Reportage

Les lycéens de ZEP manifestent devant Sciences po : "Ils nous enlèvent tout, petit à petit"

Des lycéens de ZEP venus spécialement de Creil, dans l’Oise, pour manifester contre leur possible exclusion de l’éducation prioritaire... et des moyens qui vont avec.
Des lycéens de ZEP venus spécialement de Creil, dans l’Oise, pour manifester contre leur possible exclusion de l’éducation prioritaire... et des moyens qui vont avec. © Paul Conge
Par Paul Conge, publié le 05 janvier 2017
1 min

La peur d'être radié des ZEP (zones d'éducation prioritaire) a poussé à nouveau les enseignants de région parisienne dans la rue, jeudi 5 janvier 2017, pour une sixième journée de grève. Des lycéens sont venus gonfler leurs rangs. Préoccupés par leur sort, mais aussi par la perte des moyens réservés à leurs lycées.

Ils sont un peu en avance. Une demi-douzaine d'élèves du lycée Jules-Uhry, à Creil (60), à plus de 60 kilomètres de Paris, s'amasse peu avant 14 h devant Sciences po. Le mouvement "Touche pas à ma ZEP" appelait à une marche ce 5 janvier 2017, pour réclamer plus de moyens. Il y a trois ans, il a été décrété que le label "ZEP" disparaîtrait, remplacé par des REP (réseaux d'éducation prioritaire), et desquels les lycées sont, pour l'heure, exclus. Jugeant insuffisants les "gestes" (450 postes de professeurs en plus) de la ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, les enseignants ont renconduit la grève et espèrent se faire entendre. 

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Les lycéens, eux, n'ont pas tous pu faire le trajet. Trop loin, trop cher. Mais ce ne seraient pas les seules raisons. "Ils n'ont pas de conscience politique, ils ne sont pas bien informés, et nous, nous avons notre devoir de réserve. Les rares impliqués ici ne sont pas représentatifs", explique Ingrid, une enseignante en lettres à Sarcelles (95). Une professeure d'histoire-géographie à Nanterre (92) ne dit pas autre chose : "Ils n'ont pas la culture du déplacement à Paris".

"On vit sous le seuil"

Malgré tout, quelques dizaines d'élèves de communes l'ont fait, le déplacement. Les tarifs du train sont si prohibitifs que des enseignants ont fini par monter une cagnotte pour rembourser les tickets des plus motivés : 7,80 € l'aller simple en TER depuis Creil. "On vit sous le seuil", rappelle Abdelakrim, élève au lycée Jules-Uhry – sans ajouter "de pauvreté", qui tombe pour lui sous le sens. Vingt ans, plutôt âgé pour un lycéen, il est présent du fait de son parcours, un peu spécial. Lui a déserté l'école. Il a pu raccrocher grâce à des dispositifs de la seconde chance, financés par les ZEP : les microlycées.

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"Sans les microlycées, je serais resté à la maison. Ils raccrochent les décrocheurs comme moi, avec des stages, des passerelles, pour les remettre dans la société." Des camarades aujourd'hui désœuvrés, il en connaît un paquet. "Plus les classes sont surchargées, plus les jeunes vont décrocher...", prédit le lycéen.

Des options et le bac en péril

Les retardataires arrivent enfin. Venu de République, un cortège d'enseignants et de lycéens s'attroupe rue Saint-Guillaume avec des banderoles syndicales. Celle de Solène, élève en 1re ST2S, est parée d'un slogan qui résume bien ses inquiétudes : "Touche pas mes options". 

"À force, on va toutes les perdre : l'option cinéma, l'option art... rien que des matières qui permettent des ouvertures sur la culture..." En plus de donner des points précieux pour le baccalauréat. Sa filière, qui prépare aux études de la santé, est particulièrement visée. "Ils nous enlèvent la ZEP petit à petit. L'année dernière, il y avait trois classes de ST2S, cette année seulement deux, l'an prochain... probablement une seule. On va se retrouver à 60, c'est impossible", présage la jeune fille, qui réclame un "droit aux bonnes études".

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Juste devant Sciences po, Souhayla, 16 ans, en 1re ES, redoute que les portes du fameux institut d'études politiques lui restent fermées. "Avec le retrait des ZEP, on s'auto-stresse. C'est grâce aux ateliers en option que je prépare Sciences po. J'ai commencé à faire mes revues de presse, à réviser le concours... Quand j'ai compris qu'on allait peut-être l'enlever l'an prochain, j'en ai pleuré", s'émeut la jeune fille, par ailleurs élue au CVL (conseil des délégués pour la vie lycéenne). Les fameuses conventions ZEP facilitent l'accès aux IEP pour ces lycéens. Agnès, enseignante en lettres et en cinéma, confirme : "Ces partenariats se font sur la base de l'éducation prioritaire. Ils peuvent être remis en cause..." Bientôt moins de lycéens de ZEP à l'IEP ?

"Dans mon collège, il y avait même des inondations"

Une chose est sûre : tous ici sont préoccupés par le délabrement de leur établissement. C'est la principale crainte de Louise, "bientôt 18 ans", en terminale ES au lycée Paul-Éluard, à Saint-Denis. "Je vois les problèmes de l'éducation prioritaire depuis le collège et ça n'a rien d'anodin", lance la jeune fille, drapeau rouge des Jeunes Communistes à l'épaule. "En 4e, j'ai eu une professeure de français absente deux trimestres, jamais remplacée. L'établissement était délabré : chauffage, électricité... Il y avait même des inondations. Au lycée, c'est la même chose. On est 29 par classe en terminale, on pourrait être plus de 30 si on nous ôte la ZEP." Les aides aux devoirs, une spécificité de son lycée, pourraient aussi en pâtir. Outre son cas personnel, elle cite celui des élèves du lycée Suger, en Seine-Saint-Denis. "Là-bas, il y a huit surveillants pour 1.500 élèves..."

Surtout, certains redoutent que cette baisse des moyens alloués aux ZEP n'enclenche un cercle vicieux. "Les classes sont déjà blindées. Si elles le deviennent encore plus, les profs vont chercher à partir", s'inquiète Clara, en seconde au lycée Jean-Macé, à Vitry-sur-Seine (94). Quitte à ce que plus personne ne veuille y enseigner. Désespérément, Clara et ses deux voisines tentent de mobiliser leurs camarades autour de la cause. "On essaye de les ramener et de leur faire comprendre les enjeux... mais pour l'instant il n'y a que nous trois", se décourage-t-elle. Le mouvement continue la semaine prochaine. 

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