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"Pour moi, c’était le 49.3 de trop" : étudiants et syndicats manifestent face à la crise démocratique

Les manifestations de ce jeudi 23 mars ont été marqués par une mobilisation importante des étudiants et de l'enseignement supérieur.
Les manifestations de ce jeudi 23 mars ont été marqués par une mobilisation importante des étudiants et de l'enseignement supérieur. © Victor Carpentier
Par Clémentine Rigot, publié le 24 mars 2023
7 min

Syndicats comme étudiants dénoncent la crise démocratique et le délitement de la relation entre la jeunesse et le gouvernement, dans le sillage du recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer "en force" la réforme des retraites.

Ils étaient 500.000 jeunes à manifester dans toute la France, ce jeudi 23 mars, d’après l’Unef, répondant à l’appel de l’intersyndicale pour exprimer leur colère face à la réforme des retraites en cours d’adoption par le gouvernement.

"Le recours au 49.3 est un accélérateur de mobilisation, mais c’est aussi le symptôme de toute la politique paternaliste et méprisante envers la jeunesse depuis des années", analyse Adrien Lienard, trésorier de l’Unef. La Fage, quant à elle, voit dans cette mobilisation un "tournant du côté des jeunesses", selon les mots de son porte-parole, Félix Sosso.

Plus de 75 établissements de l’enseignement supérieur bloqués

Inédit, ce 23 mars, le blocage d’établissements du secondaire et de l’enseignement supérieur où les mobilisations sont d’habitude faibles, comme le lycée Louis Le Grand ou encore l’université Panthéon-Assas à Paris (75). Signe d’un tournant dans l’engagement des jeunes ? "On a une jeunesse qui est beaucoup plus mobilisée après la décision du gouvernement de passer en force", affirme Adrien Lienard.

Ces mobilisations sans précédent étonnent les étudiants eux-mêmes. "J’ai été surprise du blocage de ma fac : ce n’était pas arrivé depuis mai 68 à Michelet ! Que ce type d’établissements soit bloqué montre l’ampleur de la mobilisation, estime Luce, étudiante à Paris 4 en histoire de l’art. Pour moi cette mobilisation post 49.3 est encore plus importante. Ca veut vraiment dire qu’il y a un problème démocratique."

Et les étudiants d’établissements prestigieux de confirmer : "On veut montrer que même dans les grandes écoles, il y a des gens qui luttent et qu’on ne pense pas qu’à nous", affirme Lucas, 18 ans, étudiant à Sciences po.

"Nous sommes plus d’une centaine à nous être déplacés, on en est très fiers, assure-t-il, banderole à l’appui. Ça prouve que dans les grandes écoles, on essaie de ne plus être déconnectés du pays et que l’on comprend la colère."

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Des manifestants contre la réforme des retraites et l'utilisation de l'article 49.3, place de la République à Paris./ ©Juliette Vilrobe.

"La réforme des retraites et le recours au 49.3, c’est la goutte d’eau !"

Entre deux chants, Anaïs, étudiante à Sorbonne Nouvelle en master de cinéma, analyse la situation. "J’ai l’impression que toutes les grosses lois passent par le 49.3 depuis quelque temps, et que ni la jeunesse ni les salariés ne sont écoutés. Pour moi, c’était le 49.3 de trop".

Elle, qui a décidé de rejoindre le mouvement depuis le rejet de la motion de censure, est aussi irritée de la réponse de son université. "La fac est fermée depuis deux semaines, ils ont peur à cause des blocus. Je manifeste pour les retraites, mais aussi parce que je suis en colère contre la fac qui ferme et qui nous laisse dans la nature. Il y a un ras-le-bol concernant la gestion des universités et de la France en général", assure-t-elle.

Même son de cloche du côté de l’Unef, qui dénonce une situation dégradée depuis 2017 : "Il y a eu la suppression des mutuelles étudiantes, mais aussi Parcoursup, Mon Master, l’annonce de la réforme des bourses qui prend du retard... La réforme des retraites et le recours au 49.3, c’est la goutte d’eau !" décrypte Adrien Lienard, dénonçant "une accumulation du mépris d’Emmanuel Macron envers la jeunesse".

Félix Sosso pointe lui aussi du doigt le recours à l'article par le gouvernement. "C’est un véhicule certes constitutionnel, mais qui a plutôt une tendance autoritaire et antidémocratique. C’est là où la bascule se fait et les jeunes descendent massivement dans la rue."

Et pas besoin d’être un étudiant francilien pour rallier le cortège. Paul, 28 ans, a ainsi fait le déplacement spontanément depuis Strasbourg (67) pour participer à la manifestation et ainsi "exprimer sa colère" après le recours au 49.3. "C’est surtout le déni démocratique qui me fait me déplacer à Paris pour être au cœur des manifestations." Cet étudiant en journalisme se mobilise sur plusieurs fronts, en participant au blocus de la fac de Strasbourg, mais aussi en soutenant des caisses de grève.

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Les manifestants dénoncent également les violences policières en marge des manifestations. / © Victor Carpentier.

Faire entendre la colère de la jeunesse

Pour beaucoup d’étudiants, les manifestations déclarées en journée restent les seules accessibles, par peur des éclats de violence et des arrestations. "Je ne sortais pas le soir, car quand je vois les images de la BRAV-M (brigades de répression des actions violentes motorisées, unités créées en 2019 pendant le mouvement des Gilets jaunes, NDLR), c’est effrayant. Je pense que ça peut démobiliser, surtout quand on est racisé ou femme", analyse Lilou, 20 ans, qui se déplaçait pour la première fois.

"Cette répression policière n’encourage pas les jeunes à manifester sur leurs lieux d’études, mais on voit malgré tout qu’ils continuent à se mobiliser d’eux-mêmes", remarque Félix Sosso, affirmant que "les manifestations ne méritaient pas l’ampleur des répressions qu’il y a eues."

Chez certains jeunes, c’est aussi l’interview d’Emmanuel Macron accordée à France 2 et TF1, mercredi 22 mars, qui a été un élément déclencheur. Derrière la banderole de Sorbonne Université, Lilou s’agace. "Dans son discours, il se moquait complètement de nous, on n’en peut plus. On s’est senti insultés, c’est trop ! s'indigne l’étudiante en géologie. Je souhaite qu’Emmanuel Macron entende la colère du peuple et qu’il ne nous voie plus comme une foule émeutière."

Chez les syndicats, on a aussi eu le sentiment de ne pas avoir été entendus par le chef de l’État. "Après cette interview, je suis peu convaincu de la capacité d’écoute du président de la République. Les lignes et priorités qu’il a données n’ont pas intégré la colère sociale de ces dernières semaines", regrette Félix Sosso, alors que la Fage attend, elle, des réponses concrètes sur de multiples sujets touchants à la jeunesse, comme la précarité, les bourses, ou encore la généralisation du SNU.

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