Phoenix CMS Accéder au BO
Enquête

"On nous a menti alors qu'on n'y connaissait rien" : des étudiants bernés par certaines écoles privées lucratives

Certains établissements privés lucratifs qui ne disposent pas du grade de licence ou de master misent sur la méconnaissance des bacheliers ou étudiants pour leur vendre des formations de "niveau bac+3" ou "bac+5".
Certains établissements privés lucratifs qui ne disposent pas du grade de licence ou de master misent sur la méconnaissance des bacheliers ou étudiants pour leur vendre des formations de "niveau bac+3" ou "bac+5". © Adobe Stock/Tadeusz -Généré à l’aide de l’IA
Par Rachel Rodrigues, publié le 05 mai 2025
7 min

En misant souvent sur une communication poussée, de nombreux organismes de formation privés à but lucratif et coûteux attirent des étudiants chaque année. Mais loin de leur vitrine attrayante, certains établissements ne tiennent pas leur promesse d'un enseignement de qualité.

C'est quand Léa* (toutes les étudiantes interrogées ont requis l'anonymat) a voulu changer d'établissement, après un an passé dans une école privée de mode, qu'elle a déchanté. "J'ai voulu faire valoir mes crédits ECTS pour passer directement en deuxième année et on m'a rétorqué que je n'en avais pas", se souvient-elle. 

Pourtant, l'étudiante de 20 ans était sûre d'avoir cumulé des crédits tout au long de l'année, comme indiqué lors de son inscription. "À la fin du semestre, des 'crédits' étaient inscrits sur nos bulletins, on était censé en cumuler 60 par an", décrit-elle, écœurée. Léa a déboursé entre 7.000 et 8.000 euros pour son année, comprenant notamment un acompte versé avant la rentrée.

Comme elle, de nombreux étudiants s’inscrivent sans le savoir dans des écoles privées à but lucratif et découvrent ensuite des abus ou des manquements dans l’enseignement. La régulation de ce type d'établissements est d'ailleurs revenue au cœur de l’actualité lors de la parution, début mars, de l'ouvrage Le Cube, enquête de la journaliste Claire Marchal sur les conditions d’enseignement dans les écoles du groupe Galileo, leader européen du secteur.

L'arnaque aux faux diplômes

Certains établissements privés lucratifs qui ne disposent pas du grade de licence ou de master misent sur la méconnaissance des bacheliers ou étudiants pour leur vendre des formations de "niveau bac+3" ou "bac+5", en dépit d'absence de reconnaissance par l'État. "On nous a menti, alors que nous, on venait d'arriver dans le monde de l'enseignement supérieur : on n'y connaissait rien", déplore Léa.

À la clé, de faux diplômes qui n'ont pas de valeur sur le marché du travail ou à l'étranger, une fois le cursus terminé. "J'ai parlé à d'anciens étudiants, ils se sont rendu compte que le niveau bac+3 n'en était pas vraiment un : aujourd'hui, tout le monde cherche à se reconvertir", affirme Hazel*, ancienne étudiante en bachelor dans une école d'art privée.

La jeune femme de 25 ans a pourtant confronté l'administration de son école sur ce point : "Ils m'ont répondu que dans tous les cas, 'c'était le book qui comptait, pas le diplôme'", raconte-t-elle, aujourd'hui au chômage, après avoir fait un prêt de 30.000 euros pour payer les 8.000 euros de frais de scolarité annuels.

Des cours "pas assez approfondis"

Ces coûts sont d'autant plus incohérents pour certains jeunes diplômés que la qualité des enseignements ne suit pas toujours. "On nous dit qu'on va rencontrer des professionnels, mais finalement, il n'y a pas vraiment d'apport derrière", estime Céline*, étudiante en bachelor dans une école de communication. Si elle admet que certains cours peuvent être intéressants, "il y en a d'autres où les intervenants sont justes là pour raconter leur vie", ajoute l'étudiante de 20 ans.

Jessica*, qui a passé deux ans dans une école privée spécialisée dans le marketing et la communication, évoque, elle aussi, des cours "très légers" sur les matières majeures de son cursus. "J'avais l'impression que c'étaient des influenceurs TV : certains profs venaient nous donner cours parce qu'ils avaient plus de 50.000 followers sur les réseaux sociaux", déplore-t-elle.

De nombreux jeunes interrogés racontent avoir été confrontés à plusieurs reprises à des intervenants absents ou qui annulaient leurs cours au dernier moment. "Pour Photoshop et les cours de design, on a eu deux cours au début de l'année et ensuite le prof a disparu", témoigne Jessica, qui évoque des frais d'inscription aux alentours de 7.500 euros.

Cours en ligne et manque d'accompagnement

Pour compenser ce manque d'intervenants, certains cours ont été "passés en distanciel" durant l'année, raconte l'ancienne étudiante. Mais ça n'a pas toujours été le cas : "Parfois, on faisait le déplacement pour finalement ne pas avoir cours ni de solution de remplacement", regrette Jessica.

Du côté de Camille*, le distanciel a pris beaucoup de place pendant l'année. "Nous n'avions qu'un ou deux cours par semaine avec des intervenants", précise l'ancienne étudiante, qui a fait une première année dans une école de marketing digital en alternance, avant de changer de cursus. La jeune femme devait s'accommoder de cours en "e-learning" : "Ce n'est pas très engageant et ça ne donne pas envie de travailler, surtout qu'on n'avait même pas d'enseignant en face : c'étaient juste des modules sur une plateforme", détaille l'étudiante, qui précise que les frais de scolarité s'élèvent à près de 9.000 euros pour les non alternants.

Et parfois, l'encadrement des cours dispensés laisse aussi à désirer. "Ce ne sont plus des cours : on nous demande juste de plancher sur un sujet et on nous note, c'est tout. On est beaucoup trop laissés en autonomie", reproche Hazel.

"Tout l'argent part dans les soirées et les voyages'"

Bien souvent, l'aspect superficiel des enseignements s'explique par un manque de budget ou des problèmes financiers de l'établissement. "On sentait bien que la situation économique était catastrophique", admet Léa, qui s'est inquiétée plusieurs fois auprès de l'administration sur l'état de l'école : "On avait même peur qu'elle ferme en cours d'année".

Dans un tel contexte, les répercussions sur le quotidien des étudiants sont flagrantes. Des témoins font état de manque de matériel ou de fournitures, ou encore de locaux sales ou inadaptés à des promotions toujours plus grandes. Une pratique également racontée dans les révélations de Claire Marchal, détaille Le Monde.

Pourtant, au moment des inscriptions, cette réalité n'est pas toujours évidente. "Je voyais passer de nombreuses pubs qui mettaient en avant la jeunesse, le côté innovant : je suis tombée dans le panneau", assure Jessica. La jeune femme raconte, à l'instar de plusieurs étudiants sur les réseaux sociaux, que l'école s'appliquait surtout à dépenser son argent "dans les soirées" (payantes), voyages ou autres activités extra-scolaires. "J'ai l'impression que tout l'argent partait là-dedans", ajoute-t-elle.

L'image apparaît comme primordiale pour ce type d'établissements lucratifs, qui n'hésitent pas à utiliser le temps de formation de leurs étudiants pour faire leur propre com' : "Chaque année, on doit faire la promotion de l'école lors des journées portes ouvertes : on nous retire même plus d'une semaine de cours pour les préparer", détaille Hazel. Pour elle, les étudiants de sa filière n'étaient finalement "qu'une vitrine" pour l'école, un moyen d'attirer toujours plus d'inscrits l'année suivante.

Le 10 mars dernier, le gouvernement a annoncé le lancement d'une inspection interministérielle sur le sujet, et le renforcement de Qualiopi, un label qui certifie la qualité des formations des organismes souhaitant accéder à des financements publics.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !