"Je ne veux pas passer pour la citadine" : l'été, le retour pas toujours simple des étudiants à la campagne

De retour dans leur famille à la campagne l'été, certains étudiants vivant dans des grandes villes sont parfois déboussolés. Entre l'attachement à deux mondes et le sentiment de ne vraiment appartenir à aucun des deux, trois étudiants racontent comment ils s’accommodent à cette double culture.
Pour beaucoup d'étudiants, les vacances d'été sont enfin l'occasion de rentrer en famille. Mais parfois, cela signifie retrouver la campagne après avoir passé l'année étudiante dans une grande ville. Une différence qui peut s'apparenter à une fracture pour des étudiants qui vivent entre deux mondes et tentent de s'adapter à cette situation.
Vivre dans un entre-deux amène parfois à être jugé en tant que tel. "Je ne veux pas passer pour la citadine", s'épanche Marie, étudiante à l'IEP de Bordeaux (33). Lorsqu'elle rentre dans son village montagnard de Lescun (64), non loin de la frontière espagnole, elle a peur d’apparaître comme la "méprisante".
"Tu acceptes de faire la fête avec nous ?"
Marie a pourtant su garder le contact. "Je suis très attachée à chez moi. Cette année, je rentrais toutes les trois semaines pour voir mes potes." Ce qui ne lui a pas empêché de recevoir cette réflexion récemment : "Ah c’est bon, tu acceptes de faire la fête avec nous même si on n’est pas dans ta grande école ?"
Des critiques que Martin a aussi subi lorsqu'il a quitté Paris et son master en sciences politiques pour retrouver ses proches en Mayenne (53), une fois tous les deux mois environ. "Ce sont des remarques sur le ton de l'humour : 'Toi t’es Parisien', sous-entendu : j'habite dans une grande ville. Je ne crois pas que ce soit une fracture, mais il y a quand même une perception du Parisien, d’un côté, qu’ils associent au discours méprisant du président de la République, et le reste de la population de l’autre."
S'il se sent toujours "plus Mayennais que Parisien" et n'a jamais ressenti de mépris de classe dans la capitale, il voit tout de même "deux mondes différents". Et considère n'appartenir à aucun des deux. "J’ai parfois un tiraillement en ayant l’impression de ne pas non plus faire partie du monde parisien."
Le tabou de la politique
En plus d'avoir quitté la campagne pour Toulouse (31), Antonin est aussi l'un des derniers étudiants de son groupe de La Paillole, un hameau près de Montauban (82). "Plusieurs de mes amis travaillent déjà, d’autres font leurs études à côté, à Montauban. Je sens que ce n’est pas le même environnement. Pour certains, je suis un peu leur dernier lien étudiant", raconte l'étudiant en prépa ECG.
Après des élections européennes et législatives qui ont souligné la fracture entre villes et campagnes, la politique est aussi devenue un sujet difficile pour Antonin. "Je suis plutôt de gauche, et le peu de fois où je parle de politique à la campagne, c'est tendu. Il y a peu de temps, j’ai essayé de parler avec des potes qui votent RN, c'était impossible, ils se braquaient tout de suite," regrette-t-il.
Marie et Martin ont également des amis d'enfance qui votent à l'opposé de leur opinion politique. Ils ont décidé d'éviter de parler de politique avec eux, quitte parfois à s'éloigner. Mais même si les parcours de ces jeunes du même âge se sont différenciées après le lycée, Martin note une "hyper-complicité du passé" toujours présente. "C’est ce qui nous unit avec mes potes de Mayenne", souligne-t-il.
Un besoin de vivre dans les deux mondes
Comme Martin, Marie et Antonin, de nombreux étudiants ayant rejoint la ville n'oublient pas d'où ils viennent et restent attachés à leur origine. Dans ses travaux, la sociologue Rose-Marie Lagrave utilise l’expression "concilier deux mondes" pour évoquer ce sentiment des jeunes diplômés.
Elle-même "transfuge", la sociologue a vécu cette situation. Dans son ouvrage Se Ressaisir (La Découverte, 2021), elle explique avoir apprivoisé cette double appartenance : "Je n’ai pas cessé, en effet, de vivre dans l’un et l’autre, de sorte que je n’ai connu ni le choc d’un retour dans l’univers familial, ni une distance incommensurable. Cette présence régulière et la familiarité qu’elle modèle m’ont préservée d’une dissociation de moi-même et de la honte de mon milieu d’origine."
Cette situation n’est donc pas nécessairement un handicap. Antonin explique qu’il est à l’aise avec sa position : "C’est ce qu’il me faut. Si je passais 100% du temps dans un des deux ça ne m’irait pas. C’est bien d’avoir des visions différentes de la vie."
Marie, quant à elle, estime qu’elle retournera sûrement vivre dans sa vallée à 50 ans. "J’ai grandi à la montagne et je pense que je voudrais revenir à la nature, j’aime aussi les gens de là-bas. Oui, il y a deux cultures différentes, mais c'est tout de même nuancé, ce ne sont pas des masses homogènes."