Grève contre la réforme des retraites : "C'est nous les jeunes qui allons le plus crever de cette réforme !"
Ils sont architectes, assistants sociaux, intermittents du spectacle ou ils s'apprêtent à entrer sur le marché du travail d'ici peu et manifestent contre la réforme des retraites. Derrière le rejet de cette réforme, ces jeunes actifs ou futurs jeunes diplômés questionnent les conditions de travail et le sens même du travail. Reportage dans le cortège parisien.
"On ne mourra pas au travail", "J’aimerais être retraité avant de mourir", "64 ans ? La retraite il la faut avant !"... Slogans, parodies de chansons, chant des partisans italien (Bella ciao), odeurs de merguez et de brochettes… Tous les rituels d'une manifestation étaient réunis, ce mardi 7 mars à Paris, pour la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Lycéens, étudiants, jeunes diplômés et jeunes actifs se sont mobilisés, en particulier contre le fameux article 7 prévoyant le report de l'âge légal de départ à 64 ans.
"On demande toujours aux mêmes - ceux qui bossent - de faire des efforts"
Assan, 26 ans, assistant social, dénonce une réforme injuste et inutile : "On demande toujours aux mêmes - ceux qui bossent - de faire des efforts : payer plus cher les factures d’électricité ou les courses alimentaires du fait de l'inflation, et maintenant travailler deux ans de plus. C’est un effort inutile, car des cotisations, il y en a plein à aller chercher ailleurs", assure Assan.
"Si nos stages n’étaient pas payés une misère, si nous cotisions à la retraite pour nos services civiques, s’il y avait l’égalité de salaire femmes-hommes, cela ferait des cotisations en plus pour le régime des retraites. Et si on s’attaquait vraiment au chômage, on résoudrait le problème du financement des retraites. Il suffit d’un peu de volonté politique", estime par ailleurs le jeune homme.
"Je me dis que je n'atteindrai jamais l'âge de la retraite"
"Je pense arriver sur le marché du travail à 25 ans. Si je dois rajouter 43 annuités, cela me fait arriver à la retraite à un âge pas possible. Je me dis que je n'atteindrai jamais l'âge de la retraite, se désole Sacha, 22 ans, étudiant en troisième année de licence de droit et sciences politiques, actuellement en stage en entreprise. Cette réforme défavorise les femmes, les personnes les plus précaires et surtout les jeunes."
Sacha redoute aussi l'engrenage sans fin du report de l'âge légal si la réforme est votée. "Si aujourd’hui c’est le report à 64 ans qui passe, on sait que dans quelques années, on n’aura pas réglé cette histoire de déficit du régime des retraites et on passera à 67 ans puis 68 ans… C'est sans fin. Et c'est nous, les jeunes, qui allons le plus en crever de cette réforme !"
Felix Sosso, porte-parole de la Fage, le syndicat étudiant, acquiesce : "Le taux de chomage des jeunes est de 18%. L'âge du premier emploi stable chez les jeunes est de 25-27 ans. Ils arrivent de plus en plus tard sur le marché de l’emploi. Si on décale de deux ans l’âge légal de départ en retraite, on se demande juste à quel âge on va partir ! Et 64 ans ce n’est qu’une première étape..."
"Savoir qu’on va repousser encore le départ en retraite et que, potentiellement, on ne pourrait jamais s’arrêter de travailler, cela me fait peur pour moi, mais aussi pour les salariés âgés. Ceux qui ont travaillé près de 40 ans et qui vont devoir décaler de deux ans leur retraite, c’est vache !" tranche dans le même sens Bastien, 23 ans, qui manifeste seul.
"On ne veut pas faire de charrettes et aller sur des chantiers jusqu’à 64 ans !"
"Pour nous, étudiants et jeunes diplômés d’écoles d’architecture, le monde du travail n’est pas attirant du tout", pointe Roman, 22 ans, jeune architecte diplômé de l'ENSA Paris La Villette qui manifeste en groupe avec des dizaines d'étudiants en architecture : "On ne veut pas faire de charrettes et aller sur des chantiers jusqu’à 64 ans ! Le métier d’architecte aujourd’hui consiste à être le guignol des promoteurs ! Les grandes entreprises de construction ont dépossédé les architectes de leur métier."
Pour Roman, le métier se résume aujourd’hui à passer du temps derrière un ordinateur, à faire du 9h00-18h00 dans un bureau. "Ce n’est pas ce qui me stimule. Je ne veux pas être scotché derrière un écran à travailler pour des promoteurs et être payé au lance-pierre. Mais je pense qu’il y a plein d’autres manières d’être architecte et cela reste des études méga stimulantes."
Un constat partagé par Bastien. Ce jeune ingénieur, diplômé de l'Ecole des Mines de Nancy depuis 18 mois, n'a pas encore exercé le métier pour lequel il a été formé. Il se reconnaît dans ces jeunes diplômés de grandes écoles qui préfèrent "déserter" le monde classique du travail et le clament lors des cérémonies de remises de diplôme. "Actuellement, je ne travaille pas. J’en ai les moyens alors, je fais du bénévolat. Je refuse les propositions d’emploi qui ne me parlent pas et je ne veux pas travailler pour des grandes entreprises qui polluent, détruisent la planète et ne respectent pas les conditions de travail."
"Quitte à ne pas avoir de retraite, autant exercer un métier qui nous plait"
Pour tous les jeunes actifs interrogés, la retraite sera synonyme d'une maigre pension, voire d'une absence totale de pension. "Un transfert est en train de s’effectuer entre des jeunes qui ont des professions plutôt classiques - médecins, professionnels du droit ou de la finance - et nous qui sommes intermittents du spectacle", relève Romain, 30 ans, qui travaille pour une compagnie de marionnettes.
"Ces jeunes qui ont suivi des études toutes tracées et cotisent au régime général font désormais le même raisonnement que nous : la retraite, mieux vaut ne pas y penser, on n'en aura pas, ou une misère. On se concentre sur l’instant présent : les cinq ans qui viennent et un métier qui nous fait plaisir plutôt que sur celui qui nous peut rapporter à terme."
Léa, qui travaille avec Romain confirme : "A 16 ans au moment de mes choix d'orientation, j'avais prévenu mes parents : plutôt que de suivre une voie toute tracée, je préfère exercer un métier artistique qui me plait, qui me fait du bien et qui a du sens pour moi. Même si c’est synonyme de précarité ou de petite retraite. C'est tellement difficile, autant faire un métier qu'on aime !" sourit Léa. Demain tous saltimbanques ?!