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Déserts médicaux : proposé par les doyens de médecine, le "service médical à la nation" ne convainc pas les étudiants

30,2% de la population française vit dans un désert médical.
30,2% de la population française vit dans un désert médical. © Stephane AUDRAS/REA
Par Agnès Millet, publié le 05 novembre 2024
6 min

Instaurer un "service médical à la nation" des jeunes médecins pour qu'ils s'installent dans les déserts médicaux : voilà la proposition faite par les doyens de médecine, le 17 octobre. Mais les syndicats d'internes ne souscrivent pas à des modalités qu'ils jugent inefficaces.

Les jeunes médecins pourront-ils toujours s'installer là où ils le souhaitent à l'issue de leurs études ? Le débat d'affecter les jeunes médecins dans les déserts médicaux est revenu sur le table lors du colloque "Quel médecin pour demain?", organisé le 17 octobre à l'Académie nationale de médecine, à Paris. La mise en place d'un "service médical à la nation" a en effet été proposée par la conférence des doyens de médecine.

À la sortie de ses études, "un jeune médecin pourrait contractualiser un an. Il serait accompagné, rémunéré - peut-être bien rémunéré ! -, avec un accompagnement pour sa famille. Il pourrait donner un an à la région qui l'aurait formé, par exemple, dans un territoire sous-dense", a résumé Benoît Veber, président de la conférence des doyens de médecine, à l'issue du colloque.

L'incitation à exercer dans les zones de désert médical n'a jamais été autant d'actualité puisque, selon un rapport du Sénat de 2022, 30,2% de la population française vit dans un désert médical. Plusieurs dispositifs existent d'ailleurs déjà, comme le contrat d'engagement de service public (CESP). Quant à cette proposition, le doyen des doyens précise que "c'est une idée à travailler. Rien n'est officiel. Cela n'a pas été discuté avec le gouvernement. Mais on va s'y atteler."

Une réponse à des mesures plus coercitives ?

Cette proposition diffère du programme "Hippocrate", lancé par Michel Barnier, Premier ministre, dans son discours de politique générale, le 1er octobre. Celui-ci doit s'appuyer sur les internes en médecine, et non sur les diplômés.

Le "service médical à la nation" serait plutôt une réponse des doyens à des dispositifs plus coercitifs, comme la proposition de loi déposée le 17 septembre par la députée (Modem) de Mayenne Géraldine Bannier, visant à imposer aux jeunes médecins généralistes et spécialistes de s'installer durant une année en zone sous-dotée en offre médicale.

Lors de la conférence de presse du 17 octobre, Patrice Diot, doyen honoraire de la faculté de médecine de Tours estimait ainsi que "les jeunes ont bien compris que cette coercition va, de toute façon, bientôt leur être imposée". Selon les doyens, ce dispositif doit donc être construit avec les internes qui, selon eux, sont ouverts à cette discussion.

Mais ceux-ci s'étonnent de la démarche. "Nous n'avions pas eu le début d'une concertation avec les doyens", explique Killian L'helgouarc'h, président de l'ISNI (Intersyndicale nationale des internes).

Les internes peu convaincus par le service médical

Sur l'esprit de la proposition, le désaccord est profond. Selon Benoît Veber, ce service serait, pour les jeunes médecins, "une façon de rendre à la nation ce qu'elle leur a donné", c'est-à-dire leur formation.

"Il est malhonnête de dire cela. Ça fait grincer des dents d'entendre cela, alors que les externes sont moins payés que les autres étudiants en stage, et que les internes sont moins payés qu'un Smic horaire pour des semaines de 59 heures [temps de travail moyen des internes en 2023, selon l'enquête de l'ISNAR-IMG]", répond Killian L'helgouarc'h.

D'autant que la mesure leur semble injuste. "C'est toujours agaçant de faire peser sur nous des décisions de numerus clausus, prises il y a 30 ans. Nous ne sommes pas responsables de cela. Par ailleurs, cela laisse penser que nous n'avons pas conscience de cette problématique d'accès aux soins, alors qu'on le vit tous les jours en internat."

Sur le fond, beaucoup de questions demeurent et suscitent, à tout le moins, la "vigilance" de l'ISNI. "Le caractère obligatoire ou non de la proposition des doyens est flou." Or, pour l'ISNI, s'il y a effectivement des mesures à lancer, celles-ci doivent se faire sur la base du volontariat, pour être plus efficaces. "Nous sommes favorables à toute mesure qui viendrait inciter à travailler dans des zones sous-denses", rappelle Killian L'helgouarc'h.

D'autres leviers pour inciter à une installation en zone sous-dense

Selon Bastien Bailleul, président de l'ISNAR-IMG (InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale), "cette régulation forcée ne fonctionne pas : les médecins ne restent pas sur le long terme. Voire, ils ne s'installent pas du tout, en choisissent d'autres modes d'exercice que le cabinet libéral, comme cela a été le cas dans d'autres pays."

Pour l'amélioration de l'accès aux soins, la mesure ne le convainc pas non plus. "Sur ces zones sous-denses, il y aura un nouveau médecin chaque année, venu à contrecœur. Or la médecine générale, c'est basé sur la relation et le suivi des patients."

Selon l'ISNI, "il faut s'attaquer aux vrais soucis et travailler sur les leviers d'installation des futurs internes. Que cherchent-ils pour s'installer ? Une qualité de vie, avec un bon agencement entre vie personnelle et vie professionnelle ; ce qui implique une installation en groupe. Un médecin par village, ce n'est pas l'aspiration des jeunes internes. Ils veulent également pouvoir avoir une activité mixte. Et il faut aussi travailler sur la question de la famille du médecin : il faut une crèche, école, un travail pour le conjoint…"

Le 8 octobre, l'ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France), l'ISNAR-IMG et ReAgjjr (Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants) exposaient d'ailleurs l'ensemble des critères de choix à l'installation et les mesures qu'ils préconisaient, dans le cadre des débats en cours pour le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) 2025.

Pour répondre à la demande d'accès aux soins, "il n'y a pas de solution miracle à court terme", mais des aménagements pourraient répondre en partie à cette demande. Et, sur le long terme, "il faut augmenter le nombre d'étudiants formés et ouvrir des antennes universitaires dans les zones sous-denses et des places de stage", car ce levier est efficace, précise le président de l'ISNAR-IMG.

Bastien Bailleul indique que les discussions avec les doyens n'ont pas encore commencé. "Nous échangeons beaucoup ensemble et nous arriverons à construire quelque chose", conclut-il.

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