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Témoignage

Ces enseignants-chercheurs ont choisi d'exercer une deuxième activité en dehors de l'université

Les enseignants-chercheurs ont perdu près de 30% de pouvoir d’achat entre les années 1980 et 2020.
Les enseignants-chercheurs ont perdu près de 30% de pouvoir d’achat entre les années 1980 et 2020. © Sylverarts / Adobe Stock
Par Caroline Celle, publié le 19 juillet 2024
1 min

Excédés par leurs conditions de travail, des enseignants-chercheurs ont choisi d’exercer une deuxième activité professionnelle. Ils témoignent d’un climat dégradé à l’université et cherchent à donner plus de sens à leur travail. Certains envisagent de se reconvertir.

Dans l’enseignement supérieur, les postes d’enseignant-chercheur à l’université sont convoités et prestigieux. Camille* s’est battue pendant 15 ans pour avoir sa place. Devenue maîtresse de conférence en littérature étrangère il y a quelques années à peine, elle envisage pourtant déjà de se reconvertir.

Désenchantée par son poste à l’université, Camille a choisi d’avoir une seconde activité pour donner plus de sens à sa vie professionnelle. "Je suis psychologue en libéral, un jour par semaine, en plus de mes heures de travail à la fac, explique-t-elle. Je réfléchis à demander une rupture conventionnelle avec mon université, pour devenir psychologue à plein temps. Je me sens angoissée dès que je dois aller à la fac, alors que je suis toujours contente de retrouver mes patients à mon cabinet."

David* et Sophie* sont dans une situation similaire. "En 20 ans de carrière, j’ai pu voir à quel point les conditions de travail dans la recherche se sont dégradées, confirme Sophie. Il y a quelques années, j’ai entamé des études à la faculté de psychologie, en révisant le soir et les week-ends, et j’ai obtenu mon diplôme. Maintenant, je suis passée à un temps partiel de 70% à l’université et, le reste du temps, je suis psychanalyste en libéral."

Exercer des fonctions libérales à coté de l'université

Selon le code de la fonction publique, les enseignants du supérieur peuvent exercer "des professions libérales qui découlent de la nature de leur fonction". Par exemple, les professeurs à la faculté de médecine peuvent aussi être praticiens à l’hôpital.

Les enseignants qui exercent une activité sans rapport avec leur fonction doivent, quant à eux, obtenir une autorisation écrite de leur président(e) d’université. L’autorisation se donne au cas par cas, à condition d’exercer cette activité en dehors des heures d’enseignement et de recherche.

David, maître de conférences en sciences, a ainsi obtenu l’autorisation de devenir praticien dans la médecine alternative, à raison de dix heures par semaine. "Mon université a considéré qu’il s’agissait d’une forme d’enseignement, compatible avec ma fonction", indique-t-il.

De son côté, Camille a toujours eu le projet d’être enseignante-chercheuse en littérature tout en développant sa passion pour la psychologie. "Je voulais aussi avoir un diplôme en psychologie pour assurer mes arrières et éviter la précarité, poursuit-elle. J’ai obtenu un poste à l’université dans un champ très spécifique et il y avait très peu de places disponibles."

Peu de possibilités d'évolution pour les enseignants-chercheurs

Pour la chercheuse, l’enseignement supérieur offre aujourd’hui peu de perspectives. Les postes manquent dans les universités et la mobilité est rendue très difficile, car les enseignants-chercheurs n’ont pas de système de points pour bénéficier d’un rapprochement familial, comme dans l’Éducation nationale.

"Cela fait plus de 15 ans que je demande à être mutée en région parisienne sans succès, abonde Sophie. Je vis là-bas, avec mon conjoint et mes enfants mais je travaille dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. J’ai donc fait des trajets en train pendant vingt ans, pour passer deux jours par semaine à enseigner dans mon université. Maintenant, j’ai réduit les déplacements à un jour par semaine, et je donne mes consultations de psychanalyse chez moi."

Des tâches administratives trop importantes

Ces enseignants-chercheurs estiment aussi que leur profession est aujourd’hui gangrénée par l’administratif. "Je consacre 50% de mon temps de travail à monter des dossiers pour décrocher des budgets dans la recherche et endosser des responsabilités pédagogiques à la fac, s’agace Camille. Il ne me reste plus beaucoup de temps pour la recherche et l’enseignement. Mes consultations en psychologie sont bien plus stimulantes intellectuellement !"

David se sent aussi plus épanoui dans l’exercice de la médecine alternative qu’à l’université. "On dirait que tout est fait pour nous empêcher de partir en mission dans le cadre de la recherche, constate-t-il. Les enseignants doivent maintenant faire des demandes de financement ou de déplacement sur des systèmes informatiques incompréhensibles. C’est assez décourageant !"

Pallier une mauvaise rémunération

Camille, David et Sophie ont aussi choisi d’avoir une seconde activité professionnelle pour bénéficier d’une meilleure rémunération. Ils considèrent leur salaire d’enseignant trop faible par rapport à leur fonction. Le Syndicats national de l’enseignement supérieur (Snesup) martèle que les enseignants-chercheurs ont perdu près de 30% de pouvoir d’achat entre les années 1980 et 2020, en raison du gel de leur point d’indice et de l’inflation.

"J’ai été enseignante dans le secondaire, et quand je suis passée dans le supérieur, j’ai perdu entre 400 et 500 euros net par mois, déplore Camille. Lorsqu’on est professeur agrégé, les heures supplémentaires au lycée sont majorées. Mais ce n’est pas le cas à la fac."

Selon les syndicats de l’enseignement supérieur, les heures supplémentaires à l’université sont même payées au SMIC horaire, si l’on considère qu’une heure de cours de TD demande en moyenne quatre heures de préparation.

"Pour avoir un bon salaire, nous avons aussi des primes mais elles ne comptent pas dans nos cotisations retraite, ajoute Sophie. En comparaison, je gagne bien mieux ma vie en donnant des consultations de psychanalyse."

David, en revanche, exerce une seconde activité peu rémunératrice. Mais il envisage de consacrer davantage de temps à sa profession de praticien en demandant à son université de passer à 80%. "Si je réussis à en tirer des revenus corrects, je quitterai très probablement mon poste d’enseignant-chercheur", conclut-il.

*Les prénoms ont été modifiés.

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