Décryptage

Ateliers, cours, conférences : comment des universités tentent d'améliorer le bien-être des étudiants en santé

Etudiant santé bien-être
Les universités imaginent des dispositifs pour "soigner" la santé mentale de leurs étudiants en santé. © New Africa / Adobe Stock
Par Séverine Mermilliod, publié le 23 septembre 2022
9 min

À Montpellier, Poitiers ou Rennes, des universités mettent en place des initiatives pour améliorer le bien-être des étudiants en santé, dont plusieurs études ont montré qu’il pouvait se dégrader au cours de leur formation. L’objectif est aussi d’améliorer la relation médecin-patient à plus long terme.

Le bien-être des étudiants en santé devient une priorité. Plusieurs universités ont souhaité prendre le problème en charge dès le début des études en lançant ateliers, cellules d’accompagnement et même unité d’enseignement visant le bien-être étudiant et l’amélioration de l’empathie.

L'idée de fond : que l'épanouissement des étudiants en fassent de meilleurs soignants et, à l'inverse, que l'apprentissage d'une meilleure relation médecin-patient redonne du sens aux études.

Ces initiatives font suite à plusieurs études menées par des associations étudiantes dès 2017 et 2018, qui avaient montré que les étudiants en santé étaient particulièrement sujets aux troubles anxieux, dépressifs, voire aux idées suicidaires.

Face à ces constats, le ministère de la Santé, en avril 2018, avait pris 15 engagements pour améliorer leur bien-être. Pour autant, la situation continue d’être inquiétante. En 2021, la nouvelle enquête nationale de trois associations d'étudiants en médecine a même fait état d'une augmentation des troubles anxieux (+12 points) et dépressifs (+11 points) depuis 2017.

Des futurs soignants en bonne santé pour des patients mieux pris en charge

L'objectif immédiat des actions menées par les universités concerne "le mieux-être et l’impact que cela peut avoir sur la réussite, la mémoire", indique Laurent Bosquet, professeur et responsable de la chaire sport et santé à l’université de Poitiers. Selon lui, "ce sont aussi nos futurs soignants, la médecine reconnaît de plus en plus la prévention, et ils doivent y contribuer".

Avec le CHU et la faculté de médecine, Laurent Bosquet a contribué à créer HappyDoc, un séminaire de trois jours qui se déroule en début de deuxième année de médecine, car "c’est la première année qui fait le plus de dégâts". Les étudiants y font du sport ou de la relaxation, écoutent des conférences-débats en présence de professionnels de santé, des ciné-débats ou des théâtres-forums autour de la nutrition, de la santé, de l’environnement ou encore des violences sexuelles et sexistes.

Le succès de ce dispositif, qui existe depuis 2018, a conduit la Région Nouvelle-Aquitaine à l’étendre aux facultés de Limoges l’an dernier et de Bordeaux cette année. "L’objectif est d’avoir des étudiants en bonne santé, qui ont compris l’importance de cette prévention, pour ensuite la diffuser dans leur activité professionnelle à leurs patients et à leurs collègues, et pour mettre en place un changement de paradigme de la santé, explique Françoise Jeanson, vice-présidente du conseil régional. Des soignants heureux et en bonne santé sont des patients qui sont mieux suivis et pris en charge."

L'empathie, facteur-clé de la relation de soin qui améliore aussi le bien-être

C’est aussi l’avis de Céline Bourgier, directrice de l'École du cancer de Montpellier, et d'Amandine Luquiens, psychiatre et addictologue. Toutes deux sont responsables de la nouvelle unité d’enseignement (UE) "savoir-être et communication thérapeutique" lancée en 2021-2022 à la faculté de médecine Montpellier-Nîmes. À l’origine de leur réflexion : le constat que "le savoir-être médical n’était pas forcément acquis pour certains étudiants", explique Céline Bourgier.

Lorsqu'ils arrivent en médecine, ils ont énormément d’empathie. Mais, "au fur et à mesure, plusieurs études ont montré que cette empathie clinique diminue en situation de soin dans la relation médecin-malade", précise Amandine Luquiens.
Elles ont donc construit une UE en modules qui s’ajoutent progressivement durant les années de médecine. Parmi eux, une simulation de consultation d’annonce d’une maladie chronique, de la méditation de pleine conscience, un jeu de rôle sur l’art de communiquer, des groupes d’échange de pratiques entre étudiants, etc.

Une unité d'enseignement obligatoire pour tous les étudiants de médecine

"Ce sont des stratégies qui ont déjà montré un certain niveau de preuve et permettent de limiter la décroissance de l’empathie clinique. C’est indirectement lié à la santé mentale. Les étudiants sont dans une relation de soin qui a du sens ; or garder le sens de ce qu’on fait en accord avec ses valeurs protège du burn-out. C’est aussi une protection par rapport aux risques anxieux, détaille Amandine Luquiens. On fait vraiment attention à ne pas proposer des choses ésotériques aux étudiants, c’est vraiment ‘evidence based’ [basé sur des preuves, NDLR]".
L’UE, très pratique et professionnalisante, est obligatoire pour tous les étudiants en médecine, même s’ils peuvent faire l’impasse sur certaines séances. "On a une vision à long terme pour que cela ait un impact sur leur vie professionnelle future mais également dans le cadre de la 5e année de médecine, où désormais il y a un examen fait en simulation [les ECOS, soit examens cliniques objectifs et structurés, NDLR], ajoute Céline Bourgier. Ils sont évalués sur le savoir-être donc on leur donne les outils nécessaires pour qu’ils ne se sentent pas en difficulté."
À cette nouvelle unité d’enseignement s’ajoutent d'autres actions de la fac de médecine de Montpellier en faveur de la santé mentale, notamment une cellule pour étudiants en difficulté.

Des cellules composées d'enseignants et d'étudiants

Une cellule de ce type, baptisée "Bee-M" (pour "bien-être étudiant de la faculté de médecine") a justement vu le jour en février 2022 à Rennes 1. Composée de professeurs, de docteurs et d'étudiants et étudiantes, elle propose notamment un mentorat par des enseignants et internes pour les étudiants volontaires et des événements. "Une conférence pour cet hiver est actuellement en cours de finalisation. Elle portera sur l'initiation à la communication non violente, à destination des personnels hospitaliers et des étudiants de troisième cycle des études de santé", précise Patricia Amé, membre de Bee-M.

Autre exemple à l’université d’Aix-Marseille, où une "commission de bienveillance" a également été créée en début d’année 2022 au sein de la faculté des sciences médicales et paramédicales pour tous les étudiants en santé. Ils peuvent y faire appel "pour toutes les situations de risques psychosociaux, d'addiction, de harcèlement, de dépression, de difficultés financières, et pour toute situation de difficulté durant vos études".

Évaluer les dispositifs consacrés au bien-être des étudiants en santé

Désormais, pour HappyDoc, "un des enjeux est d’augmenter le nombre d’étudiants qui viennent : à Bordeaux, il y avait pharma et dentaire mais ceux de médecine n’y étaient pas. À Poitiers, il y avait 500 étudiants, mais il est important que tous y soient", affirme Françoise Jeanson, qui voudrait voir ce programme élargi aux formations paramédicales et, pourquoi pas, dans d’autres facultés.

"On a lancé une évaluation avec l’Isped [Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement] et, à la fin de l’année, on aura une mallette pédagogique et des ressources pour les universités qui le souhaitent", ajoute Laurent Bosquet.

À Montpellier, où les premiers retours sont plutôt positifs, Amandine Luquiens a mis en place, dès le lancement de l’UE, une étude anonymisée sur une cohorte d’étudiants volontaires, évalués et suivis sur trois ans, pour mesurer l’impact de l’enseignement sur plusieurs critères. "L’objectif principal de suivi est l’empathie clinique en situation de soin", rappelle la médecin. Les premiers résultats sont d'ores et déjà en cours d'analyse.

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