiants converse en anglais. Barbes fournies, bonnets et sacs à dos Herschel, tous arborent le look hipster. Parmi eux, Nathan, originaire de Belfast, en Irlande du Nord, effectue justement son master à Sciences po en vue de mener à bien son projet professionnel : "Je veux travailler dans la communication pour les partis politiques de mon pays." Le jeune homme apprécie les nombreux liens de l'institution avec les entreprises. "Quand on va en cours, on se sent comme si on allait à un entretien professionnel. C'est facile de réseauter ici, et j'ai déjà pris le réflexe de recommander des amis pour des postes", assure-t-il.

Les domaines d'exercice à la sortie de Sciences po sont nombreux. Si une majorité d'étudiants s'insèrent désormais dans le secteur privé pour devenir consultants, auditeurs financiers ou juristes, nombreux sont encore ceux qui tentent les concours de la fonction publique. C'est le cas de deux jeunes hommes en chemise blanche et veste noire, assis sur le banc central, qui attendent le début d'un cours de la prépa ENA (École nationale d'administration). Quant à François, inscrit en master Economics and Business après le double cursus en philosophie, il a créé la start-up ClicknSign, une plate-forme de mobilisation citoyenne. Et ce n'est qu'un échantillon des nombreux débouchés à la sortie du célèbre institut !

Une formation généraliste
L'examen d'entrée est ouvert aux terminales. La phase d'admissibilité, en février, consiste en l'évaluation du dossier de candidature et de trois épreuves écrites (histoire, option au choix et langue)

Elle est suivie par un oral d'admission, en juin. À noter : 10 % des dossiers sont directement admissibles. Les trois premières années se font au "collège universitaire", sur sept campus : Paris, Dijon (21), Le Havre (76), Menton (06), Nancy (54), Poitiers (86) et Reims (51). La troisième année se déroule à l'étranger.

Le cycle master s'effectue à Paris, dans l'une des écoles spécialisées de l'institut : l'école de communication, l'école de journalisme, l'école de droit et PSIA (école d'affaires internationales). Un examen d'entrée est ouvert aux étudiants titulaires d'une licence. Le montant des droits d'inscription diffère selon les revenus des parents : au collège universitaire, il varie de 0 à 10.040 € ; en master, il oscille entre 0 à 13.820 €.

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