Interview

Luc Chatel : "Cela ne me choque pas qu’une famille sans problèmes financiers investisse dans des manuels pour ses enfants"

Par Virginie Bertereau, publié le 30 août 2010
1 min

Début juillet 2010, letudiant.fr vous offrait la possibilité de poser vos questions à Luc Chatel, le ministre de l’Éducation nationale, à l’occasion de la rentrée. En deux mois, nous avons reçu une centaine de messages de lycéens, d’étudiants, de parents d’élèves. Nous en avons sélectionné une vingtaine, représentatifs des thèmes qui suscitent l’interrogation (enseignements d’exploration, rééquilibrage des séries de bac, orientation, rythmes scolaires, manuels…). Nous vous livrons aujourd’hui les réponses du ministre, qui nous a reçus dans son bureau le 30 août.

Calendrier de la réforme

Joséphine, 14 ans, en 1ère L
La réforme des lycées s’applique-t-elle à toutes les classes dès cette rentrée ?

Non. La réforme du lycée entre en vigueur progressivement : cette année pour la classe de seconde, à la rentrée 2011 pour la première et à la rentrée 2012 pour la terminale. C’est pour cela que les modifications du baccalauréat – par exemple, l’épreuve de langue qui se passera à l’oral et non plus à l’écrit – concerneront le bac 2013. Il n’y a donc pas de changement pour les élèves de première et de terminale. Toutefois, ils vont bénéficier dès cette année de certaines nouveautés, comme la mise en place d’un « référent culture » dans chaque lycée ou l’initiative Ciné Lycée, la plateforme de films à destination des lycéens.


Nathalie Joncour, 48 ans

Mon fils passe en première cette année et n’est donc pas concerné par cette réforme. Que se passe-t-il s’il double sa première ou sa terminale ?

S’il redouble en 2011, il aura un changement entre ses deux classes de première. Il bénéficiera notamment de la mise en place de l’accompagnement personnalisé ou des stages « passerelles ».

Rééquilibrage des séries de bac


Quentin, 19 ans, en prépa littéraire

Rendre la filière L plus littéraire ne signifie pas, à mon sens, de l'appauvrir en disciplines scientifiques... Quel en est l'intérêt ?

Le problème d’aujourd’hui c’est que l’on manque de spécialisation dans les filières. Sans le dire, sans l’assumer, nous avons un nivellement des séries : les très bons élèves se retrouvent en S, les « un peu moins bons » en ES et les autres en L, les « grands littéraires » mis à part. J’ai voulu revenir à l’origine de la répartition en séries. J’ai voulu qu’on conforte leur discipline de base : la littérature en L, l’économie en ES, les sciences en S. Mais cette spécialisation se fait progressivement. C’est surtout en classe de terminale qu’elle a lieu. Ce n’est pas pour cela que l’on abandonne les autres matières. En première L, on va continuer à avoir des sciences.

Alicia, 14 ans, en troisième
Que devient la filière L ? Offre-t-elle des débouchés ou est-elle amenée à disparaître?

Le but est justement de la revaloriser et d’en faire une série où on l’on conforte la littérature, où l’on renforce la place des langues vivantes (notamment avec les enseignements en langue étrangère) et où l’on essaie d’ouvrir des débouchés nouveaux avec la mise en place en terminale du cours « Grands enjeux du monde contemporain » dont l’objet est de mieux préparer à certaines études, comme celles de droit.


Amélie, 17 ans, en terminale ES
J'aurais aimé savoir si les filières ES et L allaient être mixées à la rentrée ?

Non. Il n’en est pas question.


Passerelles et changements d’options / enseignements d’exploration


Christine, 42 ans

Est-ce que l'enseignement d'exploration que l'on choisit en seconde détermine la série que l'on va avoir en première ?

Non. Justement, l’essence même de l’enseignement d’exploration est de découvrir une matière, d’ouvrir son champ de connaissances, de disciplines. Le but est de susciter chez le lycéen un intérêt, une vocation, une passion. D’ailleurs, j’encourage plutôt les élèves à choisir deux enseignements d’exploration très différents sauf s’ils savent exactement ce qu’ils veulent faire. Mon fils qui entre en seconde, par exemple, a choisi un enseignement d’économie et un enseignement d’exploration scientifique pour ouvrir le champ.

Magalie, 15 ans, en seconde
Avez-vous prévu une solution face au manque de places dans certains enseignements d'exploration très demandés, comme MPS (méthodes et pratiques scientifiques) ? Est-ce que ces enseignements d'exploration seront notés, et si oui, comment (exposé oral, devoir sur table...) ?

Il existe un choix important d’enseignements d’exploration : une dizaine au total. J’ai donné pour consigne aux recteurs que ces enseignements soient disponibles dans tous les établissements. Il peut arriver que certaines disciplines ne le soient pas dans des lycées très demandés, aux capacités contraintes. Mais c’est marginal. La majorité des établissements ont attendu les inscriptions des élèves pour affecter les moyens.

Ces enseignements seront notés, bien sûr. Il est très important que les élèves reçoivent un retour de l’institution scolaire sur leurs résultats. La note n’est pas une sanction. Elle est là pour apprécier, évaluer, permettre de faire des progrès…

Aymeline, 17 ans, en terminale ES
Comment les stages "passerelles" pourraient-ils aider un élève qui a pris du retard dans son année ? Il est clair qu'en une semaine il n’est, par exemple, pas possible d'assimiler le programme d'une seule année de SES, même avec toute la bonne volonté du monde.

Beaucoup de parents inscrivent leurs enfants à des cours de rattrapage, de soutien dans des institutions privées. Je souhaite que ce soit l’Éducation nationale qui propose un approfondissement, un retour sur certaines notions. Il ne s’agit pas de revoir tout le programme en concentré. Si l’élève n’a aucune connaissance de la matière, il est clair qu’il ne pourra pas se mettre à niveau en une semaine. Il s’agit de rattraper l’écart en nombre d’heures de cours dans certaines disciplines de façon à favoriser le changement de série. En première, le tronc commun représente 60 % de l’emploi du temps.

Rythmes scolaires


Sylvie, 53 ans
Envisagez-vous de réduire le nombre d'heures de cours au lycée ?

Dans l’immédiat, j’ai lancé un grand débat national sur les rythmes scolaires. Une conférence nationale, avec des personnalités indépendantes de tous bords, a commencé à travailler sur le sujet. Elle va prendre le temps de la réflexion. Je ne vais pas fermer le débat par mes prises de position au moment où nous l’ouvrons. J’attends les propositions de la conférence. Le premier rapport d’étape aura lieu début 2011. Les propositions finales sont prévues pour la fin de l’année scolaire 2011.


Filières technologiques et professionnelles


Salim, 18 ans, en première STI (sciences et technologies industrielles)
La reforme de la série STI aura-t-elle un impact sur les emplois pour les bacheliers qui obtiennent leur baccalauréat actuellement ?

La série STI n’avait pas changé depuis 1993. Ses programmes ont été conçus il y a 20 ans. Entre-temps, les métiers ont considérablement évolué. La série est donc devenue inadaptée par rapport aux attentes des entreprises. Par ailleurs, il s’agissait d’une filière très spécialisée, avec ses 17 spécialités. Nous avons beaucoup travaillé avec les milieux socio-professionnels pour concevoir de nouveaux programmes et nous avons finalement créé 4 grandes spécialités mieux adaptées à l’entreprise. Cet éclairage crée un peu d’attractivité sur cette série STI2D (sciences et technologies de l’industrie et du développement durable) auprès des employeurs. Mais attention : elle n’entrera en vigueur qu’à la rentrée 2011.

Fanny, 15 ans, en seconde
Serait-il possible d'augmenter le soutien scolaire des élèves même en lycée professionnel ?

Dans la réforme du lycée professionnel figurait un accompagnement personnalisé de deux heures et demi par semaine. Celui-ci a été mis en place en 2009.


Matières


Magalie, 15 ans, en seconde

Pourquoi supprimer l'histoire et la géographie en terminale S ? Comment va-t-on terminer le programme prévu pour 3 ans en seulement 2 ans ?

On ne supprime pas l’histoire-géographie en série scientifique. Dans la réforme du lycée, la terminale est une année de spécialisation. Nous avons donc regroupé les matières du tronc commun en première et nous avons renforcé le nombre d’heures de cours d’histoire-géographie (4 heures par semaine au total) pour couvrir les programmes actuels (réajustés) des deux niveaux de classes. L’idée est de faire passer la discipline en épreuve anticipée au baccalauréat. Les élèves scientifiques pourront ainsi se consacrer à l’histoire en première et à leurs matières de spécialisation en terminale. C’est ce que l’on fait pour le français aujourd’hui et cela ne choque personne. De plus, les lycéens qui souhaiteront continuer l’histoire-géographie en terminale pourront prendre la matière en option.

Solveig, 14 ans, en seconde
Je souhaiterais savoir si oui ou non je vais avoir deux langues obligatoires lorsque je serai en première et terminale ?

Oui !

Odile, 14 ans, en troisième
Pourquoi les sciences économiques et sociales sont-elles devenues obligatoires en classe de seconde?


Les SES ne sont pas obligatoires. C’est l’économie qui l’est. Les lycéens de seconde ont le choix entre deux enseignements d’exploration : les SES et les PFEG (principes fondamentaux de l’économie et de la gestion). Avec l’évolution du monde, la nécessité de bien décrypter tout ce qui se passe dans l’environnement économique, il est indispensable que les élèves aient au moins une fois dans leur vie des cours d’économie et cela leur servira.


Bac

Fanny, 15 ans, seconde

Vous parliez de déplacer quelques épreuves de terminale en première. Cela se fera-t-il ? Si oui, quelles épreuves et à quelle rentrée scolaire cela sera-t-il mis en vigueur ?

Oui, cela va se faire en 2011 pour l’épreuve d’histoire-géographie en première S.


Carte scolaire


Anne-Marie, 45 ans

À l'heure où notre gouvernement dit effacer la carte scolaire, pourquoi est-il encore plus difficile d'accéder à un lycée qui n'est pas du secteur ?

Ce cas doit se passer à Paris où il n’y a plus de carte scolaire. La capitale est très spécifique. On y compte beaucoup de lycées sur une zone géographique réduite. De plus, la part de l’enseignement privé est plus importante que sur le reste de la France. Beaucoup d’élèves viennent d’un collège privé et cherchent à entrer dans un lycée public. Or, nous ne maîtrisons pas le volume annuel de ces élèves. Nous avons donc des surprises chaque année et cela nécessite certains ajustements au cours de l’été. J’observe néanmoins qu’en 2010, à ¨Paris, on a fait de gros progrès. 100 % des élèves avaient été affectés le 8 juillet et 98 % d’entre eux ont été affectés sur l’un de leurs trois premiers choix.


Manuels scolaires


Paulette

Avez-vous prévu une aide financière pour aider les familles qui ne peuvent pas revendre leurs livres à cause de la réforme ?

Oui, l’État prévoit pour les familles des aides financières. L’allocation de rentrée scolaire s’élève à 308 € au lycée. S’ajoutent des bourses pour 15 % des familles les moins favorisées (de l’ordre de 300 €) et une allocation spécifique pour l’entrée en seconde (65.000 lycéens sont concernés). Les régions pratiquent également une politique d’accompagnement à l’achat des manuels scolaires, de 65 € à la totalité du coût. C’est vrai que l’on ne peut pas revendre un livre en cas de changement de programme. Mais cela a toujours été le cas ! D’autre part, un manuel peut être utilisé comme ressource pédagogique supplémentaire, servir toute la vie. Il n’est pas interdit de le garder dans sa bibliothèque. Enfin, cela ne me choque pas qu’une famille qui n’a pas de problèmes financiers investisse dans des manuels pour ses enfants. On achète bien des tas de fournitures en cédant à la dernière mode.


Orientation


Emilie, 15 ans, en seconde

Pensez-vous vraiment qu'à 15 ou 16 ans on puisse choisir d'être très scientifique, très littéraire ou très économiste si on est bon dans toutes les matières ? Et si tant d'élèves choisissent S, n'est-ce pas justement parce qu'on leur demande de choisir trop tôt ?

Non, et c’est pour cela que l’on fait la réforme du lycée. L’objectif est de donner plus de souplesse aux élèves dans leurs choix d’orientation, d’aller vers des parcours plus progressifs, de les accompagner avec du tutorat… Tout cela va permettre d’éviter les décisions « couperet ».

Alexis, 16 ans, en seconde
La réforme parle beaucoup d'une meilleure orientation pour les lycéens. Durant les années lycées, avec cette réforme, sera-t-il possible de faire des stages en entreprises ?

En troisième, il existe déjà un stage de découverte de 5 jours. Ensuite, avec la réforme, des parents d’élèves – entre autres – pourront venir expliquer leur métier et, inversement, les lycéens pourront se rendre à l’extérieur pour découvrir l’entreprise.

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