Décryptage

"Sciences porcs" : quand la parole se libère dans les IEP

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Par Lola Fourmy, publié le 19 février 2021
5 min

Ces derniers jours des centaines de témoignages ont afflué sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles subies par les étudiants et étudiantes de Sciences po.

Un ancien étudiant mis en examen pour viol à Toulouse, des manifestations aux quatre coins de la France, une multitude de témoignages sous le hashtag "Sciences porcs" et la démission de Frédéric Mion, directeur de Sciences po Paris, c’est un véritable raz-de-marée qui déferle actuellement sur la prestigieuse institution Sciences po.

Une déferlante de témoignages dans les Sciences po

Le témoignage de Juliette, étudiante à Sciences po Toulouse, a agi comme un détonateur dans le milieu. Dans une lettre ouverte, elle raconte son viol par un autre étudiant : "Tu m’as violée, je dormais et tu as continué. J’ai dit non et tu as continué". La jeune femme a finalement porté plainte début février et son agresseur présumé, ex-étudiant de Sciences po Toulouse a été mis en examen pour viol le 13 février dernier.

Depuis, tous les Instituts d’études politiques (IEP) sont visés par des témoignages : Bordeaux, Paris, Aix-en-Provence, Lille, Saint-Germain-en-Laye, Toulouse, Lyon, Grenoble, Strasbourg et Rennes. Parmi eux, il y a celui de Laura*. Elle intègre Sciences po Paris en 2008 et, très vite, elle découvre une ambiance sexiste, notamment lors des soirées et du CRIT (compétition sportive inter-IEP).

Les choses s’aggravent et Laura est victime d’agression sexuelle un an plus tard. Son nom se retrouve aussi dans un groupe Facebook et sur la liste des "best bitches" (salopes, NDLR). "Quand j’ai découvert ça, c’était l’horreur". "L’ambiance "banalise tellement les agissements sexistes qu’on a l’impression qu’il n’y avait pas d’interdit. C’est un vrai continuum des violences typique de la culture du viol. Et je ne peux pas croire que la direction ignorait tout cela", déplore Laura.

La prise en charge des IEP remise en cause

Depuis le lancement du hashtag, les directions de tous les IEP ont réagi, essentiellement via des communiqués. Or, sur les réseaux sociaux, de nombreux témoignages assurent avoir alerté l’administration sans que celle-ci ne réagisse.

Plusieurs IEP s'interrogent notamment sur l'efficacité de leur dispositif. C'est le cas de Sciences po Rennes qui dispose d’une cellule d’écoute. Depuis 2019, elle a traité deux signalements, suivis de plaintes. Pourtant le directeur, Pablo Diaz, ne peut que constater que certains témoignages ont échappé à cette cellule : "On peut se questionner sur nos dispositifs puisque nous n’avons pas eu autant de signalements que de témoignages. Il faut qu’on travaille à écouter davantage, c’est pour ça qu’on a entamé des discussions avec les associations et notamment les associations féministes. Il faut aussi renforcer les formations sur le sujet des violences sexistes et sexuelles auprès de toute la communauté", détaille encore Pablo Diaz.

Dans un autre institut, une chargée d’égalité - qui a souhaité rester anonyme - indique que "tous les signalements qui ont été faits ont été pris en charge" mais selon elle, "la vraie question qu’on se pose c’est pourquoi le dispositif n’est pas plus saisi". Ici, la cellule égalité est joignable par mail, des binômes accueillent sur rendez-vous l’étudiant venu témoigner avant de l’orienter "si nécessaire" vers la psychologue, explique encore la chargée d’égalité.

Croire les victimes

Pour plusieurs associations étudiantes féministes, la réaction des différentes directions n’est pas assez forte. A Grenoble, l’association queer et féministe 'En tout genre' déplore un manque d’engagement clair de la direction sur des formations auprès des personnels académiques. Si l’association a mis en place, via ses réseaux sociaux, une plateforme anonyme de témoignages, elle réclame aussi plus de transparence sur les procédures appliquées par l’administration en cas de signalement.

L’association regrette aussi un manque de prise en compte du phénomène : "on nous parle de problèmes personnels entre étudiants et étudiantes alors qu’il y a un problème systémique dans nos établissements". Pour Anna Toumazoff, l’activiste féministe à l’origine du hashtag "Sciences porcs", "il va falloir commencer par reconnaître ce qui s’est passé, car la libération de la parole sans reconnaissance ce n'est pas efficace.

C’est déjà très difficile d’aller porter plainte pour les femmes, mais si les premiers interlocuteurs ne les croient pas, c’est impossible", insiste la féministe. Pour rappel, les structures d’enseignement supérieur ont pour obligation de lancer une enquête interne en cas de harcèlement, agression ou viol et de prévenir le procureur de la République. La direction peut aussi sanctionner l’auteur de faits sans pour autant qu’une plainte n’ait été déposée.

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