Interview

Interview. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du Numérique : "Pourquoi les filles doivent rejoindre les métiers du numérique"

Mounir Mahjoubi est secrétaire d'État chargé du Numérique depuis mai 2017.
Mounir Mahjoubi est secrétaire d'État chargé du Numérique depuis mai 2017. © Audoin Desforges pour l'Etudiant
Par Étienne Gless, publié le 07 mars 2019
6 min

Seulement 15 % de femmes parmi les développeurs informatiques, 11 % de femmes travaillant dans la cybersécurité et 7 % de femmes codeuses... Dans les métiers du numérique, les garçons sont surreprésentés. Le secrétaire d’État chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi, nous explique pourquoi il est urgent de féminiser ces métiers.

Le gouvernement et vous-même soutenez l’action de la fondation Femmes@Numérique visant à promouvoir la mixité dans les métiers du numérique ? Pourquoi ?

Il y a trop peu de filles dans ces métiers. Dans la programmation il n’y a que 7 % de codeuses. Dans la gestion de projet on compte seulement 15 % de femmes. De même il n’est pas acceptable que dans l’entrepreneuriat numérique il y ait si peu de femmes : 9 % seulement des créateurs de start-up sont des créatrices. Comme il n'est pas acceptable qu’il y ait de moins en moins de filles parmi les élèves des écoles d’ingénieurs.

Il y a 30 ans les femmes occupaient 30 % des fonctions techniques du numérique. En 2018, elles n’étaient que 15 %. D’où vient cette idée reçue que le numérique, l’informatique, la programmation sont des métiers d’hommes ?

Parce que les mecs l’ont fait entre eux ! À un moment, dans les années 1980, ils se sont créés une culture qui a fini par apparaître un peu potache et pas très ouverte aux femmes. Cette culture "geek" s’est cristallisée à ce moment-là, alors qu’auparavant le secteur du numérique était en fait beaucoup plus mixte.
Les femmes programmaient les ordinateurs dans les armées et à la NASA ! Mais, aujourd’hui, rien dans la culture numérique n’invite les femmes à venir y faire carrière.

Est-ce l'unique raison pour laquelle si peu de filles s’orientent vers ces métiers ?

Non. Il y a aussi peu de femmes ingénieures dans les familles, dans l’entourage des jeunes filles. Les chances qu’une collégienne, ou une lycéenne au moment de formuler ses choix d’orientation, ait connue une ingénieure femme sont faibles.
De plus les ingénieures et scientifiques ne sont pas héroïsées dans les films ou les séries : il est rare que les filles aient des rôles de hacker ou de développeur. Comme elles sont peu représentées dans les médias, ces modèles de femmes sont invisibles pour les jeunes filles. Ce qui ne se voit pas n’existe pas. C’est ça qu’il faut vraiment casser.

Avez-vous des pistes pour changer la donne, en particulier au niveau de l'orientation ?

Il n’y a pas solution universelle et la réponse sera dentelle. On va aller à la rencontre des filles dans les écoles primaires, les collèges, les lycées et leur faire connaître davantage les métiers du numérique. Et on va tordre le cou aux idées reçues : les métiers techniques du numérique n’ont pas de genres ! Des actions sont menées également avec les associations et les femmes du numérique engagées pour mettre davantage en avant les modèles féminins.
Au lycée nous allons aussi toucher les prescripteurs, en particulier les professeurs des matières scientifiques. Pour qu'on puisse raconter la réalité du métier de femme dans le numérique.

Comment lutter contre le phénomène d’autocensure qui existe chez les filles vis-à-vis des carrières scientifiques ?

Tout nous montre que quand les filles s'orientent vers le numérique, elles ont des notes identiques, voire meilleures, que les garçons ! À part les représentations et les parcours de vie qui diffèrent, les filles réussissent aussi bien.
Il n’y a rien qui ne me fait plus mal au cœur que d’entendre une jeune fille me dire "Ce n’est pas pour moi, ce n’est pas fait pour moi"…

Quels sont les dangers encourus si on ne féminise pas rapidement les métiers du numérique ?

Ils sont multiples. D’abord les grandes entreprises et les administrations publiques peinent à recruter. En se privant des filles on se prive de 50 % des candidats. Il y a aussi un danger sociétal très grave lié à l’égalité salariale.
C’est dans les métiers du numérique que se situent les salaires les plus élevés et les plus en croissance. Ce qui veut dire que tout ce qui a été fait pour réduire les inégalités salariales depuis 30 ans risque de voler en éclats.
Par ailleurs le numérique sera de plus en plus un tremplin potentiel vers les postes de direction dans les années à venir. Du coup ce vivier quasi exclusivement masculin de gens qui viennent du numérique risque de faire que les dirigeants d’entreprise de demain seront tous des mecs !
Autre danger, les risques de biais que comportent les outils numériques : que ce soit une intelligence artificielle, une interface, ou des contenus au sein d’un environnement numérique. On ne peut se satisfaire d’une société numérique où tout est pensé, développé et administré et décidé par des mecs ! Il est très important qu’il y ait une diversité dans notre espace public numérique.

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