Interview

C. Dufour : "On se fiche de savoir si Einstein avait de belles fesses et des enfants"

Catherine Dufour // © Patrick Imbert
Catherine Dufour, auteure du “Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princessses”. © Patrick Imbert
Par Isabelle Maradan, publié le 20 février 2014
1 min

Avec humour, légèreté et néanmoins rigueur, Catherine Dufour, ingénieure en informatique, ouvre l’horizon professionnel des filles dans Le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses. Portraits à l’appui, d’une aventurière à une physicienne en passant par une chef d’orchestre, elle entend convaincre les femmes d’aujourd’hui qu’elles peuvent absolument tout faire. À condition d’avoir confiance en elles... Rencontre avec l’auteure de cet ouvrage qui paraît le 26 février 2014 chez Fayard.

Pensez-vous vraiment que les petites filles d'aujourd'hui ont besoin d'un guide pour rêver d'autre chose que de devenir princesses ?

"L'idée de ce bouquin est née un jour où, en regardant un catalogue de jouets avec l'un de mes fils, j'ai été encore plus irritée que d'habitude par les rôles dans lesquels les filles étaient cantonnées. Savoir materner, faire le ménage et être sexy ne sont pas les trois seules façons pour une fille de gagner sa vie. Cela m'a décidé à écrire un recueil des métiers qui font rêver, comme cosmonaute ou aventurière..."

Pourquoi avoir choisi de dresser le portrait d'une pionnière et celui d'une femme d'aujourd'hui pour chacun des 50 métiers à l'honneur ?

"Je voulais montrer que la question de la féminisation des métiers ne date pas d'hier mais aussi permettre aux filles qui le souhaitent de sortir de chez elles pour aller à la rencontre de ces femmes. Elles sont bien vivantes et j'ai réussi à les contacter, donc il ne faut pas hésiter ! De manière générale quand on a un métier en tête, il est toujours enrichissant de rencontrer quelqu'un qui l'exerce."

Quels sont les points communs de ces femmes ?

"Elles ont beaucoup d'énergie et font quelque chose qu'elles aiment. Ce sont des passionnées qui travaillent énormément. Et à part quelques exceptions qui se sont plutôt construites en se rebellant contre leur modèle familial, elles sont assez nombreuses à avoir été élevées par des parents - souvent enseignants - qui ne leur ont jamais rien interdit en terme d'orientation. Ces femmes sont autant de modèles inspirants pour les filles d'aujourd'hui."

Néanmoins, les aventurières et les cosmonautes restent peu nombreuses...

"Mais ça bouge ! Aujourd'hui, la plus grande agence de détective privé est dirigée par une femme. La procureure générale du TPI (Tribunal pénal international) est une femme. Il y a 30 ou 40 ans, les femmes étaient vraiment totalement cloisonnées aux métiers du soin et la technique absolument réservée aux hommes. Je suis tombée sur un guide des métiers paru en 1971 et je vous assure qu'on ne pourrait plus sortir un truc pareil ! Pour l'informatique, il était carrément écrit : 'pas de femmes dans ce métier'. Plus loin, on présentait 'monsieur le pédiatre et son assistante'."

Aujourd'hui, 20% des jeunes se retrouvent encore dans des formations "non mixtes" après la troisième, principalement dans la voie professionnelle, comme l'a révélé un récent rapport du Commissaire général à la stratégie et à la prospective.

"Il y a là une question sociale, ces jeunes étant majoritairement issus des milieux les plus défavorisés. Le problème, pour eux, c'est que les choix de métiers se font globalement vers 15 ans, c'est-à-dire au moment où l'on a besoin de poser sa différence sexuelle. Cela rend sans doute les choses encore plus compliquées. Par ailleurs, même s'il n'est pas facile pour un garçon d'aller vers un métier très féminisé, le problème se pose autrement pour les filles. Leur choix d'orientation puis de métier est beaucoup plus limité que pour les garçons."

Qu'est-ce qui pourrait élargir le champ des possibles pour les filles ?

"Deux choses feront évoluer la féminisation des métiers : l'incitation et le soutien. Il faut, par exemple, dire aux jeunes filles de penser aussi à l'électrotechnique plutôt qu'uniquement au secrétariat. Et il faut ensuite soutenir celles qui font le choix d'entrer dans des filières très masculines, puis des métiers très masculins."

Couv Livre Catherine Dufour - métiers fillesQue peuvent faire les jeunes filles elles-mêmes pour bouger les lignes ?

"Mon conseil est simple : les filles, si vous voulez prendre des risques, voyager et gagner du pognon, allez vers les métiers dits masculins, c'est-à-dire fortement masculinisés ! Pourquoi ? Parce que les hommes choisissent globalement des professions rentables et rigolotes. Malheureusement, il y a un frein à cela : les filles ont encore très largement un manque de confiance en elles. C'est la raison pour laquelle elles se défendent encore assez mal pour réclamer le même salaire qu'un homme ou un poste à responsabilité, par exemple. Il faut leur apprendre à avoir confiance en elles, à avoir du caractère, à l'affirmer, au risque de ne pas plaire à tout le monde. Cela signifie aussi qu'il faut qu'elles renoncent au désir fou de plaire."

Vous ne faites d'ailleurs jamais allusion au physique des femmes dans votre livre...

"Précisément parce que ce n'était pas le sujet ! Parmi la centaine de femmes dont j'ai fait le portrait, il y en a des super canons et des très vilaines, mais j'ai voulu éviter toute allusion au physique comme à la vie personnelle. On se fiche pas mal de savoir si Einstein avait de belles fesses et des enfants, non ?"

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