Décryptage

Grève des sages-femmes : les étudiants tout autant concernés par le "naufrage de la profession"

Les sages-femmes réclament notamment une refonte de la formation avec la création d’une sixième année d’études.
Les sages-femmes réclament notamment une refonte de la formation avec la création d’une sixième année d’études. © Eric TSCHAEN/REA
Par Pauline Bluteau, publié le 28 septembre 2021
7 min

Ce week-end, les sages-femmes ont fait grève pour dénoncer, entre autres, le manque de reconnaissance de leur profession. Une mobilisation qui a aussi touché les étudiants en maïeutique, bien décidés à faire entendre leur voix pour que les choses changent durablement, y compris dans leur formation.

"Ce week-end, j’ai été gréviste pour la première fois, je me sens totalement concernée", assure Pauline, 22 ans, étudiante en quatrième année de maïeutique à Nancy. Selon l’ANESF (association nationale des étudiants sages-femmes), comme Pauline, de nombreux étudiants se sont mobilisés partout en France ces 24, 25 et 26 septembre 2021.

Trois jours de grève pendant lesquels les étudiants, -notamment ceux en quatrième et cinquième année, considérés comme étudiants-hospitaliers-, ont prêté main forte à leurs ainés. Car pour tous, les revendications ne peuvent plus attendre.

"Ah, c’est ça être sage-femme"

Pauline rêvait depuis l’enfance de devenir sage-femme. "Je croyais que c’était la personne qui disait 'poussez' en salle de naissance mais lors de mes premiers stages en deuxième année, je me suis dit 'ah, c’est ça en fait d’être sage-femme ?'", s’exclame-t-elle.

"Ça", c’est ce que l’ANESF appelle "le naufrage de la profession" : le manque d’effectifs, le temps passé à courir entre les salles de naissance sans prendre le temps de manger, boire ou pouvoir aller aux toilettes. C’est aussi la charge de travail toujours plus importante, le manque de moyens financiers, de rémunération et de reconnaissance, l’épuisement physique et psychologique, les responsabilités...

Des conditions de travail très dégradées pour les sages-femmes

"J’étais loin d’imaginer tout ça, poursuit l’étudiante. Je me suis retrouvée dans une garde où il y avait trois sages-femmes pour dix patientes en travail. Parfois, on les laisse seules pendant deux heures parce qu’on n’a pas le temps de passer les voir, on prend à peine le temps d’interagir… C’est triste et rageant."
Pour ces étudiants, la réalité se révèle au grand jour lors des stages. "Il y a un vrai manque de connaissances du métier de sage-femme de manière générale, il faut faire de la pédagogie sur ce métier et ces études, estime Laura Faucher, présidente de l’ANESF et également en cinquième année de maïeutique à Clermont-Ferrand. Comme nos études sont très professionnalisantes, on se rend vite compte de ce qu’il se passe, c’est flagrant. Les étudiants n’ont pas envie d’exercer dans ces conditions."

Les réorientations augmentent

Ce qui fait qu’aujourd’hui, la profession manque de bras. Les abandons et les réorientations se multiplient. "La profession va mal et les étudiants le ressentent. Notre enquête de 2018 révèle que sept étudiants sur dix ont des symptômes dépressifs", justifie la présidente de l’ANESF.

Dans sa promotion, Pauline a d'ailleurs vu quatre étudiants changer de voie cette année. "Ils sont encore plus nombreux dans la promotion du dessus, sans compter ceux qui exercent et quittent leur métier au bout de deux ans. On a aussi une enseignante sage-femme qui s’est réorientée l’année dernière."

Tenir grâce à la vocation

Pauline a elle aussi connu une période de remise en question pendant l’été. "Je me suis demandé si je n’allais pas changer pour faire quelque chose de plus simple, loin du milieu médical." Mais paradoxalement, ce qui la fait tenir n’est autre que son futur métier. "Je sais que c’est vraiment ce que j’aime", plaide l’étudiante qui a encore deux années devant elle avant d’être diplômée.
Un constat remarqué par l’ANESF : "On voit que la maïeutique n’est plus une filière prise par défaut lorsque l’on n’a pas obtenu médecine. Ceux qui entrent dans ces études sont les plus convaincus, c’est vraiment le métier qu’ils souhaitent faire", souligne Laura Faucher.

Repenser les études de maïeutique

Après ces trois jours de grève, syndicats et associations ont donc porté leurs revendications auprès du Premier ministre. "Depuis 20 ans, les conditions de travail se détériorent sans cesse, mettent à mal la permanence et la qualité des soins à l'intention des femmes et des enfants de notre pays. (…) Aucune perspective, aucun espoir n'a été donné aux sages-femmes quant au naufrage de notre profession, hormis l'indécence de proposer une augmentation de salaire de 100 euros [annonce d’Olivier Véran, ministre de la Santé le 16 septembre 2021, NDLR]", accuse la lettre.

Les sages-femmes réclament de meilleures conditions d’exercice, la création d’un statut médical mais revendiquent aussi une refonte de la formation avec la création d’une sixième année d’études. "Tout est condensé sur quatre ans, si on ne compte pas la première année commune aux études de santé (PASS et L.AS). Ce sont des études trop lourdes au niveau des cours et des stages", pointe la présidente de l’ANESF.

Selon l’organisme, les étudiants en maïeutique auraient 1.400 heures de cours supplémentaires que les étudiants en dentaire dont le cursus s’étend déjà sur six ans. "Nos compétences ont aussi évolué, or, on a simplement intensifié le volume horaire de nos cours alors que nous avons besoin d’approfondir certaines connaissances comme le suivi gynécologique, la pratique de l’IVG et le suivi psychologique des patientes, il y a aussi tout le versant pédiatrique…" Pauline évoque également des journées "denses" et des études "compliquées entre les cours, les stages et les révisions". L’association étudiante plaide aussi en faveur d’une intégration des instituts de maïeutique au sein des universités pour peser dans les décisions.
Prochain rendez-vous le jeudi 7 octobre pour une mobilisation générale des sages-femmes à Paris. Là encore, les étudiants devraient répondre présents.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !