Portrait

Anthime Jeante, un polytechnicien en immersion en prison

Anthime Jeante a choisi de faire six mois de stage dans une maison d'arrêt.
Anthime Jeante a choisi de faire six mois de stage dans une maison d'arrêt. © photo fournie par l'établissement
Par Agnès Millet, publié le 21 février 2022
5 min

GÉNÉRATION ENGAGÉE. Dans le cadre de sa formation, ce jeune étudiant de Polytechnique a choisi de s'impliquer six mois dans une maison d'arrêt pour donner des cours aux détenus. Pour lui, une mission utile pour ses élèves et pour la société.

C'est dans le Périgord rural qu'Anthime Jeante, issu d'un milieu "modeste", obtient son bac S. "J'étais bien loin des filières de prépas scientifiques", affirme-t-il. Pour autant, à l'exemple de son frère, il découvre et suit cette voie en intégrant une CPGE (classe préparatoire aux grandes écoles) bordelaise. "C'était un nouvel univers pour moi. Il a fallu s'adapter aux exigences académiques mais aussi à un milieu différent de celui que j'étais habitué à côtoyer".

Une adaptation néanmoins réussie, puisqu'Anthime décroche une place dans la meilleure des écoles d'ingénieurs : Polytechnique !

Un engagement auprès des détenus

Au-delà de son prestige, Polytechnique, sous tutelle du ministère des Armées, a la particularité de proposer un cursus commençant par six mois de "période de formation humaine et militaire", avec rapport à rédiger et évaluation.

Chaque élève choisit une structure et peut découvrir l'univers des corps militaires (armée de terre, armée de l'air, marine ou gendarmerie). C'est le cas de trois quarts des étudiants. Anthime se porte vers une mission civile, plus atypique.

"Lorsque j'ai vu qu'il y avait la possibilité de donner des cours de soutien à des détenus, cela a tout de suite été une évidence. J'avais déjà donné des cours à des collégiens, l'enseignement m'attirait", explique-t-il posément.

Et précise, "si je me suis engagé là, c'est que j'y trouvais du sens, celui de donner une chance à l'homme qui se cache derrière le détenu. J'aimerais que tout le monde ait un accès égal à l'enseignement".

Les premiers jours derrière les barreaux

Cet univers mal connu du grand public, le jeune homme de 19 ans a dû l'apprivoiser. Depuis son arrivée dans une prison du centre de la France, en octobre, il est accompagné par l'enseignant du site, qui lui donne des conseils sur ce contexte particulier et les tensions psychologiques qu'il crée.

"Ce n'est pas anodin de pénétrer dans une maison d'arrêt. Il y a des lois nouvelles : pour qu'une porte s'ouvre, il faut qu'un surveillant vous l'ouvre. Je suis entré progressivement."

Ensuite, est venue la rencontre avec les détenus. "On ne sait pas pourquoi les gens sont là, mais seulement que quelque chose de grave s'est passé. C'est un monde de tension permanente, qui crée une grande vigilance. Les premiers jours, lorsque je rentrais chez moi, le soir, j'étais exténué."

Transmettre les codes de la vie en société

Jusqu'en mars, Anthime sera donc prof à temps plein. Il passe la moitié de la journée à préparer ses cours et l'autre moitié auprès des détenus.

Le programme est varié : "J'enseigne le français à des détenus dont ce n'est pas la langue. Je donne des cours de maths, depuis les bases de l'addition jusqu'aux équations ou aux probabilités de niveau lycée."
Avec un fil rouge : les cours de programmation informatique. "L'enjeu de ce cours, c'est un travail sur soi-même, à travers la programmation d'un robot qui doit suivre un circuit. Le détenu s'attend à ce que le robot fasse tout de suite ce qu'il veut. Mais cela ne fonctionne jamais du premier coup. L'objectif est de comprendre que, si l'on ne peut pas empêcher la contrariété et la frustration, on peut, en revanche, essayer de les rendre tolérables".
L'enseignement en prison est très différent de l'enseignement normal, note le jeune homme. "Les détenus n'ont pas choisi d'être là et il peut y avoir plusieurs raisons qui les pousse à prendre des cours : c'est l'opportunité de distraction ou d'une remise de peine".

Il est convaincu d'une chose : "l'enseignement en prison n'est pas un luxe inutile que l'on fournit aux détenus. L'objectif premier n'est pas qu'un quadragénaire reprennent des études à haut niveau, mais bien de donner des outils pour que ces personnes s'adaptent à la société. Ça a beaucoup plus de sens que ce que l'on imagine", s'écrie Anthime qui se "sent utile" et se dit "fier" de ce qu'il a pu apporter à chacun de ses élèves.

Prolonger l'engagement ?

"Il est certain que cette expérience me laissera des traces", souffle Anthime qui ne sait pas encore s'il pourra poursuivre la mission, au-delà de cette période de six mois.

Une chose est sûre. "L'entraide sociale est quelque chose de très important pour moi. Que ce soit dans mon cadre professionnel ou dans une association, j'espère avoir une situation qui me permettra d'aider les autres, plus tard."

"Génération engagée"
A l'occasion de l'élection présidentielle, l’Etudiant a donné la parole à des jeunes – lycéens, étudiants, etc. – engagés dans des projets citoyens, associatifs ou encore politique. Tout au long de la campagne, nous avons brossé le portrait de cette génération engagée. Une occasion de connaitre aussi leur vision de cette élection, des candidats et les enjeux qui leur sont chers.

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