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Décryptage

Comment le congé menstruel trouve sa place dans les universités

Pour la plupart des universités interrogées, la mise en place du congé menstruel ne doit pas pour autant aboutir à une banalisation des douleurs.
Pour la plupart des universités interrogées, la mise en place du congé menstruel ne doit pas pour autant aboutir à une banalisation des douleurs. © Adobe Stock/natus111
Par Amélie Petitdemange, Rachel Rodrigues, publié le 11 septembre 2024
7 min

Après l'université d'Angers en 2023, quatre universités proposent un congé menstruel à partir de la rentrée 2024. Objectif : permettre aux étudiants de s'absenter lors de règles douloureuses. Un dispositif qui fait l'unanimité dans ces établissements même si les démarches diffèrent.

"On attendait ça depuis longtemps", confie Alba*, étudiante en M2 psychologie à l'université d'Angers (49). La jeune femme de 21 ans se réjouit d'avoir pu bénéficier du congé menstruel à plusieurs reprises, l'année dernière.

Même soulagement pour Elise, étudiante en M1 psychologie dans la même université : "Quand j'ai appris l'existence de ce congé, je me suis dit que j'allais enfin pouvoir être bien dans mon corps sans nuire à ma scolarité".

Lancé en septembre 2023 par l’université d’Angers (49), ce dispositif essaime dans les établissements. Les universités de Bordeaux, Bordeaux Montaigne, Paris-Est Créteil (Upec) et Sorbonne Paris Nord ont ainsi voté son instauration pour la rentrée 2024. L'université de Montpellier 3 - Paul Valéry (34) avance aussi sur ce projet et prévoit son lancement d'ici quelques mois.

Briser le tabou des règles douloureuses

Pour Hervé Jami, directeur du SSU de l'UPEC (94), l'objectif du congé menstruel est surtout de "faire prendre conscience du côté invalidant que les règles peuvent générer" chez les personnes menstruées. Elise se souvient encore des heures de cours qu'elle a dû passer pliée sur sa chaise, à cause de douleurs trop fortes pendant ses règles, "souvent le premier ou le deuxième jour", précise-t-elle.

Chaque mois, certaines femmes souffrent de symptômes plusieurs jours lors de leurs menstruations. "Cela peut être des crampes, des douleurs, des vomissements, des étourdissements ou de la fatigue extrême, ce qui peut entraîner une difficulté de concentration ou même de présence et de suivi des cours", explique Karima Nakache, présidente de l'association Règle On Ça !.

Une problématique d'hygiène se pose également, "avec des établissements publics ou l'hygiène n'est pas optimale", ajoute Patrick Rateau, vice-président du Conseil des études et de la vie universitaire de l'université Montpellier 3 - Paul-Valéry, qui accompagne le dossier des congés menstruels.

Avant ce congé, beaucoup d'étudiantes prenaient sur elles, n'osant pas s'absenter pour un tel motif. "Je me forçais à aller en cours, admet Alba*. Le fait d'avoir cette possibilité, de ne pas avoir à se justifier à chaque fois par rapport à notre douleur, ça déculpabilise."

Selon Karima Nakache, l’instauration du congé menstruel participe à la déstigmatisation des menstruations dans la société. "Cela va normaliser le fait d’avoir besoin de temps pour gérer les menstruations et leurs symptômes et réduire la gêne qui entoure les règles", affirme-t-elle.

Des démarches différentes selon les universités

Cependant, les conditions pour bénéficier du congé diffèrent selon les universités. Ainsi, à l'université d'Angers, le congé s'appuie sur du déclaratif : remplir un formulaire d'absence sur l'ENT suffit. "Aucun document n'est demandé, le but étant de ne pas rompre le secret médical", confirme Florence Hartheiser, médecin généraliste au SSU d'Angers. Par ailleurs, l'université angevine ouvre ce congé à tous, y compris aux hommes. Les étudiants en transition de genre peuvent en effet avoir des syndromes pré-menstruels ou menstruels.

L'université de Montpellier 3 prévoit aussi d'asseoir son dispositif sur du déclaratif. La mise en place de ce congé menstruel a été reportée "pour des difficultés techniques qui retarderont sa mise en place au deuxième semestre ou à l’année prochaine", explique Patrick Rateau. L’université doit en effet créer un suivi du nombre d’absences par étudiante afin de ne pas dépasser le quota de dix jours.

D'autres établissements imposent l'obtention d'une autorisation au préalable, en début d'année ou quelques jours avant la date du congé. À l'UPEC, toute étudiante souhaitant avoir recours au congé menstruel doit fournir un certificat médical à la scolarité. "Celui-ci sera valable durant toute l'année universitaire, précise Hervé Jami, directeur du SSU. Il pourra être obtenu auprès d'un médecin du service de santé ou de tout autre médecin généraliste." C'est également le cas de l'université Bordeaux-Montaigne, où la présentation d'un certificat médical une fois au début de l'année suffit. 

En revanche, à l'université de Bordeaux (33), les étudiantes n'ont pas à fournir de certificat médical, mais doivent solliciter une attestation d'absence de 24 heures auprès du SSE, à chaque fois qu'elles souhaitent s'absenter pour règles douloureuses.

Entre 10 et 15 jours de congé menstruel par an

Le nombre de jours accordés par an peut également varier. Ainsi, les universités de Paul Valéry-Montpellier 3 et d’Angers permettent 10 jours d’absence, quand celle de Bordeaux Montaigne a statué sur 15 jours, et celle de l'UPEC, 12. 

"Nous aurions aimé plus de jours, mais certains enseignants craignaient que les étudiants s'en servent pour sécher les cours", explique Marion Lafon, présidente de l’Unef Bordeaux. 

L’université de Bordeaux n’a quant à elle pas fixé de plafond, mais autorise une absence de 24 heures, renouvelable au bout de 21 jours.

Favoriser un suivi médical sur le long terme

Mais outre cette possibilité d’absence, "il faut sensibiliser à l'idée que ne pas pouvoir aller en cours à cause des douleurs de règles n'est pas normal", ajoute Florence Hartheiser. Pour la plupart des universités interrogées, la mise en place de ce congé menstruel ne doit pas pour autant aboutir à une banalisation des douleurs. "L'idée est de les inciter à aller vers une prise en charge", affirme Hervé Jami.

Qui plus est, selon la médecin généraliste du SSU d'Angers, il est préférable de ne pas rencontrer l'étudiante "au moment où elle va mal", mais d'organiser des consultations plus tard pour être plus efficaces et trouver de vraies solutions à long terme.

Dans le cas des universités qui demandent un certificat, la consultation à réaliser à l’espace de santé étudiant permet un suivi médical. L’étudiante est en effet reçu par un médecin ou une sage-femme qui va lui poser des questions sur ses règles douloureuses et éventuellement lancer un processus de tests par rapport à l'endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques.

Vers une généralisation du congé menstruel ?

La mise en place d’un congé menstruel dans ces universités devrait ouvrir la voie aux autres établissements. "C’est une tendance qui va augmenter, souvent les universités attendent de voir comment font les autres pour s'y mettre", estime Patrick Rateau. 

Alba s'étonne même que le dispositif ne soit pas encore mis en place dans toutes les universités : "Ça devrait être le cas partout", argue-t-elle. Au-delà du monde de l'enseignement supérieur, la question se pose d’ailleurs au niveau national, après une tentative en avril dernier de projet de loi instaurant un congé menstruel dans les entreprises.

Une revendication de longue date des associations étudiantes

L'essor de ce dispositif dans plusieurs établissements en France s'explique en partie par les revendications des associations sur les campus. À l’université Bordeaux Montaigne, les syndicats étudiants Unef et EBM (Étudiant.e.s Bordeaux Montaigne) ont porté la question du congé menstruel auprès de la présidence de l’université, avec une pétition et des témoignages de personnes menstruées qui ne pouvaient pas venir à l'université. 

"Nous avons eu des rendez-vous avec la présidence, qui a très bien reçu notre demande. Nous avons même évoqué la possibilité de l'étendre au personnel de l'université", raconte Marion Lafon. 

La demande a également été bien reçue à l’université d’Angers, se souvient Arthur Léveque, président de l'Unef d'Angers. "C'est appréciable de mener des réformes progressistes sans accroc", souligne l’élu étudiant. "L'initiative a tout de suite été soutenue par la politique interne de l'université", abonde Florence Hartheiser. 

Même constat du côté de Montpellier où "il y a eu très peu de freins idéologiques", considère Patrick Rateau.

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