Reportage

Sciences po : 15 ans après, que sont devenus les étudiants "conventions ZEP" ?

Edward Luu, élève à Sciences po, se rend les samedis dans des lycées pour aider les futurs candidats.
Edward Luu, élève à Sciences po, se rend les samedis dans des lycées pour aider les futurs candidats. © Sciences po, Thomas Arrivé
publié le 14 décembre 2016
1 min

Mardi 13 décembre 2016, Sciences po célébrait les 15 ans des conventions éducation prioritaire. D’anciens élèves sont venus témoigner de leur parcours. L'occasion pour Frédéric Mion, le directeur de Sciences po, d'annoncer la naissance d'un nouveau programme destiné aux lycéens boursiers.

C’est dans une joyeuse ambiance de retrouvailles, entre exclamations de joie et embrassades, qu’a débuté la soirée célébrant les 15 ans d’égalité des chances à Sciences po Paris, mardi 13 décembre 2016. Difficile, pourtant, de reconnaître les visages dans l’amphithéâtre Émile-Boutmy plongé dans la pénombre, éclairé seulement par quelques spots rouges. “C’est quoi cette lumière de cabaret ?!” s’exclame une étudiante en entrant dans l’amphi déjà plein à craquer.

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Pas de “golden ticket”

Le maître de cérémonie, en smoking et nœud papillon, est Hakim Hallouch, responsable Parcours et diversité de l’établissement mais aussi l’un des 17 premiers bacheliers venus de ZEP (zone d’éducation prioritaire) a avoir franchi les portes de Sciences po lors de l’ouverture des CEP (conventions d’éducation prioritaire), en 2001. À l’époque, Najat Vallaud-Belkacem étudiait entre ces murs. “J’ai été marquée par les réactions outrancières qui ont accompagné l’ouverture de ce programme d’égalité des chances, alors qu’il était juste et nécessaire”, se souvient la ministre de l'Éducation nationale.

En 2016, ce sont 163 candidats, soit un quart des 650 admis, qui sont entrés par cette voie. En arrivant ce soir-là à l'institut d'études politiques, Najat Vallaud-Belkacem s’attendait – avec beaucoup d'ironie – “à trouver un champ de ruines”. Sciences po a intégré, au cours des 15 dernières années, pas moins de 1.611 élèves venant de zones d’éducation prioritaire : "Les murs devraient être réduits en poussière, si l'on en croit les détracteurs de l'époque" a-t-elle poursuivi. Et de rappeler que ces étudiants ne sont pas les détenteurs d’un “golden ticket”, comme dans le film "Charlie et la chocolaterie", mais qu’ils passent des épreuves de sélection.

“Plus de travail que pour préparer le bac”

Des épreuves loin d’être un cadeau ! Pierre, 18 ans, en première année du Collège universitaire, peut en témoigner. “Il faut préparer une revue de presse sur un sujet d’actualité”, explique ce titulaire d’un bac S. L'étudiant a suivi des ateliers Sciences po en classe de première, comme 11.000 de ses camarades depuis l’instauration du programme CEP. “J’ai choisi la loi Renseignement, qui réunissait deux domaines que j'aime bien : la politique et les technologies du numérique. Cela représente beaucoup de travail. Plus que de préparer le bac !”, se remémore l’ancien élève du lycée Prieur-de-la-Côte-d’Or d’Auxonne (21), l’un des 106 lycées partenaires de Sciences po.

Les élèves passent un oral d’admissibilité dans leur lycée, où ils présentent leur revue de presse devant un jury. Celui-ci se compose du proviseur, d’un ou deux enseignants, et parfois d'un journaliste ou d'un autre professionnel. Les candidats qui réussissent cette épreuve passent un second oral, cette fois à Sciences po. “Pour s’y préparer, il faut lire les journaux, affûter ses arguments de motivation et appréhender les questions que l’on peut nous poser”, détaille Pierre. Issu de la voie CEP, et même s'il n'a décroché "qu'une" mention bien au bac (“ce qui n’est pas très bon, pour Sciences po !”), Pierre certifie qu’il ne rencontre pas de difficultés particulières en première année.

Un constat que confirme l’IEP : “Ces élèves obtiennent des résultats académiques comparables aux étudiants entrés par d'autres procédures d'admission.”

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6/20 de moyenne en maths

Ce soir-là, ils sont plusieurs à monter sur l’estrade pour en attester. Sami Keilany, élève de deuxième année originaire de Gennevilliers (92), avait 6/20 de moyenne en maths au lycée, en première. “Je n’avais plus d’espoir. J’aurais pu tout arrêter comme d’autres de mes amis. Mais c’est une rencontre qui a tout changé : une prof de français m’a encouragé à venir aux ateliers.” 

En terminale, le lycéen passe "des nuits à préparer [sa] revue de presse, prenant le risque de rater [son] bac pour une école [qu’il] ne connaissait pas”. La première personne à apprendre son admission est sa mère. “Elle m’a serré dans ses bras. Puis elle m’a demandé : “Mais c’est quoi, Sciences po ?” !”

Des carrières qui font rêver

Quelques-uns des 642 diplômés passés par les CEP ont déjà des débuts de carrière qui font rêver. Fatoumata Sow, lycéenne de Colombes (92) entrée à Sciences po en 2006, est aujourd’hui collaboratrice du président de l’Assemblée nationale. Pablo Ahumada, 25 ans, est diplomate. “J’ai passé sept années à Sciences po et je n’ai jamais eu à me justifier d’être entré par une CEP”. 

Nicolas Vinci, venu du lycée Jean-Victor-Poncelet de Saint-Avold (57) en 2005, a décroché l'agrégation d’histoire et vient de terminer une mission sur le Panthéon. Il remercie l’institution de lui avoir appris le “bilinguisme social”, c’est-à-dire de pouvoir comprendre les codes des élites sans en être issu. Sans oublier Rémy Dick, 22 ans, en deuxième année de master de politiques publiques et nouveau maire de Florange, absent à la soirée pour cause de conseil municipal…

“Premiers Campus” : du nouveau pour les lycéens boursiers

Aujourd'hui, plusieurs étudiants se rendent dans les lycées de la banlieue parisienne conventionnés pour aider les futurs candidats à préparer l’épreuve d’admissibilité. “On témoigne de notre parcours et on aide les lycéens à développer leur esprit critique et à travailler la revue de presse”, raconte Amel, 19 ans, qui s’implique dans cette démarche par le biais de l’association Ambition Campus.

“C’est un cercle vertueux qui s’est enclenché”, se félicite Frédéric Mion. Le directeur de Sciences po depuis 2013 a salué la mémoire de son prédécesseur Richard Descoings, à l'initiative des conventions d’éducation prioritaire, dont le vœu de voir 30 % d'élèves boursiers à Sciences po s'est réalisé. 

Pour aller plus loin, Frédéric Mion a annoncé le lancement des "Premiers Campus” à l'été 2017. Pendant certaines vacances, le campus de Reims accueillera ainsi 60 élèves boursiers franciliens de seconde – et pas uniquement issus des lycées partenaires CEP – pour les accompagner sur le chemin de l’université. “L’objectif n’est pas de les préparer à entrer à Sciences po, mais de leur donner le goût des études supérieures, pour stimuler la confiance et l’audace qui leur permettront de réussir”, a fait valoir le directeur.

Le programme s’élargira les années suivantes aux différents campus régionaux de l’IEP parisien et accueillera également des élèves de première et de terminale. Il s'adressera à des titulaires d'une bourse de l'enseignement secondaire, issus de ZEP, "mais aussi des élèves défavorisés vivant dans les zones périphériques que sont les territoires ruraux et périurbains à faible densité". “Nous voulons renforcer la mixité sociale au sein de tous nos campus. Sciences po a vocation à agir sur le monde pour le rendre meilleur”, a réaffirmé Frédéric Mion. Vaste programme !

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