Stress, insomnies, incertitudes : comment l'éco-anxiété bouleverse le quotidien et les études des jeunes

Alors que l'année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, l'éco-anxiété continue de toucher les étudiants, au point d'affecter leur quotidien, leurs études et leur carrière. L'action et l'écoute peuvent permettre de l'atténuer.
"Une détresse mentale et émotionnelle en réponse à la menace du changement climatique." Telle est la définition que donne Noura Yefsah, docteure en psychologie, de l'éco-anxiété. En septembre 2024, la chercheuse s'est penchée sur ses effets auprès des étudiants de quatre universités parisiennes (Nanterre, Paris 1 Sorbonne, Paris 8 Saint-Denis et Paris Cité), âgés de 17 à 24 ans. Résultat : 62% des jeunes interrogés sont inquiets face au changement climatique et évoquent des symptômes comme de l’angoisse ou des troubles du sommeil.
Alors que le gouvernement a fait de la santé mentale la grande cause nationale 2025, l'année écoulée a été la plus chaude jamais enregistrée (dépassant l'objectif de +1,5°C fixé par les accords de Paris), au point de renforcer cette anxiété qui affecte la vie personnelle et étudiante de nombreux jeunes.
Au pied du mur
Chloé, étudiante en master humanité environnementale à l'université de Nantes (44), a fait les frais de cette anxiété. Tout a commencé avec son service civique dans la transition écologique et sociale à Rennes (35). "Il y a eu un déclic à travers ce que j’ai lu et vu, ça a été fort et alarmant. Quand j’ai réalisé l’ampleur de la catastrophe, je ne savais plus où donner de la tête : faire du zéro déchet, arrêter la viande ou l’avion ?" raconte la jeune femme de 26 ans.
Elle décide alors d’adopter un mode de vie parfaitement écologique. Elle arrête d'acheter des marques de fast fashion, puis décide de s'habiller uniquement de dons ou en recyclerie, puis s'interdit les vêtements avec des matériaux issus d'animaux ou de pétrole. "À la fin, ça devenait vraiment compliqué de s'habiller. C’était très pesant, car c’est impossible de passer du tout au tout sans transition", raconte Chloé.
Sa mère, qui se renseigne en même temps qu’elle sur le réchauffement climatique, ressent alors la même anxiété. "Ça a été très dur de gérer cette anxiété à toutes les deux, on se sentait complètement dépassées. Au moindre geste, au moindre achat, on réfléchissait à toutes les conséquences et on se sentait coupables", se souvient-elle.
La jeune femme adopte finalement un comportement écologique plus modéré et essaie de se sentir moins coupable. "On s’est dit qu’on ne pouvait pas continuer comme de cette façon, ça nous bouffait de l’intérieur."
Mais même amoindrie, son éco-anxiété reste présente. "Ce qui m’inquiète le plus, c’est la disparition de certaines espèces et la douleur qu’elles peuvent ressentir. Mais aussi les conséquences comme les incendies aux États-Unis et en Australie, les pluies diluviennes en Espagne qui causent des morts… J’ai aussi peur des conflits géopolitiques majeurs que cela va entraîner", développe Chloé.
"Un tel défi génère des émotions négatives"
Arnaud Sapin est doctorant en psychologie à l'université de Nantes. Son sujet de thèse porte sur le rapport des jeunes adultes au changement climatique. Dans ce cadre, il a sondé 1.600 jeunes de 18 à 30 ans.
Il note chez eux une préoccupation forte et une inquiétude. Mais aussi un fort sentiment d'injustice, voire de la colère et de la tristesse, face à l'inaction de l'État et des entreprises. Il a lui-même une "sensibilité accrue" quant aux questions écologiques. "Je n’en fais pas des insomnies mais j’y pense en permanence. C’est pour moi la priorité absolue", témoigne le jeune homme de 27 ans.
"Selon moi, c'est tout à fait normal d’avoir peur face aux crises écologiques qu’on traverse. C’est un défi majeur qui nécessite tant d’ajustements au niveau des individus et des sphères politiques ! Un tel défi génère des émotions négatives", affirme-t-il.
Difficultés à se projeter
Les jeunes interrogés par Arnaud Sapin et par Noura Yefsah évoquent aussi leur difficulté à se projeter dans le futur. Ils craignent de se marier ou de faire des enfants dans le monde actuel. Pour certains répondants, minoritaires, le rapport à la parentalité est bouleversé dans le sens inverse. "Faire un enfant devient une possibilité de lui donner une sensibilité à la nature et une vision écologique, ce qui peut être une forme d’espoir et d’action", explique Arnaud Sapin.
L'éco-anxiété a également des conséquences négatives sur les études des jeunes, pour deux raisons. D'abord, cet avenir incertain ne les pousse pas à se projeter, ni à travailler. De plus, les symptômes de leur anxiété (stress, insomnies, etc.) sont aussi des freins à leur concentration et leur motivation.
L'environnement, un critère de choix d'études
Leur conscience climatique peut aussi avoir côté positif, lorsqu'ils choisissent d’étudier pour avoir des connaissances sur l’environnement et ainsi maîtriser la situation. Arnaud Sapin en est lui-même un exemple : son doctorat lui permet de réguler ses émotions en apportant sa pierre à l'édifice.
D'ailleurs, deux tiers des trente jeunes que le doctorant a sondé lors d'entretiens prennent en compte le réchauffement climatique dans leur choix de formation et de carrière". Il peut s'agir du choix d’un employeur, pour sa politique environnementale par exemple, voire de leur choix de métier", indique le doctorant. "C’est devenu un combat quotidien au point que je veux en faire mon métier", illustre Chloé, qui aimerait travailler dans l’urbanisme afin de laisser une place plus importante à la nature en ville.
En plus de l'action, Noura Yefsah insiste sur l'écoute pour améliorer la santé mentale des étudiants éco-anxieux. Elle propose notamment de créer des unités d’accompagnement, comme des groupes de parole. "Ces étudiants attendent de l'écoute. Si on ne leur donne pas l’occasion d’exprimer leurs peurs, cela peut se transformer en colère et en rage", affirme la chercheuse.
Elle s'inscrit par ailleurs dans la volonté déjà exprimée par la communauté scientifique d'intégrer des modules sur la transition écologique dans toutes les formations.