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Payer les élèves pour qu’ils aillent en cours ? L’avis d’un pro de la motivation

publié le 05 octobre 2009
1 min

Comment faire pour lutter contre le décrochage scolaire ? Aujourd’hui, 8,2 % des collégiens et lycéens (soit plus de 400 000 élèves) sont considérés comme absentéistes. Et ils sont plus de 10 % dans les lycéens professionnels… Pour lutter contre ce fléau, l’académie de Créteil s’est lancée dans une expérimentation inédite révélée par le quotidien Le Parisien. Depuis le 5 octobre, dans trois lycées professionnels*, certaines classes se voient promettre des cagnottes en fonction de l’assiduité des élèves. L’expérimentation sera évaluée par l’Ecole d’économie de Paris avant d’être éventuellement étendue à d’autres classes. Une initiative qui s’inscrit dans l’un des 165 projets rendus publics le 16 juillet 2009 par Martin Hirsch, le Haut-Commissariat à la jeunesse, dans le cadre du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse. Les parents d’élèves ont déjà exprimé leur réserve (pour la PEEP), voire se sont clairement prononcés contre (pour la FCPE). Reste à voir si cela  peut marcher... L’avis, nuancé, d’un expert de la motivation scolaire.

« C’est toujours bien d’expérimenter des choses, quitte à se tromper »

Fabien FenouilletFabien Fenouillet, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'université Paris 10-Nanterre et co-auteur avec Alain Lieury de "Motivation et réussite scolaire" (Dunod).

Est-ce une bonne initiative selon vous de donner une récompense financière à la classe la plus assidue ?

Je pense que c’est tout à fait logique. Jusqu’à présent, on motivait les élèves par les notes. Comme cela ne suffit plus pour certains ces élèves, on essaie avec de l’argent. Dans les deux cas, il s’agit d’une motivation extérieure. Il n’y a pas vraiment de différence en fait. Pour ces élèves, cette dotation va sans doute donner de la valeur à leur activité, alors que jusqu’à présent elle n’en avait pas pour eux.

Que pensez-vous du caractère collectif de la récompense, contrairement à ce qui se passe en Angleterre ?

C’est lié à nos traditions. Pour les Anglais, la réflexion part plus de l’individu alors que nous préférons privilégier le collectif. Mais on ne sait pas toujours les effets d’une action sur un groupe donné. Il peut y avoir des effets de leadership, de coercition, où un élève ou un groupe d’élèves va entrainer le reste de la classe. Mais cela peut aussi avoir un effet inverse. Un groupe d’élèves va être assidu, alors que la majorité ne le sera pas. Curieusement, la motivation est très étudiée à l’étranger, il y a énormément de publications, alors qu’elle est presque absente de la recherche française. Les chercheurs français lui donnent un autre nom : « l’appétence ».

Pensez-vous que cela puisse marcher ?

Honnêtement, il y a peu de risque que ça marche. Il faut avant tout se demander pourquoi ces élèves ne viennent pas. Et la motivation n’est pas forcément le problème principal. Souvent, ils manquent l’école non pas par manque de motivation mais parce qu’ils ont soit des acquis fondamentaux insuffisants (lecture, écriture..), soit de trop gros problèmes sociaux. Mettre la pression peut fonctionner et même parfois doubler les performances de l’individu s’il y a des compétences au départ. Si ces compétences sont insuffisantes, et c’est souvent le cas, s’il s’agit d’élèves en difficulté, cela peut mener à de la résignation. Ce serait trop simpliste s’il suffisait de mettre de l’argent pour que les élèves viennent en cours. Je pense qu’on aurait essayé avant !

Est-ce immoral selon vous ?

Absolument pas. Au moins, le rectorat essaie de faire des choses, il se bouge. Je pense qu’il y a aussi des motivations politiques. Mais ils ont le droit d’essayer des choses, de se tromper, et de faire autre chose. Si cette action est correctement suivie et évaluée, c’est une expérience qui peut être tout à fait intéressante.

* Les lycées qui tentent l’expérience sont : Lino-Ventura à Ozoire-la-Ferrière (Seine-et-Marne), Gabriel-Peri à Champigny-Sur-Marne (Val de Marne) et Alfred-Costes à Bobigny (Seine-Saint-Denis).


Les Anglais, précurseurs

Depuis 2008, la Grande-Bretagne a mis en place le plan EMA (Education Maintenance allowance) dans tout le pays. L’objectif est de pousser les jeunes de 16 à 18 ans qui n’ont plus l’obligation légale d’aller à l’école, d’y rester ou d’y retourner. Les jeunes concernés par ce programme reçoivent 10 £, 20 £ ou 30 £ chaque semaine s’ils sont assidus en cours, somme calculée en fonction des revenus familiaux. Cette somme est directement versée sur leur compte en banque. Des bonus récompensent en plus les élèves qui atteignent des objectifs scolaires fixés au préalable. Pour postuler, le jeune doit être âgé de 16 à 18 ans, avoir quitté l’école ou être en passe de le faire, et être issu d’une famille dont les revenus sont inférieurs à 30 810 £ par an.




Propos recueillis par Sophie de Tarlé

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