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Témoignage

"Personne ne pouvait faire passer mon CV" : comment le manque de réseau complique l'accès à l'emploi de certains jeunes diplômés

Le manque de contacts pour trouver un emploi peut se révéler un frein.
Le manque de contacts pour trouver un emploi peut se révéler un frein. © David/Adobe Stock - Généré à l’aide de l’IA
Par Rachel Rodrigues, publié le 23 octobre 2024
8 min

Le réseau professionnel constitue un élément déterminant tout au long de la scolarité et du parcours des étudiants, jusqu'au moment où ils s'insèrent dans l'emploi. Le manque de contacts peut se révéler un frein pour trouver un stage, un emploi, une alternance. Entre difficultés et solutions, nos témoins racontent comment ils ont créé leur propre réseau.

Aurélie fait partie des étudiants qui ont su assez vite ce qu'ils voulaient faire dans la vie. À l'époque à la recherche d'un stage de 3e, elle se rappelle les appels quotidiens que sa mère a passé à un laboratoire d'astrophysique pour qu'elle puisse y découvrir le métier. "Personne ne faisait de sciences dans ma famille, et puis dans un domaine aussi spécifique, c'était compliqué", raconte l'étudiante en master d'astrophysique à Nice (06).

Sans piston, la seule solution reste la candidature spontanée. "Je ne connaissais personne à l'intérieur qui pouvait dire "c'est la fille d'untel, on la prend", ajoute la jeune femme de 23 ans, qui a finalement décroché quelques jours dans l'entreprise et qui a depuis confirmé son envie de devenir astrophysicienne.

En tant que première découverte du milieu professionnel, le stage de 3e révèle assez tôt les inégalités qui peuvent exister entre les élèves, du fait de leur origine sociale. "Selon son milieu, un jeune n'aura pas forcément accès aux mêmes opportunités", abonde Amel Hammouda, directrice générale d'Article 1.

Le marché caché de l'emploi n'est pas accessible à tous

Derrière les plateformes bien connues qui répertorient les offres d'emploi comme Indeed, France travail, HelloWork ou le site de l'Etudiant, se cache un marché souterrain de l'emploi, qu'on appelle aussi "marché caché". Selon une étude Randstad de 2021, il a représenté pas moins de 2,8 millions d'embauches en 2020, sur un nombre total de 7 millions de recrutements, soit 41% de la part totale.

Il s'agit ici d'embauches qui ne passent pas par la publication classique de fiches de poste sur Internet ou les réseaux sociaux (comme LinkedIn) mais bien par d'autres biais, plus informels. "Une large partie des offres d'emploi n'est, de fait, pas accessible à tout le monde", pointe ainsi Amel Hammouda, directrice générale d'Article 1.

Bouche à oreille, transmission de candidatures par l'entourage, recommandations via des connaissances professionnelles, ou encore prise de contact sur les réseaux sociaux… Les possibilités sont infinies, mais dans presque tous les cas, elles requièrent au préalable un réseau professionnel bien développé et touchant au plus près le secteur qu'on souhaite intégrer.

"Si tu ne connais personne, c'est tout de suite plus compliqué"

"Dans mon domaine, de nombreux postes sont attribués uniquement via des évolutions en interne", observe Paul, jeune diplômé d'une école de commerce, qui souhaite s'insérer dans le secteur du luxe. "Les offres me passent sous le nez, si je ne suis pas moi-même déjà au sein de l'entreprise".

Ce constat, plus particulièrement propre à certains secteurs concurrentiels ou proches de milieux artistiques, complique l'accès à l'emploi des étudiants qui ne disposent pas de réseau. "Dans la mode, si tu connais quelqu'un pour te faire entrer, c'est bon pour toi, mais si tu ne connais personne, c'est tout de suite plus compliqué", résume Charlotte, jeune diplômée dans la mode, qui a créé sa propre marque de prêt-à-porter, Captcha Lab, il y a quatre ans.

Pour Mohamed, la recherche d'une alternance pour intégrer son école d'ingénieurs, a été laborieuse. "Je n'avais aucune connaissance dans les grosses boîtes d'ingénierie. C'était très compliqué, j'ai eu énormément de refus", raconte-t-il. A titre de comparaison, l'élève ingénieur constate que certains de ses camarades ont eu moins de mal à trouver leur stage à l'étranger, grâce à l'aide de leurs parents, qui ont pu faire passer leur CV là "où ils connaissaient des gens".

Même constat pour Camille, dont "la majeure partie de (sa) promo avait des parents diplomates", pendant son cursus : "Ils parlaient tous au moins trois langues. Quand ils ont recherché, ils ont eu plus de facilités à accéder à certains emplois", se souvient la jeune diplômée en études migratoires. "Quand tu vois la simplicité qu'ont certains à trouver quelque chose alors que toi, tu charbonnes, c'est un peu décourageant", admet Charlotte, qui a constaté les mêmes écarts autour d'elle, lors de son insertion professionnelle.

Des parcours différenciés selon le réseau

Ce réseau familial et professionnel est d'autant plus important pendant les études, avant même d'entrer sur le marché de l'emploi. "Il permet de construire un parcours valorisant aux yeux des recruteurs, via des stages, des alternances ou encore des expériences à l'étranger", poursuit Amel Hammouda. Or, si lorsque la période de recherche de stage ou d'alternance approche, les établissements sont censés aider leurs étudiants à trouver des entreprises, tous ne sont pas logés à la même enseigne.

Parfois, le réseau mis en avant par l'établissement s'avère inefficace. "Ils nous vendent le fait de pouvoir nous mettre en relation avec un réseau d'entreprises partenaires, mais en vérité, cela n'aboutit pas toujours", regrette Matthew, qui avant d'être pris en master réseaux et télécommunications à Marseille, début septembre, a dû chercher une alternance pour intégrer une école de cybersécurité privée.

Sans aide systématique de l'établissement, les étudiants se retrouvent à devoir composer essentiellement avec le réseau dont ils disposent. "En ce qui me concerne, personne ne pouvait faire passer mon CV, alors il faut s'y prendre six mois, voire un an à l'avance, pour être sûr de trouver quelque chose quand tu sais que certains camarades s'y sont pris seulement deux mois avant la fin des cours, du fait de leurs relations", raconte Aissata, jeune diplômée ingénieure dans le domaine de la transition écologique.

Connaître les codes professionnels

Aussi, "si certaines écoles aident les étudiants en organisant des rencontres, ou en partageant les débouchés possibles, c'est à l'étudiant d'affiner par la suite", explique la jeune ingénieure de 23 ans. "Or, il est difficile d'avoir des discussions poussées sur un métier bien précis quand on n'a pas de réseau", ajoute-t-elle.

Outre la mise en relation, le réseau professionnel permet aux étudiants et jeunes diplômés d'avoir une connaissance plus précise du domaine qu'ils souhaitent intégrer. Grâce à l'accompagnement d'Article 1, Mohamed a rencontré des professionnels "mentors" qui ont pu l'aider à mieux appréhender le secteur de l'ingénierie. "J'ai appris qu'on n'a pas le même langage dans différents domaines, qu'il y a des codes vestimentaires à respecter", relate l'étudiant en alternance en génie civil.

En amont des candidatures, le réseau peut être une ressource non négligeable pour mieux saisir les enjeux du recrutement. "Quand on répond à une offre d'emploi, derrière, si on n'a pas de réseau pour nous éclairer, on ne saura pas comment rebondir, qui contacter dans l'entreprise pour recueillir des informations informelles sur les profils recherchés, qui ne sont pas forcément visibles sur les fiches de poste", détaille Amel Hammouda.

Compenser le manque de réseau pro en se rendant visible sur les réseaux sociaux

Pour compenser ce manque de réseau, de nombreux jeunes mettent à profit leurs réseaux sociaux, pour donner de la visibilité à des productions ou projets. "Je me suis beaucoup servi d'Instagram", illustre Charlotte. La jeune créatrice souligne ainsi l'importance des événements professionnels dans le milieu de la mode. "Grâce aux relations que j'ai pu me faire, je suis allée à des soirées", détaille-t-elle. "C'est un tout petit monde, il faut se faire son réseau en sortant pour rencontrer du monde", confirme Paul.

Pour Aïssata, originaire de Côte d'Ivoire, se construire un réseau a été d'autant plus nécessaire qu'elle n'avait, au départ, "aucune attache dans le pays". L'ingénieure s'est intéressée assez tôt à Linkedin, pour y mettre en avant ses différents engagements associatifs. "J'ai partagé mes expériences en animation de table ronde, en expliquant en quoi l'activité avait été enrichissante pour moi", détaille la jeune femme.

"Je prenais aussi contact avec des professionnels en leur envoyant des messages en leur détaillant l'objet de ma prise de contact", ajoute-t-elle. Matthew a adopté la même stratégie, en commentant les posts en lien avec la cybersécurité pour essayer d'attirer l'attention des professionnels du secteur qu'il avait au préalable ajouté à son réseau.

Si certains étudiants ont eu le réflexe assez tôt dans leur parcours de mettre à profit LinkedIn pour se constituer un réseau, Aïssata rappelle que la démarche n'est pas toujours évidente pour tous. "C'est compliqué pour certains de se mettre en avant sur les réseaux", admet l'ingénieure. Reste, selon elle, qu'il ne faut pas rester isolé et toujours "oser taper aux portes".

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