Interview

Les 20 ans de Martin Winckler : comment il est devenu médecin et écrivain

Martin Winckler, médecin et écrivain
Martin Winckler, médecin et écrivain © Claude Gassian Flammarion
Par Aurore Abdoul-Maninroudine, publié le 27 octobre 2016
1 min

À 20 ans, Martin Winckler se prépare déjà à être médecin tout en écrivant des nouvelles, sa deuxième passion. Aujourd’hui, il est connu pour ses prises de position contre certaines attitudes et pratiques de la profession. Dans son dernier livre "Les brutes en blanc" (Flammarion, 2016), il dénonce la "maltraitance médicale".

À 20 ans, imaginiez-vous devenir médecin, écrivain et enseignant ?

"À cet âge-là, j'écrivais déjà depuis sept ou huit ans, le plus souvent des nouvelles de science-fiction et j'étais en 2e année de médecine. Alors oui, je m'imaginais médecin et écrivain. Très vite, j'ai compris que je n'avais pas à choisir, que je pourrais faire les deux. Mais écrire et soigner n'ont jamais été des buts en soi. Ce sont pour moi des moyens : être médecin est un moyen d'aider les gens, de les soulager ; écrire me permet de m'exprimer, de donner du plaisir aux lecteurs.

Très vite, j'ai compris que je n'avais pas à choisir entre la médecine et l'écriture.

Enseignant, en revanche, je ne l'imaginais pas du tout. C'est au cours des dix dernières années que je me suis épanoui dans l'enseignement, lorsque je me suis installé au Canada. De manière générale, la conception nord-américaine de l'enseignement est très différente de la conception française. Là-bas, plus une personne a un parcours original, plus on se dit que son expérience est intéressante à transmettre. Quand je suis arrivé au Québec, on m'a dit : "Vous avez écrit un roman sur l'éthique qui a connu un grand succès auprès du public ["La maladie de Sachs", prix du Livre Inter 1998], c'est formidable. Vous pourriez mener un enseignement sur l'éthique"."

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Adolescent, qu'aimiez-vous lire ?

"J'adorais la science-fiction et je lisais en particulier les nouvelles d'Isaac Asimov, un écrivain américain d'origine russe. Dans l'un de ses recueils, il racontait dans quel contexte il avait écrit tel ou tel texte, comment il s'y était pris. Je trouvais cela passionnant et ça démystifiait le travail d'écriture."

Pourquoi avez-vous eu envie de devenir médecin ?

"C'est très difficile de le savoir. Mon père, lui-même médecin, avait très envie que je marche dans ses pas. Mais je n'ai pas eu le concours la première fois que je l'ai passé. À ce moment-là, de mon côté, j'avais très envie d'écrire. J'ai longuement hésité à partir aux États-Unis faire une école de journalisme."

Vous connaissiez déjà les États-Unis ?

"J'étais allé passer une année, dans le Minnesota, entre mon bac et ma première année de médecine. J'ai adoré ! Avant d'y aller, je m'intéressais déjà beaucoup à la culture américaine : les livres, les bandes dessinées, la musique... Et je parlais bien anglais car mon père m'avait envoyé plusieurs fois, l'été, en Angleterre.

J'ai été particulièrement marqué par l'état d'esprit de mes professeurs et de mes camarades de classe. Là-bas, on ne se moque pas des ambitions des gens, de leurs rêves, même si on leur rappelle que l'on n'a rien sans travail. Mes professeurs américains m'encourageaient énormément à écrire et cela me paraissait plus accessible qu'en France. Il n'y avait pas cette idée qu'écrire est réservé seulement à quelques-uns, qu'on doit faire partie d'une "caste".

Martin Winckler à 20 ans : Martin Winckler, à 20 ans : "Je voulais avoir l'air effrayant. C'est plutôt réussi, non ?" // © Photo fournie par le témoin

Finalement vous décidez de rester en France pour repasser le concours de médecine. Pourquoi ?

"Tout s'est joué au cours de l'été qui a suivi mon échec au concours. Je suis allé bosser comme aide-soignant dans l'hôpital de mon père. Si je n'avais pas eu de la gratification à laver quelqu'un qui ne peut pas bouger d'un lit, je n'aurais pas été médecin. Si je n'avais pas voulu voir ces corps dans le dénuement le plus total, je n'aurais pas été médecin.

Je n'ai jamais eu de grands fantasmes de chirurgien qui veut sauver le monde.

Ma vision du médecin comme soignant est profondément liée à cette expérience. Je n'ai jamais eu de grands fantasmes de chirurgien qui veut sauver le monde et je ne suis pas du tout dupe du pouvoir du médecin. L'objectif d'un médecin n'est pas toujours très ambitieux, mais pour les patients, être écouté, c'est déjà énorme."

Votre père a-t-il été un modèle pour vous ?

"Absolument. Je l'accompagnais dans ses visites, et dans sa voiture, entre deux patients, nous discutions. Il me racontait sa jeunesse en Algérie. Il m'a surtout transmis des valeurs. Je ne l'ai jamais entendu dire d'un patient : "Lui, c'est un imbécile", même si il avait conscience que certaines personnes pouvaient être "toxiques" pour leur entourage.

Je me souviens en particulier d'une anecdote qui m'a profondément marqué. L'été où j'ai été aide-soignant dans son hôpital, un patient qui hurlait à la mort est arrivé. Je vais voir mon père qui discutait avec un autre médecin et je lui dis : "Il en fait des tonnes celui-là". Mon père m'a tout de suite rabroué : "Tu n'as pas le droit de dire ça. La douleur a raison contre le médecin." Je n'ai plus jamais pensé qu'un patient faisait du cinéma."

"Ma mère a eu une influence plus "subliminale" que mon père, moins par les paroles que par le comportement : elle était extrêmement indépendante et ouverte pour une femme de sa génération ; elle a été mère célibataire pendant de nombreuses années – j'ai une sœur plus âgée –, et s'est mise à travailler très jeune. Elle était un modèle d'autonomie pour de nombreuses femmes."

Avez-vous été marqué par certains de vos enseignants ?

"Mon instituteur de CM2, Monsieur Berthier, a été une figure très importante. Il avait dit à mon père : "Votre fils, ce n'est pas un scientifique, c'est un littéraire." Il m'a énormément influencé. Puis, il y a eu mon professeur de français de première, Monsieur Monticelli, adoré de tous les élèves. Il m'avait vu tenir mon journal et il ne s'est pas moqué de moi. Au contraire, il m'a encouragé."

Vous étiez un bon élève ?

"J'étais un très bon élève, très sage, très appliqué. J'avais la chance d'avoir une très bonne mémoire, ce qui me permettait d'écrire sans jamais faire aucune faute d'orthographe. Et il paraît que j'avais un bon style. Je pense que cela m'a beaucoup aidé : même avec un contenu moyen, mes qualités littéraires m'aidaient à avoir de bonnes notes."

Comment avez-vous vécu vos études de médecine ?

"Mal. Je trouvais les cours élitistes, sexistes, racistes. Bien sûr, certains profs étaient géniaux, mais la majorité d'entre eux traitaient les étudiants comme des moins que rien et méprisaient la médecine générale. J’ai entendu une fois un grand patron d’université, en chirurgie de la main, expliquer qu'il n'allait pas mener la même opération si le patient était violoniste – dans ce cas, il fallait tout faire pour lui garder ses cinq doigts – ou si il était ouvrier du bâtiment... Une autre fois, un professeur voulait faire une dissection de la veine du pied d'un patient plongé dans le coma pour "des raisons pédagogiques". Des comportements totalement inadmissibles !

L'idée la plus répandue était qu'il fallait en baver pour devenir un bon médecin.

J'ai aussi vu l'influence du système de formation sur les étudiants. La plupart d'entre eux arrivaient en médecine avec les meilleures intentions du monde. Progressivement, le système les transformait. L'idée la plus répandue était qu'il fallait en baver pour devenir un bon médecin, que c'était normal d'être tyrannisé, que c'était comme cela qu'on allait s'endurcir... Avec le sous-entendu qu'un bon médecin n'est pas dans l'empathie.

C'est à force d'être confronté à cela que j'ai eu envie de dénoncer ces comportements de "maltraitance" tant envers les patients qu’envers les étudiants."

Quel étudiant étiez-vous ?

"J'étais un étudiant révolté avec un côté "poil à gratter". Je n'hésitais pas à dire aux enseignants ce que je pensais. Par exemple, ce professeur qui avait voulu faire la dissection de la veine du pied, je lui ai dit que ce serait sans moi. Je rédigeais des pamphlets pour dénoncer tout ce qui m'indignait et je les collais sur les murs de la fac... J'écrivais aussi dans une revue underground pro-IVG [interruption volontaire de grossesse]."

À cette époque, vouliez-vous déjà vous spécialiser dans "la médecine des femmes" ?

"Non, cela s'est fait progressivement, au gré des circonstances, même si j'ai toujours été un fervent défenseur des droits des femmes. Je rêvais de faire de la médecine générale à la campagne et je devais donc être capable de faire des accouchements. J'ai commencé à travailler, à l'hôpital du Mans, avec des sages-femmes. Puis progressivement, j'ai fait des consultations au centre de planification et pratiqué des IVG.

En discutant avec ces femmes, j'ai constaté que bien souvent, on ne répondait pas à leurs questions et à leurs doutes, balayés d'un revers de main. C'est là que j'ai commencé à me spécialiser sur la contraception et plus généralement sur la médecine des femmes."

Bio express

1955 : Naissance à Alger

1982 : Diplômé de la faculté de médecine de Tours. Martin Winckler exerce ensuite dans un cabinet de médecine générale de la Sarthe de 1983 à 1993 puis à l'hôpital du Mans jusqu'en 2008.

1989 : Publication de son premier roman "La vacation" (P.O.L).

1983-1989 : Rédacteur puis rédacteur en chef adjoint de la revue "Prescrire".

1998 : Publication de "La maladie de Sachs" (P.O.L) qui reçoit le Prix du Livre Inter.

2009 : Publication de "Le choeur des femmes" (P.O.L).

2016 : Publication d'un essai "Les brutes en blanc" (Flammarion) sur la maltraitance médicale.

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