"Je n'ai pas les mêmes perspectives d'avenir" : rembourser son prêt étudiant, une contrainte en début de carrière
Alors que le nombre de prêts étudiants contractés a bondi après la période de Covid, l'échéance du remboursement peut être source d'angoisse avant même le diplôme, et contrarier les trajectoires professionnelles des jeunes actifs.
L'heure a sonné pour Henintsoa. Depuis septembre dernier, elle doit rembourser le prêt de 45.000 euros qu'elle a contracté il y a cinq ans pour financer ses études de commerce, à raison de 700 euros par mois. Une somme qu'elle a déjà renégocié.
"Je venais de prendre un appartement à Paris. Entre le loyer et cette échéance, il ne me restait que 300 euros pour vivre", explique la jeune active, en CDD dans une agence de com' depuis juillet. Henintsoa décide alors de faire baisser le montant des mensualités. Jusqu'à 2026, elle ne remboursera "que" 392 euros par mois. "Je me dis que dans deux ans, je gagnerai mieux ma vie, mais ça ajoute un stress supplémentaire", ajoute-t-elle.
La communicante de 26 ans n'est pas la seule jeune diplômée à devoir assumer ce type de contraintes financières dès la sortie d'études. Pour rappel, de nombreux étudiants se voient dans l'obligation de s'endetter pour financer leurs études, voire leur vie étudiante, dans une ville où ils devront payer le loyer et toutes sortes de dépenses au quotidien.
En 2022, la Banque populaire et la Caisse d’épargne ont constaté un "très fort dynamisme sur le crédit étudiant", avec un bond du nombre de prêts de 9,5%, et une augmentation des montants empruntés, avait rappelé 20 minutes en décembre 2023, s'appuyant sur des données transmises à l'AFP.
Selon le Bureau national des étudiants en école de management, 57 % des étudiants doivent souscrire à un prêt pour rejoindre des écoles de commerce.
Des dépenses parfois difficiles à anticiper
Une fois contracté, le prêt peut déjà être source de stress pour les étudiants durant le cursus. "Dès que je tapais dans le prêt, je me disais : 'ça il va falloir que je le rembourse'", confie Lola, jeune orthophoniste diplômée en juillet dernier, qui a contracté un prêt de 15.000 euros pour financer ses études.
Cette "charge mentale" que certains décrivent est d'autant plus présente que tout au long du parcours, des dépenses non anticipées peuvent survenir. "J'ai dû rallonger mon prêt de 10.000 euros en raison d'un stage d'un an à l'étranger", témoigne Chloé, ancienne étudiante en IEP.
"On nous pousse fortement à faire une année de césure, abonde Henintsoa. Sauf que cette année aussi est payante : en considérant les frais de scolarité (montant réduit pour l'année de césure, ndlr) et toutes les dépenses, cela représente un budget conséquent."
Rembourser son prêt étudiant, une échéance "qui arrive vite"
Et lorsque le cursus prend fin, l'urgence est de mise pour anticiper au mieux l'échéance qui arrive. Lola n'était diplômée que depuis quelques semaines lorsqu'elle a ouvert son cabinet pour se mettre au travail. "Je n'avais pas le temps de prendre des vacances", admet la jeune femme, qui souhaite rembourser son prêt "le plus vite possible".
Chloé, 24 ans, a eu le même réflexe. "Quelques-uns de mes camarades ont pris du temps, et touchent le chômage après leur alternance, mais moi il faut absolument que je mette de l'argent de côté, dès maintenant", explique-t-elle. Diplômée en juillet dernier, elle devra s'acquitter de mensualités de plus de 700 euros dès janvier 2026. Alors, avec cette échéance en tête, "je n'ai pas ce temps-là où je peux me poser sur ce que je veux faire".
"J'ai dû enchaîner direct, soutient également Henintsoa. J'aurais aimé découvrir autre chose, me reposer. Je n'ai pas voyagé alors que c'est une grosse passion dans ma vie." A la place, elle a dû s'organiser en conséquence. "Je me suis dit que j'allais rester chez mes parents un an, pour ne pas payer de loyer". Malgré l'anticipation, le stress est toujours présent. "Tu finis quand même par y penser tous les jours", affirme-t-elle.
Des choix de carrière contraints
Rentrer au domicile familial a aussi été la solution privilégiée par Juliette après ses études, en septembre 2023. "Si je veux vivre sereinement et ne pas me priver au quotidien, je suis obligée de rester chez mes parents", explique la jeune femme de 26 ans, qui a commencé à payer ses mensualités de 300 euros au mois d'octobre.
Au moment de chercher du travail, la journaliste, plutôt intéressée par la radio, a dû accepter un contrat en web qui ne lui plaisait pas forcément. "Je me suis dit qu'au moins, à la fin du mois, je gagnerais un salaire et qu'une fois arrivée à l'échéance j'aurai les moyens de rembourser", détaille-t-elle. Aujourd'hui, elle continue d'être particulièrement regardante au niveau de la rémunération.
Et quand les opportunités viennent à manquer dans le domaine visé, chercher un job alimentaire devient la seule alternative. "J'étais serveuse en parallèle de mes études et j'ai accepté de continuer en attendant de trouver autre chose parce que j'avais besoin de ces sous", témoigne Chloé, qui cherche à s'insérer dans le secteur culturel. Et "l'impératif" du remboursement a même joué sur son orientation professionnelle. "Je me renseignais sur les métiers en fonction du salaire qui allait en découler", admet-elle.
La spécialisation d'Henintsoa en école de commerce a aussi été déterminée par le salaire potentiel. "Ce qui m'intéressait, c'était la musique, la culture, mais au début je me suis empêchée d'aller là-dedans", détaille la jeune femme, qui s'est d'abord orientée vers l'audit, la finance et la comptabilité, réputées pour offrir des "revenus conséquents". La jeune diplômée - et elle n'est pas la seule - raconte aussi avoir misé sur le modèle de l'alternance sur la fin de son cursus, pour commencer "à mettre de l'argent de côté".
"Ça m'empêche de me projeter"
Aujourd'hui diplômée depuis deux ans, Henintsoa, dit se sentir "bloquée" tant que son prêt ne sera pas intégralement remboursé. "Ça m'empêche de me projeter." Quand elle se compare à une copine, "qui prévoit d'acheter" un appartement d'ici deux ans, il lui arrive d'être un peu stressée. "Je n'ai pas les mêmes perspectives d'avenir", regrette-t-elle.
Pour Flore, diplômée d'un master d'information-communication, et qui a pour projet de partir travailler six mois en Amérique du Sud, le remboursement du prêt ne tombe pas à pic. "Je vais devoir payer mes mensualités pendant le voyage, je ne sais pas encore comment je vais gérer ça", s'inquiète-t-elle. La jeune femme de 23 ans compte sur la compréhension de sa banque en cas de difficulté. "Sinon, je vais devoir réduire la durée de mon voyage."
Pour elle, comme pour la plupart des jeunes diplômés interrogés, l'échéance du prêt représente à la fois une source d'angoisse et une échéance "attendue", qui fait partie des préoccupations depuis plusieurs années. D'où le sentiment que nombre d'entre eux expriment inévitablement au fil de la discussion, avec résignation. "De toute façon, je n'ai pas le choix !"