Année de césure : pourquoi les jeunes Français n’osent toujours pas sauter le pas ?

Les jeunes Français sont encore peu enclins à faire une année de césure. Le système éducatif valorise davantage les parcours linéaires, qui sont aussi moins onéreux pour les familles.
En France, les lycéens et les étudiants osent encore trop peu saisir l’opportunité d’une année de césure, pour vivre un engagement associatif ou une expérience à l’étranger. Les parcours d’études sont à 85% linéaires sans interruption, selon une étude du Cereq publiée en février 2025.
Samuel, 18 ans, est en prépa ECG à la Prépa Autrement. Si le jeune homme prévoit une réorientation, il n’a jamais envisagé la possibilité de faire une année de césure. "Je préfère rester sur les rails. Plus je finis mes études jeune, mieux c’est", affirme-t-il.
Un avis partagé par Victoria, étudiante en licence de sociologie à l’université Paris Saclay. "Mes études me plaisent, mais je veux les terminer au plus vite. Je suis à l’école depuis que je suis petite !" témoigne la jeune femme de 21 ans.
Selon une étude menée par Ipsos fin 2023 pour l’Agence du service civique, 46% des 16-25 ans qui n’ont pas réalisé de césure l'expliquent par le fait de vouloir finir leurs études au plus vite.
Finir vite… pour gagner vite
Plusieurs facteurs créent cette course à la diplomation. Le coût d’une année de césure est un frein, notamment chez les jeunes les moins favorisés. Plus d’un tiers des 16-25 ans qui n’ont pas réalisé d’année de césure estiment qu’ils n’ont pas les moyens financiers d’en faire une, pointe l’étude Ipsos.
Samuel désire en effet "commencer à travailler jeune pour avoir une indépendance financière".
"Si la césure consiste à apprendre des choses, voyager… il faut de l’argent. Sans capital financier, on se retrouve avec un petit boulot et on risque d’y rester", ajoute Victoria.
En France, on ne peut normalement pas cumuler une bourse sur critères sociaux et une année de césure. "Dans des pays comme le Danemark, où tous les étudiants reçoivent une aide financière, on favorise la mobilité sociale", pointe Camille Peugny, sociologue spécialiste de la jeunesse.
En France, où la bourse du Crous est délivrée selon les revenus des parents, "une grande partie des jeunes est sous étroite dépendance familiale", souligne-t-elle. S’installe ainsi une "rhétorique de l’urgence". "Sans soutien universel, les jeunes ont l’impression d’être un poids pour leur famille pendant les études, qui doivent donc être faites le plus vite possible", explique-t-elle.
Pour autant, une aide universelle ne changerait pas totalement la donne. "C’est aussi une question de culture et de rapport aux études", pointe Nathalie*, psychologue de l'Éducation nationale. Les familles moins favorisées n’ont pas l’habitude d’envoyer leurs enfants à l’étranger, et les jeunes n’ont pas ce modèle parmi leurs frères et sœurs ou leurs amis. Dans le lycée de banlieue populaire où elle intervient, la césure "n’est pas un sujet pour les profs et n’est envisagée par aucun élève".
Une césure encore peu valorisée
Les étudiants craignent par ailleurs qu’une césure ne les pénalise dans leurs parcours. Les compétences acquises lors d’une césure, comme l’apprentissage d’une langue par exemple, sont encore trop peu valorisées.
"L’année de césure est assez mal vue par mon entourage, ils considèrent que c’est une année de relâchement", illustre Victoria. Son établissement ne l’encourage pas non plus. "L’université pourrait nous montrer ce qu’on peut faire pendant une année de césure, il y a énormément de possibilités. Il faut avoir les bonnes informations pour faire une césure. Sans ces connaissances, ce n’est même pas envisageable pour la plupart des étudiants", explique-t-elle.
Si l’année de césure est relativement connue, les modalités pour en réaliser une restent floues, souligne l’étude Ipsos : la moitié des 16-25 ans se disent mal informés sur la possibilité de réaliser cette césure pendant leurs études.
"On risque de perdre le rythme"
Auprès des professionnels, les jeunes sont parfois dissuadés de prendre une année de césure. Selon Nathalie, l’année de césure est à privilégier lors des études supérieures. "Je ne le préconise pas aux lycéens, qui peuvent avoir du mal à reprendre leurs études après un an. C’est comme un sportif de haut niveau qui arrête le sport. La césure demande de la maturité et un investissement dans les études", explique-t-elle.
"Il vaut mieux commencer ses études directement après la terminale, sinon on risque de perdre le rythme", confirme Samuel.
Malgré ces parcours encore très linéaires, la césure fait petit à petit sa place. "De plus en plus d’étudiants s’en saisissent pour vivre un engagement associatif", affirme Maëlle Nizan, présidente de l’association étudiante Fage. Valoriser ce pas de côté reste un défi, mais de plus en plus d’étudiants sont prêts à le relever.