Orientation postbac en outre-mer : les lycéens mettent les voiles
Au stress du bac et des choix à faire sur APB s’ajoute, pour les lycéens ultramarins, la question de rester sur son territoire ou de partir en métropole. Des associations étudiantes vous accompagnent dans votre réflexion et vous aident à franchir les différents obstacles sur votre route : choix des formations, financement ou logement.
“Should I stay or should I go ?” Cette célèbre question du groupe The Clash trotte dans la tête de nombreux élèves de terminale qui vivent dans les territoires d’outre-mer. Car obtenir le bac signifie pour beaucoup quitter non seulement sa famille, mais aussi son île ou sa terre natale.
Un choix plus restreint de formations sur place
Certains n’ont pas le choix : même s’ils auraient aimé rester en outre-mer, la formation postbac qu’ils souhaitent suivre n’est pas proposée. C’est le cas de Samira, 18 ans, en classe de terminale ES à Saint-Denis (La Réunion). “Je pars car je veux faire une prépa ENS et il n’y en a pas à La Réunion. Il n’y a pas non plus de double licence économie-droit, mon deuxième choix sur Admission-postbac.”
La Réunion est loin d'être le moins bien loti des territoires ultramarins, avec 113 BTS (brevets de technicien supérieur), toutes spécialités confondues, sur APB et une douzaine de classes prépa. Mais beaucoup de jeunes rêvent de partir. “Dans ma classe, seulement une dizaine d’élèves sur 27 ont mis une formation réunionnaise en premier vœu”, calcule Samira.
Des formations plus ou moins éloignées
À 13.000 kilomètres de là, les lycéens martiniquais sont dans la même situation. Parmi ceux qui décident de quitter l’île, environ 80 % partent pour l’Hexagone, 15 % pour le Canada, “et les derniers 5 % se partagent entre les États-Unis, le Brésil ou la Chine”, énumère Daisy, 30 ans, présidente de l’association MAJ (Martinique Ambition Jeunes). “On a beaucoup plus de pression qu’un jeune qui habite Marseille ! lance la jeune femme. Partir demande des sacrifices et parfois, pour ne pas se retrouver seuls, les lycéens choisissent les mêmes formations ou les mêmes villes que leurs amis.”
Dans la collectivité de Saint-Martin, une île des Antilles comportant une partie française et une partie hollandaise, les choix APB se limitent à… deux BTS ! Les parents proposent parfois un compromis à leurs enfants : aller en Guadeloupe, située à “seulement” 250 kilomètres. Après leur bac+3, ils pourront poursuivre leurs études dans l’Hexagone, éloigné de 6.700 kilomètres !
Des parents ou des proviseurs qui les retiennent
Parfois, les parents s’opposent au départ de leurs enfants. “Principalement pour des raisons financières, précise Samira. Mais aussi parce qu’ils estiment que leurs enfants ne sont pas encore capables de se débrouiller seuls !”
Il arrive que ce soient les proviseurs des lycées qui essaient de convaincre leurs bacheliers de rester. À La Réunion, en 2017, quatre d’entre eux ont fait circuler un courrier parmi les classes de terminale, mettant en avant la qualité de leurs classes préparatoires, "similaire à celle de métropole". Samira estime que ces proviseurs “n'ont peut-être pas tort, puisque la CPGE (classe préparatoire aux grandes écoles) demande un certain mental. Être éloigné de la famille pendant ses années de prépa peut s'avérer difficile, compte tenu de la charge de travail”.
Plus surprenant, les chefs d’établissement affirment dans ce document que “certaines représentations encore vivaces” dans les grandes prépas de métropole seraient un frein à la sélection des candidatures réunionnaises. “Je trouve cette note un peu culottée, je l'avoue !” juge Samira, par ailleurs présidente de l’association Droits des lycéens depuis le début de l’année 2017.
Courrier des proviseurs de La Réunion pour convaincre les lycéens de suivre une classe prépa sur place. //
© Académie La Réunion
Coût des études : la course aux bourses
Pour Samira, prendre la décision de partir de La Réunion n’a pas été trop compliqué. “Trois de mes sœurs sont déjà passées par là, donc j’étais préparée.” La question financière n’a pas été un frein non plus. “Il existe pas mal d’aides, notamment un billet d’avion offert aux boursiers grâce à LADOM (l’agence de l’outre-mer pour la mobilité), et des réductions sur les billets pour les non-boursiers.”
Cette aide, appelée Passeport Mobilité Études, existe aussi dans les collectivités de Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Guyane ou Mayotte, sous conditions de ressources.
D’autres aides dépendent parfois du département ou du territoire : bourse du CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires), bourse régionale, prêt d’honneur départemental, prime d’installation, allocation de premier équipement… Ne négligez pas de vous informer sur les aides possibles si vous êtes concerné, cela peut représenter plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’euros au total. Le cas échéant, il faudra remplir des dossiers dans des délais impartis. Un mot d’ordre : anticipez !
Trouver un logement à distance : une mission (presque) impossible !
Tous les témoignages sont unanimes : le plus compliqué reste de trouver un logement. “À distance, c’est presque impossible de trouver un appartement, car la plupart des propriétaires veulent rencontrer les gens avant de les choisir comme locataires”, confirme Samira. “Sans compter que certaines agences discriminent les personnes dont les garants habitent en outre-mer, ajoute Stéphie, 23 ans, étudiante à Sciences po Paris, originaire de l’île de Saint-Martin. Les jeunes ne savent pas que c’est illégal, mais il faut signaler ces cas au Défenseur des droits.”
Vahina, 18 ans, a eu de la chance. Prise dans son premier vœu APB, cette étudiante saint-martinoise a pu compter sur une cousine pour faire les visites d’appartement à sa place. “Elle a fait une vidéo et me l’a envoyée, c’est comme ça que j’ai choisi mon logement étudiant !” raconte la jeune fille, en L1 de droit à l’université de Bordeaux. C’est d’ailleurs cela qui a conditionné ses choix sur Admission-postbac : elle n’avait postulé qu’à des formations situées dans des villes métropolitaines où elle connaissait quelqu’un.
Car s’il est possible de faire des demandes de logement via le CROUS en remplissant un DSE (dossier social étudiant), encore faut-il que le choix de formation formulé sur APB corresponde bien aux résidences étudiantes demandées...
S'adapter au climat et à l'éloignement
En effet, il faut attendre au minimum le 8 juin, la première phase d’admission d’APB, pour connaître sa destination. “L’été, les jeunes ne peuvent pas se rendre en métropole pour visiter les logements, car les prix des billets d’avion flambent !, souligne Daisy, présidente de MAJ. Et louer un logement sans le visiter, c’est risqué aussi !”
En dehors de Paris, ou cela reste très compliqué, “le plus simple est de programmer un maximum de visites de logements une semaine avant la rentrée et de les faire avec un parent quand c’est possible”, conseille Stéphie.
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là... Passées l’installation et la rentrée, il reste encore quelques obstacles à surmonter. À commencer par le climat. “Cela m’a un peu perturbée, avoue Vahina. Il fait en général autour de 25°C à Saint-Martin. L’hiver, à Bordeaux, la température descend à 5°C !”
Mais c’est surtout l’éloignement qui a pesé sur le moral de l’étudiante. “Ma famille me manque beaucoup. En début d’année, c’est compliqué d’être loin quand on n’a jamais vécu seule. Heureusement, il y a FaceTime !” s’exclame la jeune saint-martinoise.
Rompre l'isolement grâce aux associations
Vahina a pu compter aussi sur l'accueil de sa “marraine”, une étudiante plus âgée qui lui a été présentée par Pelicarus. Cette association, qui emprunte son nom au pélican (emblème de Saint-Martin) et à Icare (personnage de la mythologie grecque) a été créée en 2014 pour éviter l’isolement des Saint-Martinois arrivant en métropole. Un système de parrainage a été mis en place afin de leur permettre de nouer des liens.
Stéphie, étudiante à Sciences po Paris, est l’une des sept personnes cofondatrices de Pelicarus. “L’été, à Saint-Martin, on attribue aux lycéens qui le souhaitent un parrain ou une marraine étudiant dans l’Hexagone. L’objectif est de lutter contre l’autocensure : on leur montre qu’ils ont du potentiel, qu’il est possible de réussir.” Par méconnaissance, beaucoup des jeunes de l’île vont faire des études longues dans les formations les plus proches, en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane. Une fois en métropole, les nouveaux bacheliers font la connaissance des autres membres de l’association lors d’une rencontre nationale ou des rencontres régionales de Pelicarus.
De son côté, l’association MAJ propose des MOOC pour sensibiliser les lycéens martiniquais à la mobilité. Les thèmes abordés : la préparation du projet professionnel, le financement du départ et des études, le froid, le racisme ou encore l’assimilation.
Partir pour revenir : un plan pas toujours réalisable
Après leurs études, une partie des jeunes diplômés ultramarins envisagent de revenir travailler dans leur île ou sur leur territoire. Daisy, présidente de la MAJ, les met en garde : “Ce n’est pas toujours possible, car il n’y a pas forcément de débouchés sur place”. Vahina, qui souhaite devenir juge pour enfants, est dans cette situation. “Il n’y a actuellement pas de poste à Saint-Martin, il faut aller en Guadeloupe. Mais je me dis qu’il y aura peut-être des évolutions d’ici à ma sortie de l’École nationale de la magistrature...” Être optimiste n’empêche pas de bien préparer son projet professionnel, en intégrant le paramètre “marché de l’emploi” dans l’équation !
Des associations pour les lycéens et étudiants de l’outre-mer
Pour plus d’infos, vous pouvez contacter ces associations :
AJeG (Association des jeunes de Guadeloupe)
AERP (Association des étudiants réunionnais de Paris)
Droits des lycéens
FAEPF (Fédération des associations étudiantes de Polynésie française)
MAJ (Martinique Ambition Jeunes)
Pelicarus
Sciences Ô
SIAPO
UDJUMA (Union des jeunes actifs mahorais)