Enquête

Insertion, attentes vis à vis des entreprises... Quel regard portent les responsables emploi-carrière sur les diplômés de la génération Covid-19 ?

57% des diplômés en juin 2020 ont décroché un poste avant leur sortie de l’école contre 65% pour la promotion diplômée en 2019.
57% des diplômés en juin 2020 ont décroché un poste avant leur sortie de l’école contre 65% pour la promotion diplômée en 2019. © Adobe Stock/denisismagilov
Par Etienne Gless, publié le 14 octobre 2021
10 min

Au sein des grandes écoles et des universités, les responsables emploi-carrière estiment que les entreprises ont plutôt bien joué le jeu pour accompagner les diplômés 2020 et 2021 dans leurs premiers pas professionnels. Mais entre relance économique et attentes profondes de ces jeunes, elles doivent placer la barre assez haut pour les séduire.

En cet automne 2021 souffle un vent d’optimisme pour l"insertion des nouveaux diplômés 2021. La plupart des secteurs recrutent plus que l’année dernière à la même date alors même que l'aide provisoire à l'embauche de jeunes en CDI ou CDD de plus de trois mois mise en place en juillet 2020 s'est éteinte fin mars 2021. Même si des secteurs mettent plus de temps que d’autres à repartir sur une bonne dynamique, l'économie est repartie en flèche. Pourtant du côté des services d'orientation et d'insertion professionnelle des universités ou des centres de carrière des grandes écoles, on revient de loin !

En 2020, absorber le choc de la crise du Covid

"Globalement six mois après l’obtention de leur diplôme, les taux d’insertion de nos étudiants sont en baisse par rapport aux années d’avant la crise sanitaire (2019 et avant), constate Nicolas Borghese, le président du club des entreprises de l'université Savoie Mont Blanc. Mais à douze mois, l’insertion de nos jeunes diplômés est bonne et se maintient aux niveaux antérieurs. Elle a juste pris plus de temps. Certains secteurs d'activité comme l’événementiel, l’hôtellerie, la restauration ou le tourisme ont connu des trous d’air. Mais au final le tissu économique a plutôt assez bien absorbé le choc."

L'aide à l'embauche de jeunes de moins de 26 ans en CDI ou CDD de plus de trois mois (4.000 euros) a encouragé les entreprises à reprendre leurs embauches après un coup d'arrêt lors du premier confinement et permis de limiter la casse. "Les entreprises ont plus que joué le jeu au pire de la crise sanitaire, lors du premier confinement. Nous avons connu peu de ruptures de stages. Les entreprises ont trouvé des accompagnements en distanciel", se souvient Céline Claverie, directrice des relations entreprises du groupe OMNES Education (ex groupe INSEEC U). Et nous n'avons pas eu de mal à placer nos 10 à 12.000 étudiants (sur 30.000) en alternance. Pour ceux confrontés à une rupture de contrat en alternance du fait des difficultés de l'entreprise, nous avons pu trouver des solutions de substitution. Et s'agissant de l'insertion dans le premier emploi, si ceux à l'international étaient gelés, les entreprises ont créé des emplois en régions."

En 2021, séduire une génération en quête de sens

"La recherche d’utilité sociale dans le métier exercé est extrêmement forte chez nos étudiants, poursuit Céline Claverie. Sans surprise, ils sont nombreux à nous dire qu’ils veulent travailler dans le secteur de l’environnement, des énergies ou de l’économie sociale et solidaire."

41% des 5.500 étudiants et jeunes diplômés interrogés par Harris Interactive en partenariat avec Epoka et L'Etudiant au printemps 2021 dans le cadre du classement 2021-2022 de leurs grandes entreprises préférées placent ainsi la recherche de sens et d'impact sur le monde au cœur de leurs critères.

"Mais attention, la quête de sens n'a pas la même signification selon les étudiants, prévient Laurence Flinois, directrice du Career center de Montpellier Business School (MBS). Pour certains, elle recouvre un sens qui dépasse la mission de l'entreprise : agir sur le monde, sur la société. Pour d'autres le sens tourne autour de la mission qu'ils vont mener sans forcément avoir un impact sur la société."

"Nous avons vu de nombreuses candidatures d'étudiants et jeunes diplômés se porter vers les ONG et les entreprises de l'économie sociale et solidaire présentes sur nos territoires, constate Nicolas Borghese. Nous sommes à proximité de Genève et des organisations internationales qui y sont établies. C’est un mouvement de fond qui s’est accéléré avec la crise sanitaire : au-delà de leurs inquiétudes quant à leur parcours personnel, les étudiants ont besoin de participer à des œuvres collectives plus larges."

En conséquence, certaines entreprises plus "classiques" peinent parfois à trouver des candidats : "Les entreprises qui n’ont pas engagé une véritable démarche RSE (responsabilité sociale sociale et environnementale) sont clairement boudées et souffrent d'un réel manque d’attractivité", poursuit Nicolas Borghese.

Certaines, dans la banque ou le conseil, ont ainsi de gros besoins mais peinent à recruter des jeunes diplômés. "Le conseil, par exemple, reste un secteur attractif mais nos étudiants sont beaucoup plus exigeants avec les valeurs portées par les grands et même les petits cabinets", confirme Céline Claverie.

La rémunération, une préoccupation centrale pour les jeunes diplômés

La rémunération et les avantages sociaux proposés par l'employeur n'ont pas disparu des préoccupations des jeunes. Ils demeurent parmi les premiers critères de choix pour aller travailler dans une entreprise selon l'enquête Harris interactive.

Certes avec la crise, le salaire à l'embauche en début de carrière a baissé. 26% des jeunes estiment d'ailleurs cela normal : l'important reste d'avoir un emploi quitte à revoir sa rémunération à la baisse.

Mais si certains ont accepté de faire des concessions sur le salaire l'an passé, celles-ci ont été très légères pour l'ensemble des diplômés 2020 de grandes écoles : "Le salaire brut annuel moyen hors primes s’établit à 35 461 euros soit une diminution de 0,7% sur un an", rappelle Nicolas Glady, président de la commission aval de la conférence des grandes écoles (CGE) et directeur de Télécom Paris.

Bien sûr, selon le type d’école, la situation est plus contrastée mais globalement les conditions de recrutement ont été très satisfaisantes, poursuit-il. Les ingénieurs recrutés l'ont été au même niveau de salaire qu'en 2019. Par contre, au niveau des managers, le recul est de -1,5 % et de -3,2 % pour les diplômés des écoles d’autres spécialités."

"Accepter un CDD au lieu d'un CDI, revoir à la baisse ses prétentions de rémunération sont les premières concessions consenties par nos diplômés pour s’insérer rapidement sur le marché du travail", constate Laurence Flinois à Montpellier Business School.

Pour trouver un poste, nombre de jeunes élargissent aussi leur recherche à d'autres secteurs d'activité ou acceptent de jouer la carte de la mobilité géographique. La génération diplômée en 2020 a aussi vu s'allonger les délais pour trouver son premier poste. "Seulement 57% des diplômés en juin 2020 avaient déjà décroché un poste avant leur sortie de l’école alors qu'ils étaient 65% pour la promotion diplômée en 2019", observe Laurence Flinois.

Une génération qui capitalise sur sa capacité d'adaptation...

57% des étudiants et jeunes diplômés interrogés misent avant tout sur leur capacité d'adaptation pour leur carrière professionnelle. "La période a été difficile pour tout le monde, chacun l’a vécu différemment mais on explique à nos étudiants qui en doutent qu'ils sont en fait prêts à rentrer dans la vie active, observe Géraldine Ludger responsable du pôle de l’orientation et de la professionnalisation de l'université de Paris. Ils ont vécu des situations qui vont les aider à travailler dans une structure en présentiel comme à distance. Ils ont mis en place des stratégies pour maintenir leur rythme de travail. C’est une compétence tout à fait vendable auprès d'un recruteur."

Pour préparer les futurs diplômés à leur insertion professionnelle, beaucoup de responsables d'établissements ont ainsi dû les accompagner pour changer de posture et dégager du positif d’une expérience négative.

...et exige de la souplesse dans l'organisation du travail

Enfin, deux critères d’attractivité pour le choix d'un employeur ont gagné en importance pour près des deux tiers des jeunes interrogés : la flexibilité des horaires (64%) et les conditions du travail (63%). Déjà plébiscité avant la crise par les générations diplômées en 2019 et auparavant, le souhait de mieux harmoniser les temps professionnels et personnels a grimpé en flèche.

"Avec la crise du Covid-19, la demande de souplesse en matière d’organisation du temps de travail s’est très nettement accélérée, remarque Céline Claverie. Le sujet du télétravail est devenu majeur pour eux. Ils recherchent des employeurs qui ont des idées ou des dispositifs sur le sujet. Il s'agit de satisfaire une génération qui est à la recherche d’un meilleur équilibre entre engagement professionnel et vie personnelle avec si possible cohérence et continuité entre ces deux mondes."

Exigeantes, les premières promotions de jeunes diplômés de la génération Covid le sont assurément. Et du côté des formations comme des entreprises, soucieuses d'innover dans leurs pratiques, on les remercierait presque : "Nos étudiants ont bien raison de nous challenger sur notre capacité à les former à avoir un management responsable", conclut Laurence Flinois. Car c'est comme cela qu'ils pourront changer le monde".

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