Décryptage

"Entre mon job en caisse et Mcdo, j'étais facilement à 35h en parallèle de mes cours" : quand le job étudiant prend le pas sur le reste

Les étudiants travaillent souvent en tant que serveur ou vendeur.
Les étudiants travaillent souvent en tant que serveur ou vendeur. © yisar / Adobe Stock
Par Rachel Rodrigues, publié le 12 septembre 2024
7 min

Dans quatre cas sur dix, les étudiants qui ont un job à coté de leurs études sont serveurs, caissiers ou vendeurs. Des emplois souvent précaires et prenants physiquement et psychologiquement. Ils et elles racontent leur quotidien.

Après neuf mois passés en tant qu'équipier polyvalent dans une grande chaîne de fast-food, Florian a décidé de démissionner, début juillet. "Le job devenait trop prenant", explique l'étudiant en informatique, qui souhaitait se consacrer pleinement à sa recherche d'alternance pour la rentrée. Ces derniers mois, le jeune homme de 22 ans a pu observer des différences avec ses camarades : "mes amis qui ne travaillaient pas avaient beaucoup plus de temps pour envoyer leurs candidatures", admet-il. 

D'après une étude de l'INSEE parue au printemps, et s'appuyant sur des données de 2020, 26% des étudiants occupent un emploi en même temps que leurs études. Quatre fois sur dix, ils sont serveurs, caissiers ou vendeurs. 

Une donnée confirmée par l'enquête 2023 de l'Observatoire de la vie étudiante, qui établit que parmi les étudiants qui exercent une activité non liée aux études, 21% exercent le métier de vendeur ou caissier dans le commerce ou la distribution, contre 19% pour les métiers de serveur, cuisinier, réceptionniste ou concierge. Au quotidien, ces postes s'avèrent souvent précaires et prenants, physiquement et psychologiquement.

L'obligation de prendre un job étudiant

Comme la grande majorité des étudiants qui s'engagent dans un job étudiant, Juliette pointe d'abord l'aspect financier. "Je n'ai pas le choix, je travaille pour payer mon loyer et mes factures chaque mois", résume l'étudiante en master de management stratégique, qui s'apprête à commencer une alternance à la rentrée.

Le besoin a été du même ordre pour Florian, qui s'est engagé la première fois dans un contrat étudiant pour raisons financières, alors que son entourage était dans l'incapacité de l'aider. "Mon père a dû arrêter de travailler à cause d'un Covid grave, explique-t-il. Il fallait que je paye moi-même le loyer de mon studio".

Des missions et des horaires exigeants

Pour s'assurer des revenus suffisants, Juliette a souvent multiplié les shifts durant la semaine. "L'année dernière, j'avais deux jobs en même temps, raconte l'étudiante. Entre mon job en caisse et Mcdo, j'étais facilement à 35h en parallèle de mes études." 

L'étudiante de 22 ans, qui a mis fin à son contrat en caisse depuis le mois d'avril, assure avoir presque toujours su s'organiser : "en anticipant, on arrive à moduler nos horaires comme on veut", explique-t-elle. Mais elle n'avait parfois plus aucun temps pour elle. "Je me suis retrouvée à faire mes 15h semaine sur deux jours, le samedi et le dimanche : c'est très fatigant", argue la jeune femme.

Même constat du côté de Florian, qui finissait souvent plus tard que prévu, lorsqu'il travaillait en restauration rapide. "Même si mon shift était techniquement de 19h à 23h, je pouvais finir à 23h30, et rentrer chez moi à minuit", assure l'étudiant. Des horaires qui l'empêchaient parfois de dormir correctement. "Je fais de l'apnée du sommeil, ce qui n'arrange rien", ajoute-t-il.

Le rythme est d'autant plus intense que ces postes demandent beaucoup d'énergie. "Ça va vite. On attend de nous une rapidité constante", pointe Jahyna, étudiante en BTS communication, anciennement en job étudiant dans une grande marque de prêt-à-porter. La jeune femme de 22 ans, qui disposait d'un contrat de 15-20h avant de changer de job l'année dernière, articulait son temps entre une licence de communication et son travail. "Je bossais trois ou quatre jours dans la semaine, à raison de cinq heures par shift", détaille-t-elle.

Les révisions et la vie étudiante au second plan

Très vite, la fatigue se manifeste. La plupart des étudiants interrogés affirment ne plus avoir l'énergie de travailler, une fois rentrés de leur job. "Je n'avais pas envie de faire des recherches, j'avais juste envie de me poser", affirme Florian, qui admet avoir eu beaucoup de mal à gérer la fatigue au cours de l'année. Le jeune homme a dû abandonner le kendo, qu'il pratiquait depuis plusieurs années parce qu'il "avait du mal à tout concilier".

"J'essayais de réviser mais au bout de 30 minutes, ma concentration n'était déjà plus au rendez-vous", raconte de son côté Jahyna, qui affirme pourtant ne pas rencontrer trop de difficultés pour travailler habituellement. Contrairement à ses camarades qui ne travaillaient pas, Jahyna explique ne pas avoir eu le temps de sociabiliser, "ce qui a pu rendre l'entraide un peu plus compliquée aussi", admet la jeune femme. "Au lieu de sortir après les cours, quand je pouvais y aller, je préférais rentrer pour travailler… ou bien faire une sieste", ironise-t-elle.

Malgré son investissement, l'étudiante a vu la différence lors du premier examen. "C'était la cata : mes résultats en ont souffert", déplore-t-elle. Au niveau des notes, la différence se fait aussi ressentir. "J'avais 17 de moyenne avant de prendre le job étudiant, je suis passé à 15", regrette Florian.

L'impact négatif des jobs étudiants sur les études

Selon l'enquête de l'Observatoire de la vie étudiante publiée en 2023, 28% des étudiants qui exercent une activité concurrente et 47% de ceux qui exercent une activité très concurrente à leurs études estiment que celle-ci a un impact négatif sur leurs résultats.

Des relations avec les collègues parfois tendues

Plusieurs étudiants interrogés font part d'une forme de condescendance de la part de leurs supérieurs ou collègues plus âgés. "Les managers peuvent vite parler de manière très autoritaire aux étudiants qu'ils encadrent", déplore Jahyna, qui affirme s'être rendu compte d'une agressivité, dès ses premiers jours : "il n'y a pas d'accompagnement : on se fait parfois insulter alors qu'on est en train d'apprendre, ils se permettent parce qu'on est jeunes", ajoute la jeune femme.

Même constat du côté de Juliette, quand elle travaillait en caisse. "On sent que certains titulaires n'ont pas envie de travailler avec des étudiants", déplore-t-elle. "Comme s'ils étaient gênés par le fait que des jeunes qu'ils considèrent comme des enfants fassent leur travail de manière temporaire, 'pour s'amuser', pour ensuite partir faire autre chose". 

Au quotidien, cela peut aboutir à des abus, côté collègues comme côté clients. "En caisse, dès que tu es une fille, tu te fais embêter", ajoute Jahyna, qui après son expérience en vente, a travaillé en tant que caissière dans un supermarché. La jeune femme raconte avoir décidé à plusieurs reprises d'éviter de faire les mêmes trajets le soir, par peur d'être suivie, une fois son shift terminé.

Un public parfois difficile

À ce titre, ces jobs sont parfois d'autant plus épuisants qu'ils impliquent une confrontation à la clientèle constante. "Comme on touche directement à leur argent, les clients se croient parfois tout permis : il y a très peu de respect", déplore Juliette. 

À terme, la motivation s'estompe. "Les clients ne se rendent pas compte, on n'est qu'un petit moment dans leur journée, mais pour nous, c'est eux notre journée, affirme Jahyna. Quand on se prend une remarque désobligeante, ça reste". L'étudiante en communication souhaite à tout prix changer de job à la rentrée. "Un poste dans les bureaux, plus administratif, idéalise-t-elle. Pour ne plus être confrontée aux gens".

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