La difficile combinaison entre deuil et études : "Six mois après la mort de son père, elle avait encore besoin de temps pour pleurer"

Fatigue, troubles de la concentration, isolement… Poursuivre ses études après la perte d’un proche peut être un véritable défi. Des étudiants racontent à l'Etudiant comment ils ont concilié deuil et scolarité.
Quand un être aimé décède, les épreuves s’enchaînent. Un choc émotionnel intense, un deuil – parfois très long et douloureux. Pour certains, de nouvelles responsabilités aussi, à assumer très jeune : la prise en charge d’un proche, un enterrement, des démarches administratives…
Dans ces périodes difficiles, "les étudiants sont en général mal accompagnés", constate Christine Lefrou, enseignante-chercheuse à l’Institut national polytechnique (INP) de Grenoble. "Le deuil est un processus naturel, dont une partie se déroule de façon indépendante de notre volonté, poursuit-elle. On est dans une période de fragilité, il faut être conscient que ça consomme de l'énergie."
Bénévole au sein de l’association JALMAV (Jusqu'À La Mort, Accompagner La Vie), dédiée à l'écoute des personnes endeuillées, Christine Lefrou rencontre "de plus en plus" d’étudiants depuis la crise du Covid-19.
Reconnaître les symptômes du deuil
Léa fait partie de ceux-ci. En mai 2021, à l'âge de 19 ans, elle perd sa maman. Un décès qui survient trois semaines avant son premier entretien d’admission en école d’ingénieurs. "J’y suis allée en mode pilote automatique", raconte l’étudiante, qui sera admise dans une école à Clermont-Ferrand.
Mais quelques semaines après la rentrée, Léa réalise qu’elle décroche. "Je sentais qu’il y avait un truc qui allait me tomber dessus sans savoir ce qui allait m’arriver…", se souvient-elle. Au moment des partiels, la situation devient intenable. "J’ai commencé à avoir des trous de mémoire, des problèmes de concentration, du mal à dormir, des règles très douloureuses, des migraines…" Elle a beau lire dix fois la même phrase, elle ne mémorise rien.
Elle décide d’alerter une de ses professeurs et son directeur des études. Soutenue, elle demande une année blanche. "Ils m’ont dit qu’il fallait que j’aille le plus possible à l’école, donc j’y allais une fois par semaine." Problème : "On n’avait pas statué de quoi que ce soit donc c’était un peu angoissant." Ce n’est qu’à la fin de l’année que Léa obtient confirmation qu’elle pourra reprendre son cursus là où elle l’avait interrompu.
Tester des dispositifs d’accompagnement concrets
Touchée par les difficultés des jeunes, Christine Lefrou a lancé le projet Etu’Deuil en 2023. Elle y mène des actions concrètes pour soutenir les étudiants endeuillés. "Notre objectif est d’expérimenter des dispositifs. Puis de les évaluer et d’en faire la publicité pour donner des idées à d’autres établissements d’enseignement supérieur", précise l’enseignante.
L’un des principaux enjeux : les aménagements de scolarité. Avec le deuil, il est difficile pour certains de suivre un rythme universitaire intense. Christine Lefrou cherche à mettre en place des procédures adaptées – d’un assouplissement de l’emploi du temps à une période de césure, en passant par des aménagements pour les examens. "Il faut établir un cadre clair pour ne pas faire n’importe quoi", précise-t-elle.
L’enjeu est ainsi d’identifier les outils existants et de les adapter aux besoins spécifiques des jeunes en deuil. "Une étudiante, six mois après la mort de son père, avait encore besoin de temps pour pleurer quelques minutes et revenir. Elle a obtenu un tiers temps, comme les étudiants en situation de handicap", illustre-t-elle.
Besoin de soutien
En plus d'aménagements logistiques, certains ont aussi besoin de soutien. En 2023, Rhudiar, alors étudiant en master hydraulique à l’INP de Grenoble, perd son père. "J’ai vu mon monde s’effondrer", souffle-t-il. Au-delà du chagrin, il se retrouve bloqué en France, sans pouvoir rentrer au Cameroun – son pays d’origine – pour assister aux obsèques. "On était à une semaine et demie des examens, j’étais abandonné à moi-même. En France, je n’ai pas de famille."
Il trouve du soutien auprès de son responsable de formation, qui l’appelle très régulièrement pour prendre des nouvelles. Il reçoit également l’aide de la fondation Étu’Deuil. "Je pouvais les contacter à n’importe quelle heure. Pour demander des conseils, pour ma recherche de stage…"
Sa situation financière devenue très précaire après la mort de son père, la fondation le met en relation avec une assistante sociale qui lui permet d’accéder au repas à un euro, et l’aide même à financer sa deuxième année de master. "Ce sont eux qui m’ont permis d’aller jusqu’au bout de la formation, raconte-t-il. Tout ce que j’ai eu à faire, c’est assister à tous les cours et valider mon année."
"Il n'y a pas de méthode magique"
Pour surmonter le deuil, il est aussi nécessaire de prendre du temps pour soi. Pour Rhudiar, l’essentiel est de ne pas rester isolé et d’être occupé. "Mon meilleur ami m’a dit : 'Tu ne dors pas seul.' Il veillait sur moi." Il se plonge par ailleurs à corps perdu dans les études : "Je devais aller jusqu’au bout, pour que mon père soit fier de moi. Ça me motivait et m’apaisait." Il se rend aussi à la salle de sport "trois fois par semaine", et au bowling ou au foot le week-end.
Léa, au contraire, ressent le besoin de ralentir. "Pendant six mois, j’ai suivi une thérapie, écouté des podcasts, lu des témoignages. Et beaucoup dormi." Elle s’appuie aussi sur son petit ami – pour les tâches du quotidien, les courses, les repas – ainsi que sur ses amis, avec qui elle discute, se promène ou fait de la peinture.
Pour aller mieux à la suite d'un deuil, "il n’y a pas une méthode magique, souligne Christine Lefrou. Toutes les réactions sont les bonnes !"
Si vous êtes en détresse psychologique, vous pouvez contacter :
- Le 3114, numéro vert dédié et gratuit, 24h/24
- SOS amitié, 09 72 39 40 50, 24h/24
- Fil santé jeunes, 0 800 235 236, de 9h à 23h
- Nightline, de 21h à 2h30
- Le 15 en cas d’urgence.