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Métier d’enseignant : des profs expérimentés racontent leurs débuts

publié le 01 septembre 2010
1 min

16.000 nouveaux profs font leur rentrée jeudi 2 septembre 2010. 16.000 nouveaux profs à se retrouver, à plein temps, face à des élèves sans avoir suivi de formation préalable en IUFM, réforme de la mastérisation oblige. Nous avons demandé à des enseignants expérimentés de se souvenir de leurs premiers pas… et de leurs premières "bourdes". Tous sont persuadés qu’au-delà de la fameuse "vocation", l’enseignement est un métier qui s’apprend.

"Mes élèves s’ennuyaient, je punissais et j’avais un sentiment d’incompétence"
Florence Castincaud, 55 ans, professeur de français et latin en collège depuis 28 ans.
"J’ai débuté dans un village de la Creuse. Mes élèves s’ennuyaient. Il y avait des boulettes de papiers qui volaient dans la classe. Je punissais et j’avais un sentiment d’incompétence. Je pensais qu’ils allaient m’aimer et s’intéresser d’emblée à la matière, comme cela avait été le cas pour moi plus jeune. C’est toujours une blessure quand ça se passe mal : certains se disent que c’est de la faute des élèves, d’autres pensent être de mauvais enseignants.
Il est important de prendre du recul pour analyser, réfléchir à la manière de motiver des élèves et bien connaître les obstacles à l’apprentissage. Au départ, on associe "je suis bon en français" à "je sais enseigner le français". Pour participer à une réflexion collective avec d’autres profs autour de ces questions, et notamment celle de la posture didactique, je me suis rapprochée du CRAP [Cercle de recherche et d'action pédagogiques].
Avec le temps, on a quelques réussites à son actif. Cela rassure, mais on a toujours besoin de déployer une énergie énorme pour enseigner. On re-débute perpétuellement, parce qu’il y a toujours de nouvelles situations et de nouveaux problèmes auxquels il faut s’adapter."

=> D’après vous, que va-t-il manquer aux nouveaux professeurs ?
"Une formation générale pour analyser ses pratiques et réfléchir à l’autorité, la pédagogie, la didactique. L’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres), tant critiqué, n’était sans doute pas formidable, mais avait l’avantage de permettre aux professeurs stagiaires de se retrouver, d’échanger autour de leurs difficultés, de les analyser en dehors de leur établissement. Avec 18 heures de cours pour les nouveaux professeurs de collèges et lycées, le temps de la réflexion va manquer. Déjà, avec 9 heures, les anciens stagiaires étaient surchargés de travail. Parce qu’au début, il faut tout préparer en partant de zéro."

"Je gueulais beaucoup au début. Je faisais régner une sorte de terreur par crainte des débordements"
Christophe Vallecillo, 47 ans, professeur des écoles depuis 23 ans.
"J’étais autoritaire au début. J’ai eu une classe de SES [section d'enseignement spécialisé, ancienne Segpa, accueillant les élèves en difficultés au collège, ndr] dans un quartier de Seine-Saint-Denis avec des barres d’immeubles. J’ai attrapé et envoyé valser un môme qui donnait des coups de pied dans la tête d’une fille. J’ai réagi physiquement comme un caïd dans la cité, parce que je ne savais pas fixer des règles de comportements qui évitent d’avoir à gérer ce genre de problème dans une classe. L’année suivante, j’ai sorti un élève de CE1 avec sa table et sa chaise. C’était un pupitre. J’ai pris le tout. Je gueulais beaucoup au début. Je pense que je faisais régner une sorte de terreur par crainte des débordements.

Quant aux contenus, mes premières préparations de cours étaient trop détaillées et inapplicables. Je développais quasiment minute par minute et je ne comprenais pas pourquoi les élèves ne suivaient pas. Je faisais la même chose avec tout le monde sans adapter ma pédagogie au niveau des élèves, en prenant le programme et en l’appliquant bêtement. C’était un peu marche ou crève. C’est difficile de prendre en compte la diversité des élèves. Au final, lors de l’évaluation, ils avaient des mauvaises notes. Ma première expérience en maternelle a aussi été une catastrophe. J’avais l’impression que les élèves de petite section ne savaient rien faire parce que je préparais des choses beaucoup trop compliquées pour eux.

La mauvaise posture aurait été de ne pas se remettre en question et de se dire que c’était la faute des élèves qui ne pigeaient rien. Je me suis rendu compte que la situation d’apprentissage était un échange. Si des machines pouvaient enseigner, ça se saurait ! La 3e année, j’ai eu une satisfaction lorsque j’ai réussi à faire raccrocher les wagons à une élève de CE1. Elle avait redoublé 2 fois et devait être orientée en "classe de perfectionnement", une voie sans issue.
Côté discipline, le déclic est venu quand j’ai amené mon goût des arts plastiques en classe. J’avais installé un atelier au fond de la classe. Quand les élèves avaient fini leur travail, ils pouvaient aller faire de la peinture, du découpage, du collage.... C’était la récompense. Et la classe était plus calme sans que je sois dans la posture du flic."

=> D’après vous, que va-t-il manquer aux nouveaux professeurs ?
"Le fond théorique à maîtriser, pour intégrer que l’enfant n’est pas un adulte miniature. Ce bagage était prévu dans la formation jusque-là. Ce n’est pas parce qu’on a les connaissances qu’on sait les faire passer. Et ce n’est pas non plus en se souvenant de la manière dont les choses se passaient quand on était petit. Parce que les élèves d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes. L’enseignement est un métier qui s’apprend, avec les années, à condition de s’interroger sur ces pratiques."


"Je faisais bêtement ce qui était écrit dans le manuel et cela ne marchait pas !"
Soizic Guérin-Cauet, 39 ans, professeur d’anglais en collège et lycée depuis 10 ans.
"Sans venir des beaux quartiers, je n’avais pas la même culture que mes élèves de ZEP (zone d'éducation prioritaire) près de Nantes et je surestimais leur niveau. J’avais aussi très envie qu’ils m’aiment, alors que ce n’est pas le but.
Au début, je me basais uniquement sur le manuel. Je faisais bêtement ce qui était écrit dedans et cela ne marchait pas ! D’abord, parce que je n’arrive pas à me mettre dans les pas de quelqu’un qui a pensé à ma place. Ensuite, parce que cela ne se passe jamais comme c’est écrit dans le manuel, qui présuppose toujours que l’élève va comprendre. Or, en vrai, il y a des élèves qui ne comprennent pas. Et je me contentais de répéter la même chose 10 fois, au lieu de reformuler ce que j’essayais de faire passer.
Après, j’ai dû faire de l’orthophonie : je parlais en apnée et je criais à chaque problème de discipline. J’ai appris à parler à ma classe…. Et à me réjouir que cela ne se passe jamais comme c’est écrit dans les manuels. D’ailleurs aujourd’hui, j’utilise des documents authentiques, de la presse anglophone ou de la BBC, par exemple, pour travailler avec mes élèves. Depuis, j’ai animé plusieurs formations à l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) et accompagné des stagiaires. Je me suis rendue compte qu’au début, c’est normal de ne pas y arriver, et que seuls ceux qui le reconnaissent progressent."

=> D’après vous, que va-t-il manquer aux nouveaux professeurs ?
"Du temps ! Leur charge de travail va être énorme. Ils vont avoir d'emblée 16 ou 18 h de cours par semaine. Leurs soirées et leurs week-ends, ils vont les passer à préparer leurs cours. Il va aussi leur manquer le temps de la réflexion. Avant, l’année de titularisation se passait entre les temps en classe et l’IUFM, qui était l’occasion de parler avec des pairs et des formateurs extérieurs à l’établissement des problèmes rencontrés. Cela permettait de prendre du recul, d’analyser. J’ai peur que beaucoup de débutants n’abandonnent très vite. C’est du darwinisme appliqué à l’Education nationale ! On se croirait dans le Maillon faible. Comme s’il suffisait d’avoir la vocation et de la volonté pour enseigner..."

Propos recueillis par Isabelle Maradan
31 août 2010

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