Journée internationale des droits des femmes : "Les garçons ne se sentent pas concernés, ils croient qu’il n’y a plus de sexisme en France"

La perception du sexisme en France est de plus en plus différente entre les jeunes femmes et les jeunes hommes, dévoile le nouveau rapport du Haut Conseil à l’Égalité. Un constat partagé par des étudiantes féministes, alors qu'a lieu la journée internationale des droits des femmes ce samedi 8 mars.
"Les femmes sont plus féministes, et les hommes plus masculinistes, surtout les jeunes", pointe Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l’Égalité, dans le rapport 2025 sur l'état du sexisme en France, publié le 20 janvier dernier.
Selon cette étude annuelle, 94% des femmes de 15 à 24 ans estiment qu’il est difficile d’être une femme dans la société actuelle, une progression très importante de 14 points par rapport à l’an dernier. De leur côté, seulement 67% des hommes de 15-24 ans le pensent (+8%). Ils sont même 11% à penser qu’il est plus difficile d’être un homme qu’une femme. La difficulté perçue d’être un homme dans la société actuelle a progressé de 19 points auprès des hommes de 15-24 ans.
Comment expliquer cette polarisation de plus en plus marquée dans la jeunesse ?
Miroir du débat médiatique et politique
L'étude souligne que ces chiffres sont le miroir des idées relayées dans les médias et le débat politique : "À force de constater dans la parole publique que le sexisme est une opinion comme le féminisme en est une autre, l’expression des hommes dans la société se libère aussi sur ces questions".
Les étudiantes Nina Lixi et Déborah Cane, présidente et vice-présidente de l'Union des féministes d’Assas, ont notamment observé cette polarisation lors du procès des viols de Mazan.
"Ces viols ont montré ce qu’on dit depuis longtemps : l'agresseur peut être n'importe quel homme, malgré ce que pensent certains, sur la couleur de peau par exemple. Le dénominateur commun, c'est d’être un homme", explique Déborah Cane. Pourtant, les jeunes hommes autour d'elles ne se sont pas remis en question et n'ont pas interrogé l'aspect systémique du sexisme. Leur réaction a été "le rejet immédiat", témoigne l'étudiante.
Selon Nina Lixi, "la volonté de lutter contre le sexisme reste très genrée". L'Union des féministes d’Assas comprend 19 étudiantes et 1 étudiant. "C'est un garçon qui nous a rejoint en cours d'année parce que nous sommes amis. L'année dernière, nous étions plus nombreuses dans l'association, et il n'y avait aucun garçon", raconte Nina Lixi. "Ils ne se sentent pas du tout concernés. Les garçons auxquels je suis confrontée sont frileux à ces idées. Soit ils y opposent un 'not all men ", soit ils croient qu’il n’y a plus de sexisme en France, que l’égalité est déjà là."
Une lutte commune aux deux genres
Cette polarisation des idées entre jeunes femmes et hommes est cependant à nuancer. En effet, les jeunes hommes interrogés dans l'étude estiment également qu’il est difficile d’être une femme dans la société. Le rapport du Haut Conseil à l'Égalité montre par ailleurs que la prévention et la lutte contre le sexisme sont considérées comme des sujets importants pour les femmes comme pour les hommes.
"Nos enquêtes corroborent également une montée des valeurs favorables à l’égalité entre les hommes et femmes et la protection des minorités de genre", abonde Marie Buscatto, sociologue et auteure de Sociologies du genre.
Cela dit, sur cette question, l'écart se creuse entre les hommes et les femmes chez les jeunes répondants. Les femmes de 15 à 24 ans sont 51% à juger "très importants" la prévention et la lutte contre le sexisme, contre 30% des hommes de cette tranche d'âge.
Stéréotypes de genre
Le rapport pointe par ailleurs la présence des stéréotypes de genre chez les jeunes hommes. Ainsi, 67% des moins de 35 ans estiment qu’il faut être sportif, 53% qu’il faut savoir se battre et 46% qu’il ne faut pas montrer ses émotions.
"C’est vrai que les hommes n’arrivent toujours pas à montrer leurs émotions, même pour des sujets basiques comme les notes. Par exemple, ils ne vont jamais laisser transparaitre qu'ils sont déçus de leurs partiels", illustre Déborah.
Le rapport à la sexualité est aussi genré. "Ils se vexent facilement dès qu’on remet en cause leurs performances sexuelles. Une fois, un camarade m’a dit qu’une fille avait fait l’étoile de mer, que c’était nul. Je lui ai répondu que c'était peut-être le signe qu'elle n’avait pas envie, et que s'il l'avait quand même fait, c'était un viol. Après ça, il ne m’a plus jamais parlé", témoigne l'étudiante.
Une société très genrée
La sociologue Marie Buscatto observe un paradoxe dans notre société contemporaine. "D'un côté, la volonté d'œuvrer pour l'égalité et de protéger les minorités de genre est de plus en plus présente, notamment depuis le mouvement #MeToo. De l'autre côté, nous vivons encore dans une société encore extrêmement genrée, avec une éducation très hétéronormée."
À l'école et dans les familles, on demande aux filles d’être douces, gentilles, patientes, modestes, et de ne pas prendre de place. A contrario, on apprend aux garçons à s’affirmer, à prendre leur place, à être conquérant et à protéger les filles. Sur ce point, la société n’a pas fondamentalement évolué", souligne Marie Buscatto.
Les enfants intègrent ainsi que les garçons et les filles sont différents et ils apprennent à se comporter de manière sexiste, sans en avoir conscience. Une "ségrégation genrée" qui se retrouve ensuite dans le monde du travail, à travers par exemple la dévalorisation des métiers féminins.
L'éducation pour lutter contre le sexisme
Sortir de ce schéma passera notamment par l'éducation à l'égalité et au sexisme. "Il faut montrer que les remarques dénigrantes, que l'on peut penser anecdotiques, participent à créer une société inégalitaire alors même qu’on n'a pas forcément ces valeurs en soi", explique Marie Buscatto.
Selon le rapport, cette volonté de mettre fin au sexisme est partagée par une majeure partie de la population. "Les Français attendent que les responsables politiques agissent contre le sexisme, notamment en instaurant enfin les cours à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, qu’ils plébiscitent largement", conclut Bérangère Couillard.