Actu

L'étudiante qui a étudié la prostitution étudiante

publié le 17 juillet 2008
1 min

Dans quel contexte avez-vous abordé le sujet de la prostitution étudiante ?

Aucune étude avec un regard sociologique n’avait été produite sur la prostitution étudiante. Un article du Figaro avait été écrit suite à un tract d’un syndicat étudiant qui voulait alerter sur la précarité étudiante pendant le mouvement anti-CPE [Sud étudiant prétendait que 40.000 étudiant(e)s se prostituaient pour des raisons de précarité. Un chiffre sans fondement au regard des chiffres du ministère de l’Intérieur sur la prostitution globale, NDLR]. Certains sites Internet en parlaient mais il n’y avait rien de formel ni d’officiel. J’ai d’abord essayé, vainement, d’approcher les étudiantes via les petites annonces sur les campus, les infirmières et psychologues de la médecine préventive et les bars à hôtesses. Par défaut, je suis donc allée sur Internet où j’ai trouvé un forum public dédié à la prostitution avec entre autres des étudiant(e)s. Les personnes qui se prostituent via Internet se font appeler escort-girl ou escort-boy avec un jargon spécifique pour se distinguer de la prostitution de rue. Elles/ils accompagnent des clients pendant une ou deux heures avec parfois d’autres buts que les relations sexuelles. Entre membres du forum, ils s'échangent des messages privés sous pseudonyme dans des boîtes mails privées. C’est par ce biais que j’ai repéré puis contacté une quinzaine de prostitué(e)s étudiant(e)s et une petite dizaine de clients – en province et à Paris – en expliquant ma démarche. Certains ont accepté de se prêter à des entretiens sociologiques de une à cinq heures. Le bouche-à-oreille a aussi fonctionné.

Quelles sont les motivations de ces étudiant(e)s ?
Sans les hiérarchiser, j’ai pu établir plusieurs motivations. Le besoin d’argent, sachant que l’heure de rencontre peut être tarifée à 200 € et que ces étudiantes viennent en majorité de la classe moyenne ou populaire, comme cette étudiante en école d’architecture qui avait l’aide de ses parents a minima et touchait 150 € de bourse (échelon 0). Le souci financier est aussi lié au manque de temps. Ces étudiantes ont toutes travaillé (serveuse le soir...) mais ces jobs les ont mises en échec, comme pour cette étudiante qui faisait du baby-sitting trois nuits par semaine (pour 300 €) pendant six mois mais qui n’a pu suivre les partiels en troisième année. Elles se disent : "En travaillant 100 heures comme vendeuse je gagne 700 €. En faisant escort, je gagne cette somme en six heures". Ces étudiantes ont un profil sociologique qu’on peut qualifier de "prêtes-à-tout-pour- réussir". Elles pratiquent une prostitution occasionnelle deux ou trois fois par mois et n’envisagent jamais de poursuivre à l’avenir car elles sont persuadées de trouver du travail à la fin de leurs études d’architecture, de doctorat, d’économie...Ce ne sont pas du tout des premières années paumées. C’est une démarche réfléchie. Une autre motivation pour certaines est de sortir des carcans familiaux – où la morale catholique pesait et limitait les sorties et la sexualité –, en trouvant un moyen d’exprimer librement leur sexualité. Pour d’autres, que j’ai appelées "les désillusionnées de l’amour", elles ont vécu des échecs lors d’histoires d’amour avant de se lancer dans des aventures d’un soir. Comme elles ont senti un manque de respect, elles se sont dit que finalement dans la prostitution, elles pourraient au moins se faire payer et se sentent ainsi davantage valorisées. Malgré Mai 68, la sexualité pour les femmes reste normée : les filles qui vivent plusieurs aventures sont toujours considérées comme des putes. Ces filles souffrent des normes et veulent les dépasser en se caricaturant.

Quelles sont les différences entre la prostitution de rue et la prostitution sur Internet ?
Sur Internet, elles ne sont pas visibles. Elles ne veulent pas être prises pour des prostituées, ni être vues par leurs familles ou que cela ait des répercussions sur leur vie professionnelle. Elles ne montrent que des photos de corps, proposent des prestations sexuelles, des massages, des rendez-vous sensuels et voient les clients à l’hôtel la plupart du temps. Les clients sont des hommes mariés de 40-50 ans de la classe dirigeante qui gagnent entre 4.000 et 5.000 € par mois. Ils sont plutôt gentlemen, arrivent avec des fleurs, cela ressemble à de la prostitution de luxe. Ils sont également clients de la prostitution de rue où ils assouvissent leur plaisir seul. Avec les escortes étudiantes en particulier ils ont plus envie de discuter. Internet a facilité cette prostitution étudiante qui autrefois se passait sur les campus dans les toilettes, par petites annonces dans les journaux et via le minitel. Les étudiantes mettent en avant leur statut, non pas pour des raisons marketing, mais pour justifier de certaines indisponibilités. L’étudiante fait fantasmer car ce sont des jeunes, cultivées avec l’image de la lolita.

Comment est vécue cette prostitution ?
Les personnes que j’ai rencontrées le vivent positivement. La plupart sélectionne leurs clients et cela leur permet d’améliorer leur situation pour finir leurs études, c’est stratégique. Pour le garçon, avec des tarifs moins élevés, cette prostitution se rapproche de celle de la rue avec plusieurs passes par semaine. En moyenne, les rencontres pour les filles sont de deux par semaine à une tous les deux mois. Globalement, ils arrivent à rester anonymes. Le forum est un lieu de discussion très important pour parler alors qu’ils se cachent de tout le monde. Ils organisent des jad [just a dream dans le jargon du milieu] pour se retrouver localement entre membres du forum.


Propos recueillis par Fabienne Guimont pour Educpros

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !