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Enquête

IA dans le recrutement : matching CV, chatbots… Comment l'intelligence artificielle s'insère à petit pas dans les processus d'embauche

De grandes entreprises utilisent l'IA pour leurs recrutements.
De grandes entreprises utilisent l'IA pour leurs recrutements. © TA design / Adobe Stock
Par Rachel Rodrigues, publié le 11 février 2025
7 min

DOSSIER. De nombreuses grandes entreprises font appel à l'IA dans le cadre de leurs processus de recrutement. Que ce soit pour analyser les CV, pour communiquer avec leurs candidats ou pour organiser des entretiens, les pratiques sont diverses. L'Etudiant fait le point.

"Mon CV n'a pas passé l'ATS ", "Ne faites pas votre CV sur Canva si vous voulez être rappelé"... Depuis plusieurs mois, rumeurs et fausses informations circulent sur TikTok concernant l'existence d'un logiciel de recrutement, qui s'appuierait sur une IA pour trier et écarter certains CV des processus, sur la base d'une certaine forme ou apparence du document.

Et pour cause : l'intelligence artificielle s'impose dans de nombreux secteurs, et celui du recrutement n'est pas épargné. Selon une étude d'Hello Work publiée en novembre 2024, 79% des recruteurs utiliseraient des outils d'IA générative dans le cadre de leurs activités professionnelles, le double de l'année précédente.

"Avant même l'émergence des IA génératives comme Chat GPT, les services de recrutement utilisaient déjà des outils embarquant de l'intelligence artificielle dans le cadre de leurs processus", affirme même Matthieu Esteve, consultant en développement professionnel à l'APEC et animateur de webinaires et d'ateliers pour aider les jeunes diplômés à utiliser l'IA pour leur recherche d'emploi.

Mais loin des fantasmes qui consisteraient à croire que l'IA a remplacé l'humain dans le recrutement, qu'en est-il réellement ?

"Matching" et analyse des CV par l'intelligence artificielle

"Depuis la fin des années 2010, l'IA se déploie dans les ressources humaines, notamment dans les ATS", détaille Matthieu Esteve. Ces "Applicant tracking systems" ("outils de suivi des candidatures" en français) sont des logiciels qui permettent aux entreprises de suivre l’avancée de leurs recrutements.

Pour trouver les candidats les plus adaptés aux postes recherchés, les ATS "cherchent dans les CV des mots clés ou des critères pertinents, définis par rapport au poste", précise Myriam Hétier, PMM chez Cegid, société éditrice de solutions de recrutement à destination des entreprises. Cela permet ensuite aux IA intégrées de faire remonter automatiquement les CV les plus pertinents selon ces critères. On parle de "matching".

Cela impose aux candidats d'éditer des CV que les logiciels peuvent lire. "Ce n'est pas parce que vous utilisez Canva que votre CV ne passera pas", rassure Matthieu Esteve. Il suffit de l'enregistrer au format "PDF standard", sans l'aplatir.

L'astuce pour passer les rouages de l'IA : faire correspondre au maximum son dossier de candidature avec les termes et mots clés utilisés dans la fiche de poste.

Malgré ces nouveaux outils, l'humain reste maître de la sélection

De son côté, Audrey Barlet rappelle que "l'IA n'écartera pas un CV toute seule". Pour la directrice RPO chez ManpowerGroup Talent Solutions, qui a récemment commencé à tester le matching de CV, "l'intelligence artificielle peut prioriser un CV mais l'intervention humaine sera toujours nécessaire".

D'autant que durant le processus de sélection, "le recruteur peut toujours aller consulter l'ensemble des CV, et décider de réintégrer un CV qui avait été qualifié comme "non prioritaire" par l'IA. C'est d'ailleurs comme ça qu'il entraînera au mieux la machine", détaille Myriam Hétier. Car, "le risque, pointe Vincent Guigue, professeur d'informatique et chercheur en IA à AgroParisTech, c'est d'avoir un filtre trop fort qui élimine de bons candidats".

Des pré-entretiens faits par l'IA

L'IA peut aussi intervenir pour faciliter les échanges que les recruteurs auront avec les candidats. "Par l'intermédiaire d'un chatbot sur WhatsApp, par exemple, le candidat peut répondre à des questionnaires de pré-qualification et prendre rendez-vous pour un entretien", détaille Myriam Hétier, qui précise que ces solutions IA sont le plus souvent déployées par de grosses entreprises de plus de 500 salariés.

Audrey Barlet développe : "Lors de ces pré-entretiens d'à peu près 15 minutes, l'IA va poser au candidat des questions basiques : quel type de contrat il recherche, quand est-ce qu'il est disponible, quelles sont ses prétentions salariales ?"

Cette pratique semble se démocratiser. D'après Vincent Guigue, de nombreux étudiants racontent en effet avoir passé de premiers entretiens avec un chatbot. "Le recruteur l'aura programmé pour qu'il pose un certain nombre de questions au candidat. Cela permet aux RH de gagner du temps sur le nombre d'entretiens à réaliser", explique-t-il.

Tests et vérification du niveau en langues

Selon cette même logique, la start up Lingueo propose depuis peu une solution qui s'appuie sur l'IA pour permettre aux recruteurs de vérifier le niveau de langues de leurs candidats.

"L'idée est de générer un test qui permette de vérifier les compétences linguistiques appliquées au métier, en utilisant les infos et caractéristiques propres à l'entreprise, détaille Arnaud Portanelli, co-fondateur de Lingueo. Selon le domaine, on paramètre l'IA avec son vocabulaire et son univers pour créer des tests adaptés."

L'intelligence artificielle est alors capable de comprendre ce que dit le candidat, et d'analyser s'il a bien répondu à l'énoncé. "Elle restitue ensuite une notation par rapport à ce qu'on est en capacité d'attendre d'un candidat à tel ou tel poste, selon les grilles de compétences définies", complète-t-il.

Rédaction d'offres et résumés d'entretiens

Plus globalement, de plus en plus de recruteurs utilisent l'IA tout au long du processus de recrutement. Au tout début, elle peut intervenir pour la rédaction d'une fiche de poste, permettant au recruteur de "décrire le poste de manière plus attractive", et d'ainsi "toucher plus de candidats", détaille Myriam Hétier.

Cela permet de s'assurer qu'on a fait "aucune faute, qu'on s'adresse bien aux hommes et aux femmes, à des personnes de tous âges et tous types de formation", décrit de son côté Audrey Barlet.

Une fois que l'entretien a été réalisé avec un candidat, les entreprises peuvent aussi décider de s'appuyer sur l'IA pour rédiger des comptes rendus : "elle va nous permettre de faire des résumés comparatifs de plusieurs candidats pour le même poste", illustre la directrice RPO à Manpower. Mais, in fine, la plupart des recruteurs réaffirment le besoin constant de garder la main sur la sélection. Une IA qui "aide" et qui "assiste", donc, mais qui jamais ne remplace.

En France, une utilisation encore relativement limitée

Si de nombreux outils existent déjà à l'international, en France comme en Europe, le règlement général de protection des données (RGPD), entré en application en 2018, impose de la prudence aux entreprises. "Il n'est pas envisageable d'utiliser une IA externe puisque cela reviendrait à devoir mettre les CV des candidats sur une base de données accessible à tout le monde, explique Audrey Barlet. C'est pour cette raison que nous utilisons une IA interne, chez nous". Des outils que toutes les entreprises ne sont pas en mesure de développer à ce jour.

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