Témoignage

Journée sans internes : pourquoi tous les internes en médecine ne font pas grève ce vendredi ?

REA grève des internes avril 2023
Les internes sont appelés à débrayer le vendredi 28 avril pour protester contre leurs conditions de travail. © Romain GAILLARD/REA
Par Pauline Bluteau, publié le 28 avril 2023
8 min

Ils dénoncent des conditions de travail inacceptables, le surmenage et de trop grandes responsabilités alors qu'ils ne sont encore qu'en formation : les futurs médecins sont en grève ce vendredi 28 avril. Une journée sans internes dans les hôpitaux… ou presque. Certains ont préféré battre en retrait, pourtant bien conscients et écœurés des difficultés auxquels ils font face quotidiennement.

Ce n'est malheureusement pas la première fois que l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes, appelle les futurs médecins à se mobiliser contre leurs conditions de travail. Ce vendredi 28 avril, environ un tiers des internes devraient s'absenter de leur service pour faire entendre leur voix. En cause : le non-respect du décompte des heures de travail. En moyenne, les internes travaillent 58,4 heures par semaine, bien loin de la réglementation européenne qui n'autorise pas plus de 48 heures par semaine.

Sans internes, les hôpitaux sont donc en partie à l'arrêt ou, du moins, fonctionnent au ralenti. Un vendredi noir qui ne concerne pas tout le monde : de nombreux internes ne se sont pas ralliés au mouvement, pour l'Etudiant, Grégoire*, François et Léa expliquent pourquoi.

S'absenter au détriment des patients et des collègues surchargés

Joindre un interne relève déjà du parcours du combattant. Malgré nos nombreuses sollicitations, seuls quelques internes ont pris le temps de nous répondre en s'excusant de n'avoir pas pu "[se] libérer plus tôt". Grégoire est interne en cancérologie et réalise son semestre dans un centre de lutte contre le cancer. "Les patients que je prends en charge sont polypathologiques et nécessitent une prise en charge médicale complexe, quasi permanente", détaille-t-il.
Grégoire a décidé de ne pas faire grève ce vendredi car son service "manque de présence médicale donc si je m'absente, ce sera au détriment de mes collègues mais surtout des patients qui ne seront pas pris en charge correctement". Selon lui, comme dans beaucoup de services hospitaliers, impossible d'accueillir de nouveaux patients "de manière pérenne et continue" sans internes.

Impossible de perdre une journée de salaire

Une autre raison arrive aussi rapidement sur la table : celle de la rémunération. Selon son niveau d'études (de la première à la cinquième année d'internat), un interne peut gagner entre 19.000 et 28.000 euros brut par an. "J'ai acquis un bien immobilier et j'ai beaucoup de frais à engager, je ne peux pas me permettre de baisser mon salaire, même pour une journée", regrette Grégoire. L'ISNI demande d'ailleurs une augmentation des rémunérations de 15%, soit 300 euros en plus par mois.
François est quant à lui interne en anesthésie-réanimation à Saint-Etienne. Il ne s'est pas déclaré gréviste aujourd'hui, lui non plus. "Je suis interne depuis six mois, en premier semestre. Je viens d'acheter un appartement et je n'ai pas envie de perdre un jour de salaire", explique-t-il. Même si, pour lui aussi, d'autres raisons le poussent à ne pas faire grève : "Mon chef était d'accord et j'ai refusé. Mon stage se passe très bien, je ne me voyais pas lui dire que je ne venais pas alors que depuis le début, tout le monde essaie de m'arranger. Et puis, c'est le dernier jour du semestre, ça me fait plaisir de voir mes collègues une dernière fois", poursuit-il.

Des internes formés à devenir de "bons soldats"

Léa, elle, est interne en médecine générale à Lyon. En octobre, elle a fait grève pour lutter contre la réforme de la quatrième année de médecine générale. Mais cette fois, elle s'exempte car elle ne travaille pas. Selon elle, si beaucoup ne font pas grève, c'est aussi parce que la plupart des étudiants en médecine sont "résilients" : "On nous forme à être de bons soldats, on nous laisse croire qu'on doit donner beaucoup parce que la suite va être incroyable, il y a donc une désillusion qui s'installe au fil du temps."

Aujourd'hui, Léa effectue sa neuvième et dernière année d'études de médecine. Elle estime avoir plus de recul sur ses différents stages à l'hôpital qu'elle a parfois subis. Il y a un an, à bout, elle en parle à sa cheffe qui lui rétorque que "la vie, c'est dur". Léa s'arrête pendant un mois et demi, risquant d'invalider son stage et donc son internat. "Personne n'ose faire ça. En médecine, on ne sait pas s'exprimer, parce qu'on ne nous apprend pas et on ne s'informe pas, on n'a pas le temps quand on fait déjà 100 heures par semaine. On reste dans notre petite vie, entourés de médecins… qui font pareil. Bien sûr qu'on est concernés mais c'est difficile d'agir et d'y mettre de l'énergie."

"L'hôpital n'est pas un endroit épanouissant. Les études de médecine sont destructrices"

Excellente élève, avec la volonté de se donner à 100%, elle déchante. Sur son dernier rapport de stage, ses tuteurs ont noté "manque de motivation", une phrase qui lui reste en travers de la gorge : elle aurait travaillé cinq week-ends de suite, sans avoir deux jours de repos consécutifs, elle a refusé une garde et a été perçue comme une interne peu investie. "Je voulais choisir la spécialité hématologie mais en externat, quand j'ai vu les internes travailler tous les week-ends, sans jours de repos, j'ai préféré prendre médecine générale. Ça m'évitait de passer tout mon internat, donc encore des années, à l'hôpital qui n'est pas un endroit épanouissant. Les études de médecine sont destructrices, je peux le dire maintenant parce que je n'ai plus de pression", confie-t-elle.

Des non-grévistes bien conscients des mauvaises conditions de travail

François estime qu'il fait partie des internes "privilégiés" dans sa spécialité. "Mes horaires et mes repos de garde sont respectés, je n'ai pas à me plaindre de mes conditions et donc à faire grève…", estime-t-il. Pourtant, le néo-interne ne le cache pas, les conditions de travail sont bien plus difficiles dans d'autres services, en particulier dans les spécialités chirurgicales.
À plusieurs reprises, les internes évoquent la neurochirurgie où les jours de repos… n'existent pas. "Il y a des internes qui finissent très tard : j'ai un copain à Grenoble, en cardiologie, qui termine tous les soirs entre 21h et 23h, son chef n'est pas toujours présent, il a donc beaucoup de responsabilités. Ça m'a choqué, ce n'est pas normal. Ce n'est jamais mon cas, je suis très bien encadré et j'ai des chefs à l'écoute ", assure-t-il.

Plus de 40 gardes en moins d'un semestre pour certains internes

Pour son premier semestre, François aura fait une vingtaine de gardes alors que d'autres internes, également en premier semestre d'internat, en sont déjà à plus de 40. "Ils ne voient pas le jour", résume François. Lui-même sait qu'il ne doit pas être loin de 48 heures par semaine et estime qu'il "le veut bien aussi" mais son temps de repos, respecté, lui parait suffisant.

Grégoire lui, mesure aussi ses propos. "Je sais que ce ne sont pas des raisons suffisantes et qu'il faut que tous les internes se mobilisent pour qu'on ait plus de droits. Mais ce semestre, il ne m'est pas possible de m'engager, tant personnellement qu'éthiquement, pour mes patients."
Pour Léa, "les grèves ne servent malheureusement pas à grand-chose", l'interne estime que c'est surtout en diffusant le message auprès des médecins, des autres internes et des générations à venir "qui osent plus" que le changement pourra s'opérer. Aujourd'hui, aucune manifestation n'était prévue par les internes mais l'ISNI a d'ores et déjà annoncé que la grève pourrait être reconductible.
*Pour préserver l'anonymat, le prénom a été changé.

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