Enquête

Le service civique : un passage obligé vers l'emploi associatif ?

Rassemblement national des jeunes engages au service civique
Le secteur associatif représente le pourvoyeur de possibilités de service civique le plus important. © Marta Nascimento / R.E.A
Par Catherine de Coppet, publié le 09 juin 2017
1 min

Une récente étude sur le service civique, créé en 2010, alerte sur le risque d'une confusion entre service civique et emploi. Conçu comme une opportunité offerte à tout jeune de s'engager, le service civique semble à tout le moins favoriser l'insertion professionnelle dans le secteur associatif. Un phénomène difficile à cerner tant la variété des situations est importante. Enquête.

Permettre l'engagement des jeunes tout en renforçant la cohésion sociale, voilà sur le papier l'ambition du service civique, créé en 2010 dans la lignée du service civil volontaire de 2005. Vous êtes déjà quelque 200.000 à l'avoir expérimenté, et ce n'est pas fini, puisque d'ici 2018, 350.000 jeunes pourraient être concernés, selon le vœu exprimé par François Hollande en 2015.

Au fil des années, les objectifs du dispositif ont varié, explicitement ou non, au gré des politiques pour la jeunesse : favoriser la cohésion nationale, la mixité sociale, l'insertion professionnelle, lutter contre le décrochage scolaire... des ambitions très diverses, créant une impression de dispositif "fourre-tout".

Sur le terrain, force est de constater que les missions de service civique, centralisées par l'agence du service civique, renvoient à des situations très disparates, parfois difficiles à distinguer d'un emploi

Présentée le 24 mai dernier, une étude du conseil économique social et environnemental (CESE) pointe ce problème, tout en notant la "plus-value" du service civique pour la vie professionnelle.

Des compétences valorisables

Être volontaire permettrait, dans le meilleur des cas, d'acquérir des compétences "qui peuvent être valorisées dans un CV", et favoriserait l'insertion professionnelle : en 2013, une enquête de TNS-SOFRES a pointé que 75 % des anciens volontaires sont en activité après leur service civique, dont 29 % en emploi, 11 % en stage et 35 % en formation.

Une réalité qui serait particulièrement vraie dans le secteur associatif, qui représente le plus gros pourvoyeur de missions (75 % des volontaires en 2015 ont fait leur service civique dans l'associatif). Doctorante en sociologie à l'université Paris Ouest-Nanterre, étudiant la mise en œuvre du service civique, Florence Ihaddadene a envoyé des questionnaires à 1.500 anciens volontaires et observé que 65 % de ceux qui travaillent sont employés dans le secteur associatif. "La majorité des répondants m'ont expliqué qu'ils avaient décidé de faire un service civique parce qu'ils ne trouvaient pas d'emploi ou parce qu'ils cherchaient une première expérience professionnelle", souligne la chercheuse. De quoi se demander si le service civique ne constitue pas, souvent, une sorte de tremplin vers l'emploi associatif.

Un service civique en attendant un poste

Émeline, 30 ans, a trouvé un service civique dans une association environnementale alors qu'elle cherchait un emploi, il y a quelques années. "J'étais diplômée d'une école d'ingénieurs, j'avais envie de travailler dans l'environnement mais il était difficile de trouver un poste salarié en ONG : j'ai préféré un service civique dans une asso en lien avec mes centres d'intérêt à un job alimentaire à la FNAC", témoigne-t-elle. Accueillie pour une mission d'un an d'animation de site web, Émeline a réussi à se construire un véritable réseau professionnel : "Au bout de six mois de mission, je me suis fait embaucher pour un CDD dans une autre association, puis je suis revenue dans la première association pour un CDD qui s'est finalement transformé en CDI. C'est sûr que le service civique m'a aidé à trouver un poste dans le milieu !"

"Trouver des stages dans le secteur associatif est vraiment très difficile, le service civique permet d'approcher le milieu avec la même gratification qu'un stage", témoigne Émilie, 26 ans, militante de longue date dans des associations environnementales, et qui a décroché un stage dans une association pour terminer son master de sciences politiques, après un service civique dans une autre association, effectué deux ans plus tôt. "Pour moi c'est le fait d'avoir une expérience militante qui aide à trouver un poste dans le milieu de la défense de l'environnement, mais la réalité n'est sans doute pas la même dans le caritatif par exemple."

Disparités fortes en fonction des associations

Pour Florence Ihaddadene, le lien entre service civique et emploi va dépendre de la thématique de la mission d'origine. "Ce sont plutôt dans des associations structurées, qui recrutent les volontaires pour leurs compétences, que le service civique se rapproche de l'emploi et peut déboucher sur un emploi ! Dans les associations sportives, qui proposent des missions d'encadrement par exemple, qui s'apparentent plus à du bénévolat, il y a rarement embauche derrière."

Joey, 26 ans, a lui aussi réussi à se faire embaucher à la suite du service civique. "J'avais été recruté en service civique pour animer une plate-forme d'expression Web pour de jeunes étrangers primo-arrivants, raconte-t-il. On m'avait pris sur ma motivation, pas sur mes diplômes. À l'époque j'avais un job alimentaire que je voulais quitter, j'ai réduit mes heures pendant mon service civique." Ayant toujours voulu travailler dans la jeunesse, Joey a ensuite saisi l'opportunité d'un poste qui s'ouvrait dans l'antenne jeunesse où il avait fait son service civique. "Si on m'a recruté alors, c'est pour mes compétences, car il y avait de la concurrence !"

Désormais adjoint d'une structure d'activité périscolaire en Île-de-France, il est passé "de l'autre côté", puisqu'il a eu à "recruter" depuis des jeunes en service civique : "Les politiques de la ville sont revues à la baisse, et à côté, on veut faire du chiffre sur le service civique : beaucoup de jeunes se retrouvent du coup avec des missions sans intérêt ou mal définies..."

"Il est très difficile de dire que le service civique est un tremplin vers l'emploi, conclut Maud Simonet, sociologue chargée de recherche au CNRS, auteure de "Le travail bénévole : engagement citoyen ou travail gratuit ?" (La Dispute, Paris, 2010). Ce que l'on observe, c'est qu'il constitue souvent une sorte de sas supplémentaire avant l'accès à l'emploi, et d'une certaine façon, un apprentissage de la précarité".

Emploi et service civique, une frontière ténue ?

Donner à des volontaires des missions qui sinon relèveraient d'un emploi... Ce risque de dévoiement existe ! Il s'explique par la convergence de plusieurs facteurs : "La crise de l'emploi, qui poussent les jeunes à se retourner vers le service civique à défaut d'emploi, se conjugue avec la baisse drastique des subventions aux associations, qui rend l'accueil de volontaires très intéressant, ce qui n'est pas incompatible avec une volonté d'engagement dans le monde associatif", décrypte Florence Ihaddadene.

Selon certains acteurs, la stabilisation du dispositif dans le temps pourrait peut-être permettre d'atténuer les risques de dérive. Dans son étude, le CESE a donné un certain nombre de préconisations pour tenter de limiter la confusion entre service civique et emploi, comme la possibilité pour les volontaires de se retrouver pour échanger en dehors de leurs missions, ou encore la disparition du CV et de la lettre de motivation dans le processus de "recrutement" des volontaires par les structures d'accueil, afin de centrer la sélection sur la motivation, et non sur les compétences.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !