Interview

Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022 : "Si vous voulez trouver du travail facilement, faites des maths"

Pour Alain Aspect, "il faut donner des "modèles féminins" pour encourager les filles à faire des sciences.
Pour Alain Aspect, "il faut donner des "modèles féminins" pour encourager les filles à faire des sciences. © Mathias FILIPPINI/REA
Par Thibaut Cojean, publié le 26 octobre 2022
5 min

Récompensé du prix Nobel de physique pour ses travaux sur la physique quantique, Alain Aspect garde un œil sur la situation des enseignements scientifiques au lycée. Il encourage les élèves, notamment les filles, à poursuivre les mathématiques le plus longtemps possible.

Aujourd'hui, les lycéens généraux ne suivent plus de série mais choisissent directement leurs enseignements, à travers les spécialités. Que dites-vous à un jeune qui hésite à faire des sciences ?

Pour faire ce que je fais, pour faire de la physique, c'est clair que la formation de base en maths est absolument essentielle. On ne peut pas faire de physique sans un bon niveau en mathématiques. Mais c'est vrai quelle que soit la science. Je vais même être caricatural : si vous voulez trouver du travail facilement, faites des maths. Et si vous avez du goût pour la compréhension des lois du monde, alors ne vous privez pas de la physique.

Votre recommandation serait donc de conserver les maths en première ?

Oui, parce que c'est la garantie d'aller dans des voies où quoi qu'on fasse, on va trouver du travail facilement. Dans tous les domaines, on va avoir besoin de gens qui comprennent et maîtrisent les maths.

Les statistiques montrent pourtant que depuis la réforme du bac, les élèves défavorisés choisissent moins souvent les sciences qu'avant. Les filles aussi, alors que la parité en maths était presque atteinte ces dernières années. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

C'est totalement anormal. Il est possible que si vous obligez les élèves à choisir, une fille va éviter les maths. Il faudrait pourtant lui permettre d'en faire et elle découvrirait qu'elle est aussi forte que les garçons. C'est probablement un des facteurs. Il faut prendre confiance en soi. Et pour ça, il ne faut pas les obliger à choisir trop tôt.

Il y a autre chose : dans le domaine de la physique par exemple, il faut donner des modèles féminins. J'ai beaucoup apprécié l'inauguration, il y a quelques années, du bloc scientifique du lycée Bernard Palissy d'Agen, mon lycée d'origine : il y avait huit nouvelles salles, quatre avec des noms d'hommes et quatre avec des noms de femmes. Et pas que Marie Curie ! J'ai trouvé ça formidable !

Un étudiant qui démarre son parcours universitaire en 2022 peut-il espérer recevoir un prix Nobel un jour ?

Oui. C'est vrai que l'état de la recherche a baissé en France, mais il reste des structures, en particulier au niveau de l'Europe, qui permettent de financer des laboratoires de pointe. Il y a des bourses de l'European Research Council (Conseil européen de la recherche) dans toutes les grandes universités françaises, et c'est quand même l'élite de l'élite. Un étudiant qui montre beaucoup de motivation et se dirige vers des laboratoires de ce calibre là n'a pas de raison de ne pas réussir. Cela étant, je ne dis pas que la situation est géniale. Pour les labos en-dessous de ce niveau, cela ne fait pas de doute que la situation s'est dégradée.

Alain Aspect distingué pour une expérience de… 1982 !
Le prix Nobel de physique 2022 a été décerné à l'Américain John Clauser, au Français Alain Aspect, et l'Autrichien Anton Zeilinger pour des expériences qu'ils ont menées respectivement il y a 50, 40 et 20 ans. Les trois scientifiques, aujourd'hui septuagénaires, travaillaient sur le même sujet : la mécanique quantique.

À travers leurs expériences, ils ont cherché à savoir qui d'Albert Einstein (1879-1955) ou de son collègue physicien Niels Bohr (1885–1962) avait raison. Le second pensait que deux particules ayant connu une interaction restaient liées, au point d'évoluer simultanément et de la même manière, même si elles étaient ensuite séparées de plusieurs milliers de kilomètres. Le premier n'y croyait pas et considérait au contraire qu'une particule ne peut évoluer qu'en fonction de sa réalité physique propre et de son environnement immédiat. Le désaccord de ces deux scientifiques, considérés comme les pères de la physique quantique, n'était pas tranché au moment de leur disparition.

Finalement, Clauser, Aspect puis Zeilinger ont tous trois montré que Niels Bohr avait raison. "Je me fâche quand on dit que j'ai démontré que Einstein avait tort, relativise Alain Aspect. Son coup de génie a été de soulever ce débat et de mettre en évidence ce que personne n'avait vu dans le formalisme de la mécanique quantique : l'intrication." Ce phénomène permet de rêver à la construction d'ordinateurs quantiques. Ces nouvelles machines, qui n'existent pas encore, seraient capables de résoudre en quelques minutes des calculs tellement précis et complexes qu'ils nécessiteraient plusieurs milliers d'années de travail à l'ordinateur le plus puissant aujourd'hui.

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