Les bibliothèques vivantes, ces "livres de chair et de sang" qui cassent les préjugés sur la santé mentale

Les bibliothèques vivantes sont utilisées pour déstigmatiser les troubles psychiques et venir à bout des préjugés qui entourent la santé mentale. L’Etudiant est allé à la rencontre de ces "livres vivants", qui œuvrent pour une meilleure compréhension des maladies mentales, dont sont souvent victimes les étudiants.
Imaginez une bibliothèque où les livres ne sont pas faits de papier, mais de chair et de sang. Une bibliothèque où, plutôt que de lire des mots sur une page, vous écoutez les histoires de personnes qui ont vécu des expériences hors du commun. Né au Danemark en 2000, le concept de bibliothèques vivantes a rapidement voyagé à travers le monde. Son principe est simple : des personnes, appelées "livres", partagent leur histoire personnelle en lien avec la santé mentale avec des "lecteurs" lors d’échanges en face-à-face.
Samedi 25 janvier, la médiathèque du Bachut Marguerite Duras à Lyon accueille ces livres vivants. Jean-Michel, Jordan, Sylvie, Mathilde, Romain, Jonathan, sont présents pour conter leurs récits de vie aux personnes qui le souhaitent.
Un stand situé à l’entrée de la médiathèque met à disposition les couvertures des livres vivants disponibles à la lecture. Sylvie a choisi le livre intitulé Sex, drugs & Rock’n roll. Pendant dix minutes Jean-Michel, souffrant d'un trouble bipolaire, va lui raconter comment il a traversé les périodes difficiles de sa maladie, sa lutte contre l’addiction à l’alcool et les différents impacts sur sa vie au quotidien.
Interventions en milieu scolaire et universitaire
Une fois le récit terminé, Sylvie s'épanche sur cette expérience hors-norme. "Je ne savais pas exactement à quoi m’attendre et au final j’ai trouvé ça très enrichissant. Il faudrait qu’il y ait encore plus de personnes qui viennent à ces rencontres parce qu’il y a un vrai manque de connaissances sur les troubles psychiques. Beaucoup pensent que ce sont des personnes dangereuses alors que c’est un gros préjugé", affirme Sylvie. "On se sent utile aussi parce qu’on donne une écoute", poursuit-elle.

Des séances d'écoutes tellement "utiles" qu'elles se sont étendues aux milieux étudiants, où l’on sait que le stress et les problèmes de santé mentale sont récurrents. "On intervient souvent dans des écoles et des universités", indique Colline Attal, coordinatrice à la ZEST et elle-même livre vivant. La ZEST, ou la zone d’expression contre la stigmatisation, créée dans le cadre du centre référent lyonnais ressource de réhabilitation psychosociale (CRR), est un collectif de professionnels et de personnes concernées par la santé mentale, chargé d’organiser ces bibliothèques vivantes. En effet, facultés, écoles et médiathèques sont souvent investies par le collectif qui préfère organiser ces rencontres dans des lieux ouverts à un large public.
Une manière de lutter contre les préjugés
Troubles du sommeil, addictions, traitements médicamenteux, effets secondaires... Dans le détail, les récits entendus lors de ces rencontres sont très variés et permettent à un public pas toujours sensibilisé à entendre le vécu de personnes concernées par la maladie mentale. Cela peut être des personnes vivant avec un trouble de santé mentale mais aussi des proches, des aidants et même des professionnels de santé mentale.
Et pour cause, la force des bibliothèques vivantes réside dans leur capacité à humaniser des sujets souvent perçus comme abstraits ou méconnus en confrontant les personnes concernées avec le reste de la population. "C’est la meilleure manière de déstigmatiser, affirme Nicolas Franck professeur de psychiatrie et responsable du CRR. Parce que ça montre que les personnes atteintes de troubles psychiques sont humaines avec leur propre sensibilité, leurs propres préoccupations."
Et le professeur de conclure : "La santé mentale est victime de beaucoup de stéréotypes négatifs et souffre d’une grande stigmatisation. Il y a un véritable manque de culture de santé mentale dans la population." Et comme le rappelle, la Psycom, la stigmatisation associée à ces conditions peut entraîner une réticence à chercher de l'aide, une isolation sociale et une détérioration de la qualité de vie. En ce sens, les bibliothèques vivantes représentent des leviers d’éducation et de transformation sociale.
"Des conversations qu’on n’a pas l’habitude d’avoir"
À l’issue de la séance hébergée par la médiathèque du Bachut Marguerite Duras, Mathilde, 25 ans et "livre vivant" depuis plusieurs années, se confie sur les deux lectures qu'elle vient tout juste d'achever.
Un exercice que la jeune femme "adore" car il "crée des conversations qu’on n’a pas l’habitude d’avoir. C’est une véritable satisfaction de se dire qu’on fait quelque chose qui sert à la société. C’est d’autant plus important parce que parfois j’ai été confrontée à des personnes qui sont remplies de préjugés et c’est là qu’on se dit qu’on n'a pas encore gagné la guerre".