Reportage

Lycée : aujourd'hui, pas de cours théorique, on travaille le bois !

Frédéric Simard, menuisier, anime depuis septembre 2017 un atelier pratique pour des élèves de première STMG  au lycée Bergson (Paris, XIXe).
Frédéric Simard, menuisier, anime depuis septembre 2017 un atelier pratique pour des élèves de première STMG au lycée Bergson (Paris, XIXe). © Catherine de Coppet
Par Catherine de Coppet, publié le 17 janvier 2018
8 min

Découvrir comment travaille un artisan en réalisant un objet de ses propres mains, c'est le principe de Manufacto. Une initiative conduite en milieu scolaire pour la deuxième année par la fondation d'entreprise Hermès. Une façon originale de rapprocher les élèves des métiers et des entreprises. Reportage dans le XIXe arrondissement de Paris.

Ils ont tous la mine fatiguée des fins de trimestre et ont du mal à ne pas s'affaler sur leur table en cette heure d'après-déjeuner… "Tu as de beaux cheveux ! Si tu les coupes, tu m'en donnes ?" Le ton chaleureux de Frédéric Simard, alias "Fred", les sort progressivement de leur torpeur. Cet après-midi, ces 11 élèves de première STMG du lycée Henri-Bergson (Paris, XIXe arrondissement) ont deux heures de cours un peu particulières : Fred est menuisier. Au total, il va intervenir 12 fois dans l'année, à raison de deux heures, pour accompagner les élèves dans la réalisation d'un objet en bois.

Une opération rendue possible grâce à Manufacto, un programme de la fondation d'entreprise Hermès en direction du public scolaire (école, collège et lycée) pour faire découvrir l'artisanat à travers la pratique. Pour cette session 2017-2018, c'est un haut-parleur pour téléphone portable qui a été choisi par les organisateurs : une petite caisse de résonance d'environ 20 cm sur 8 cm, sans électricité. Chaque élève en réalise un pour son compte, sur l'ensemble de l'année.

"Vous avez fait quelles études ?"

Ce vendredi, la séance, en demi-groupe, démarre doucement. "Je vais vous montrer ce que je fais, grâce à mon site Internet", annonce Fred. Objectif : donner une idée aux élèves de tout ce qu'un menuisier peut réaliser. De la bibliothèque au bureau en arrondi, en passant par la cuisine ou les banquettes d'un hôtel, Fred commente son travail, du sur-mesure pour les particuliers ou les entreprises. "Le menuisier, c'est le seul qui travaille avec tous les autres corps de métier : électricien, plâtrier, tapissier…"

Ici, aucune prise de notes n'est obligatoire, et les élèves peuvent à tout moment poser des questions. "Vous avez combien d'entreprises ?" "Cela coûte combien de refaire un appartement entier ?" "Vous avez fait quelles études ?" "Vous cassez des murs, vous ? Ah ouais, c'est trop stylé !" Les deux encadrants du lycée, la professeure de français et la CPE (conseillère principale d'éducation), participent également activement. Elles aussi ont pour objectif, à l'issue des quelques séances, de réaliser leur propre haut-parleur.

L'art de fignoler ses pièces

Trois quarts d'heure plus tard, c'est le moment d'aller chercher le matériel dans le débarras attenant à la salle de classe. Scies à main, râpe et papier de verre sont de sortie. Frédéric Simard est assisté, comme tout intervenant de Manufacto, par un(e) étudiant(e) ayant besoin d'un stage pour valider ses études. C'est Lætitia, étudiante à l'Espé de Paris, qui suit ainsi l'ensemble des ateliers à Bergson : "J'aide à la bonne fluidité de l'atelier", explique la jeune femme qui se destine à enseigner les arts plastiques.

Chaque élève retrouve les éléments de son haut-parleur, tenus dans une pince de fixation qui permet de travailler le bois sur une table. Et reprend l'ouvrage où il l'avait laissé à la dernière séance. "Je ne connaissais pas la menuiserie, explique Hachim, 16 ans. Mais j'aime bien manipuler." À une table de là, Mouzdanifa, 17 ans, lime l'extrémité d'un de ses morceaux de bois. "C'est le seul cours pratique, ce n'est pas ma passion mais j'aime bien", dit-elle, son sweatshirt couvert de sciure de bois.

"J'aime bien couper le bois, cela me plaît. En plus on n'a pas français", commente Robinson, 17 ans. L'objectif cet après-midi est de fignoler les pièces, pour qu'elles soient bien dimensionnées et bien lisses. Fred passe entre les tables, s'arrête quand c'est nécessaire : "Tu y vas trop fort, là !, lance-t-il à un jeune homme qui lime énergiquement l'un des morceaux. À l'arrivée, la pièce reflète ce que tu es. Il faut faire attention !"

Prof et CPE également au travail

Originalité de Manufacto, les séances ne sont pas forcément rattachées au contenu pédagogique des autres cours. "Je suis nouvelle dans l'établissement. Comme professeure de français, je leur ai parlé du lien entre le créateur et son outil, via la poésie. C'est pour faire un lien, mais ce n'est pas l'objectif", explique Latifa Grandguillaume, qui est également la professeure principale des élèves. "Moi cela me donne envie de faire des maisons, j'aime bien faire des choses manuelles, souffle Rachid, 17 ans, entre deux coups de râpe. Ce haut-parleur, je pense l'utiliser, peut-être l'offrir, je ne sais pas encore."

À l'une des tables, Yoana Niksarlian, la CPE, est toute occupée à poncer ses éléments de bois. "Je me suis chargée de toute la partie logistique de l'opération, explique-t-elle. Je suis contente de voir les élèves en classe. Moi, cela ne m'arrive jamais. J'avais raté les premières séances, ils sont tous venus m'aider, ils sont très coopératifs. C'est une découverte pour moi et je suis ravie, car j'adore l'artisanat !"

Nora et Rachid sont en pleine concentration.
Nora et Rachid sont en pleine concentration. © Catherine de Coppet

Au-delà de la bouffée d'air, Manufacto répond parfois à des aspirations plus profondes chez les élèves. Rebecca, 16 ans, est l'une des seules du groupe à raconter avoir souvent fabriqué des objets : "J'ai fait plein de bijoux toute seule, en pâte Fimo, mais aussi des maquettes en carton... C'est la première fois que je fais quelque chose avec du bois. Je verrai si j'arrive à quelque chose de beau ! J'ai tout poncé, et là, c'est tout lisse…"

La lycéenne s'est retrouvée en STMG "par défaut". Elle rêvait à l'origine de préparer un bac orienté sur les arts en vue d'intégrer une école dans ce domaine. "J'aimerais bien faire une remise à niveau en art après, confie-t-elle. Ici, cela se passe bien quand même, mais je suis trop contente qu'il y ait Manufacto !" "Cette môme est extraordinaire, elle est posée et très douée", glisse Fred. Il est déjà l'heure de ranger le matériel et de remettre son sac à dos. Alors que la sonnerie a retenti depuis cinq bonnes minutes, les élèves sont toujours là. La preuve qu'ils n'ont pas vu le temps passer…

Créé par la fondation d'entreprise Hermès, en partenariat avec plusieurs rectorats (Paris, Créteil, Nice), les Compagnons du devoir et du tour de France, l'école Camondo et la Villa Noailles de Hyères, le programme Manufacto s'est développé pour sa deuxième année d'existence auprès de sept classes d'école élémentaire, 11 classes de collège et deux classes de lycée, réparties sur les trois académies de Paris, Créteil et Nice. Maroquiniers, selliers-garnisseurs, menuisiers, les artisans intervenants sont choisis par la fondation, et rémunérés pour leurs ateliers. Ils sont compagnons, artisans Hermès en mécénat de compétences, ou sans étiquette. Tous les acteurs du projet ont été réunis sur une journée entière en octobre 2017.
Quant aux objets, ils ont été conçus par des designers professionnels, selon un cahier des charges pour chaque tranche d'âge. Cette année, les différentes classes produiront les dix objets suivants : lampe en bois, lampe en cuir, porte-monnaie animal en cuir, pouf en bois et toile, ghetto blaster en bois et toile, haut-parleur en bois, porte-documents en cuir, tabouret en bois, boîte à outils en bois et cuir, trousse en cuir.

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