Santé mentale : le tabou se lève, mais consulter un psy n’est pas encore normalisé chez les jeunes

La santé mentale des étudiants est un sujet de plus en plus documenté et suivi, jusqu'au gouvernement. Et si les jeunes sont plus enclins à en parler que leurs aînés, consulter un psychologue reste une démarche taboue.
Parler de santé mentale deviendrait-il de plus en plus facile ? Ce sujet, érigé en Grande Cause Nationale 2025 par le gouvernement, fait régulièrement la une de l'actualité, que ce soit pour quantifier le mal-être des étudiants, leur donner la parole, ou mettre en place des dispositifs d'aide aux étudiants en détresse. Pour autant, cette libération de la parole ne se traduit pas systématiquement par un accès aux soins.
La santé mentale, un sujet de plus en plus normalisé
"Quand mes parents se sentaient mal, ils ne pensaient pas à aller voir un professionnel de santé, mais plutôt à résister en attendant que ça passe. De nos jours, on est plus informés et outillés sur le fait qu’il y a d’autres solutions", pointe Louis Soutrelle, jeune psychologue au SSE de l'université Paris 8.
Selon lui, les jeunes ont désormais plus de place pour exprimer leur mal-être, avec le développement de cellules d’écoute par exemple. Les réseaux sociaux déstigmatisent également le fait de ne pas aller bien.
D’un côté, des comptes spécialisés sur la santé mentale diffusent des podcasts sur les violences sexistes et sexuelles, l’addiction, l’anxiété, la dépression… De l’autre, des personnalités n’hésitent plus à parler de leur santé mentale. "Nous sommes une génération qui s’identifie beaucoup aux personnes qu’on admire, donc lorsqu’elles parlent d’être allé voir un psy, on se dit qu’on peut faire pareil", assure Louis Soutrelle.
L’impression de pouvoir s’en sortir seul
Selon Nasrine, étudiante en génie biologique et santé à Polytech Angers (49), le Covid a aussi été un déclic. "On a commencé à parler de santé mentale, à dire qu’on n’allait pas bien. Même si c’est encore un tabou, les jeunes en parlent donc plus naturellement", assure-t-elle.
L'étudiante de 23 ans est devenue écoutante sur la plateforme Nightline, après avoir elle-même bénéficié de ce service. Pour elle, sauter le pas de ce premier appel a été très difficile. "J’avais la fierté de dire que je n’avais pas besoin d’aide et que je pourrais m’en sortir seule", se souvient-elle. Aussi, Nasrine a laissé passer une longue période de mal-être avant de décrocher son téléphone, finalement convaincue par l'anonymat des appels et le fait que les écoutants soient des étudiants. "Au début, je raccrochais sans réussir à parler. Au bout de plusieurs appels, j’ai réussi à dérouler mon histoire. J’ai pris conscience que ça me faisait vraiment du bien de parler, donc j’ai pris rendez-vous avec un psy", raconte l’étudiante.
Mais la jeune femme n’ose pas se rendre aux rendez-vous, qu’elle annule un par un. C’est grâce à une de ses enseignantes qu’elle finit par y arriver. "Elle a vu que j’avais besoin d’aide et m’a accompagnée dans la démarche, de la prise de rendez-vous jusqu’à m’y accompagner. Ça m’a permis d’aller voir une psychologue puis un psychiatre", témoigne Nasrine.
Une vision du psy influencée par les parents
Le tabou autour de la psychologie dépend entre autres de l’éducation et du cercle familial. Si consulter un psy est plus naturel pour les jeunes, ils restent en même temps influencés par l’image souvent négative renvoyée par leurs ainés. "Pour ma mère, aller voir un psy, c’est pour les fous. J’avais très peur d’aller dans une démarche de soin, car mon environnement familial était dans la stigmatisation", raconte Nasrine.
Pour autant, toute la génération précédente ne pense pas de cette façon. "Je connais des jeunes qui voient un psy depuis longtemps, mais ça vient du fait que leur famille était ouverte à ces sujets, ou allaient eux-mêmes voir un psy. Ça joue énormément d’avoir une famille qui pousse ou qui freine."
Erina, étudiante en master gestion de l'information et médiation et alternante à Saumur (49), a justement été encouragée à aller voir une psy par sa mère. "J’ai débuté la thérapie il y a quatre ans, quand, elle aussi, a commencé ce travail", explique la jeune femme de 22 ans.
La facilité à parler de sa santé mentale peut aussi apparaitre lorsque l’on quitte le domicile familial. "En famille, ça reste un peu tabou, on s’ouvre plus lorsqu’on part. On a aussi plus de temps et d’espace pour penser à ces thématiques", affirme Erina.
La société valorise le bien-être
Si ce tabou se lève petit à petit, plusieurs raisons causent cette stigmatisation, explique Louis Soutrelle. "Beaucoup de jeunes que je reçois en consultation expriment la honte qu’ils ont à parler de leur santé mentale. Cette émotion naît dans ce qu’on pense que l’autre croit de nous. Une petite voix nous dit qu’aller mal, c'est être faible, qu’aller voir un psy est un échec."
Selon lui, cette peur est nourrie par une société qui valorise la réussite, l’autonomie et le fait d’aller bien. "On nous dit qu’il faut être fort dans nos études, la démotivation passe pour de la fainéantise, les stars sur les réseaux ne montrent que leur meilleure vie… Ainsi, parler de son mal-être donne l’impression de ne pas remplir un contrat social implicite", pointe le psychologue.
La représentation des troubles de santé mentale dans les séries et films pourrait aussi jouer. "Les gens avec des troubles de santé mentale sont parfois décrits comme dangereux. Et la dépression est vue comme un trou noir alors que c’est quelque chose de plus graduel et fluctuant", souligne-t-il.
Enfin, l’entourage peut faire culpabiliser sans le vouloir, en disant qu’il faut "penser à autre chose". "Nous avons une éducation émotionnelle quasi inexistante, on apprend à faire des équations, mais pas à identifier ce qu’il se passe en nous. Et comme le fait de ne pas aller bien est angoissant, on essaie de minimiser son mal-être ou celui de l’autre", explique le psychologue.
Ainsi, de nombreux patients ressentent un manque de légitimité. "Ils me disent que ce n’est peut-être pas grave, qu’ils ne sont pas sûrs de savoir pourquoi ils sont là… Comme s’il fallait attendre d’être au bout du rouleau pour consulter", illustre Louis Soutrelle.
Manque d’informations sur les dispositifs
Le coût d’une thérapie est un autre frein. Si des dispositifs gratuits existent, les démarches sont parfois compliquées, avec de longs délais d’attente.
"Par exemple, au CHU de Nantes, les étudiants peuvent consulter gratuitement un psychologue. Mais il y a trois mois d’attente pour un premier rendez-vous, c’est le bout du monde quand on a des problèmes de santé mentale ! Et il faut les harceler pour avoir un rendez-vous, ce n’est pas évident quand on ne va pas bien", témoigne Erina.
Malgré plusieurs dispositifs existants, comme Santé Psy Etudiant qui ouvre à 12 séances gratuites chez un psychologue, les jeunes manquent d'informations, ainsi que leurs enseignants. "Si les profs ne sont pas sensibilisés à la santé mentale, ils ne vont pas nous en parler", regrette Erina.
Pour elle, il est important de souligner "qu’il n’y a pas de petit problème ni de petit sujet". Un avis partagé par Nasrine. Si le fait d’aller voir un psy vous intimide, elle conseille d’y aller "petit à petit, par exemple en commençant par une ligne d’écoute" comme Nightline.
Que faire si je vais mal ?
Vous vous sentez seul(e)
Loin de votre famille, nouveau à l'université… L'isolement est un facteur de mal-être. La psychiatre Amandine Buffière conseille de s'intégrer dans une association sportive ou culturelle, même si cela peut être difficile lorsqu'on ne va pas bien.
Vous pouvez aussi vous rendre dans le SSU afin de bénéficier d'une consultation et d'être redirigé vers d'autres dispositifs selon vos besoins.
Vous traversez une période difficile.
Au moindre épisode de tristesse, trouvez quelqu'un à qui vous confier. Vous pouvez vous tourner vers un BAPU ou une plateforme téléphonique type Nightline ou Cnaé.
Sur le site kitdevie.fr créé par Nightline, vous trouverez aussi des conseils, avec des outils pour prendre soin de soi et de votre santé mentale et de vos proches : exercices de respiration, identification des émotions, ou encore dictionnaire de la santé mentale.
Votre santé mentale risque d'influer sur vos études
Lorsqu'on va mal, les études en pâtissent. Pour vous aider, les BAPU peuvent demander aux SSU des adaptations des études ou des examens, comme un allongement des études. Ces aménagements permettent de continuer ses études malgré un trouble de santé mentale.