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« La caméra transforme le rapport qu’on a aux gens »

publié le 27 juin 2008
7 min

Passionné par la géopolitique, attiré par les régions du monde dont on ne sait pas grand-chose – des zones de conflit le plus souvent –, Gwenlaouen Le Gouil, 32 ans, parcourt l’Asie et l’Afrique seul avec sa caméra. Il en ramène des reportages forts, régulièrement diffusés sur Arte, M6 ou encore France 5. Lauréat 2007 du prix Albert-Londres pour "Mutter : un crime contre l’humanité", qui relate le massacre de travailleurs humanitaires sri-lankais, ce jeune journaliste indépendant tente de faire la lumière sur des situations humaines ou politiques complexes, tout en veillant à faire des films accessibles.

Comment avez-vous débuté ?
En sortant du CUEJ, j’ai travaillé comme JRI (journaliste reporter d’images) à la télé, pour TF1 et France 3 notamment, d’abord en stage, puis comme pigiste. J’y ai fait des news pendant un an. Dans ce métier, il y a une part technique importante. Il faut du temps pour oublier le poids de la caméra sur l’épaule. De ce point de vue, c’est très bien de commencer par les news. En plus, le travail est excitant, car on est dans l’événement. Mais il faut savoir qu’un JRI de rédaction est surtout un cameraman. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de travailler sur des formats plus longs. J’ai essayé de décrocher des rendez-vous dans les sociétés de production.

Avez-vous été reçu facilement ?
Non, car je n’avais pas de contacts dans ce milieu. J’allais dans les agences comme Capa ou 2P2L avec des projets de reportage, mais personne n’en voulait. J’ai insisté, je suis revenu. Finalement, on a commencé à me proposer des piges sur d’autres sujets, notamment autour de l’Asie que je connaissais bien pour avoir fait ma coopération à Bangkok, où je travaillais pour une chaîne thaïe. Ensuite, les propositions se sont enchaînées.

Comment préparez-vous vos reportages ?
Une fois les dates de tournage fixées, j’organise mon départ. Je cherche surtout des contacts dans le pays, en particulier un "fixeur", c’est-à-dire un local qui va m’aider à trouver l’information sur place. Je peux aussi avoir besoin d’un interprète, d’un chauffeur, ou encore de gardes du corps. Je me renseigne auprès de journalistes ayant déjà travaillé dans le pays : ils me donnent des conseils ou des noms de personnes à rencontrer. Avant de partir, je creuse également le sujet pour arriver avec le maximum d’informations.

Sur place, comment procédez-vous ?
Je pars à la pêche aux infos avec ma caméra. J’ai un synopsis d’une quinzaine de lignes, un angle. Je sais ce que je veux raconter. Il y a donc des cases que je dois impérativement remplir. Par exemple, dans un film sur l’exil, c’est obligatoire d’avoir des images de personnes en train de fuir le pays. Le reste, c’est beaucoup d’improvisation et de chance, en fonction des rencontres et des événements.

Sur quel matériel travaillez-vous ?
Je pars avec une caméra HDV [High Definition Video] et un peu d’éclairage. C’est un handicap d’être JRI, car la présence de la caméra transforme le rapport qu’on a aux gens. Pour surmonter cela, il faut que la caméra devienne transparente, qu’elle soit toute petite. Heureusement, on travaille maintenant avec des caméras qui pèsent moins d’un kilo et on n’a plus l’œil dans le viseur quand on filme. On peut entrer partout avec, même dans les temples ou les prisons.

Avez-vous le sentiment de prendre des risques en exerçant ce métier ?
Bien sûr, mais j’essaie de minimiser ces risques en prenant le plus de renseignements possible et, surtout, en me fiant au local qui m’accompagne. Malheureusement, on ne peut pas tout prévoir. En décembre dernier, j’ai été retenu en otage par des miliciens pendant huit jours en Somalie, alors que je pensais vraiment avoir fait le tour des risques.

Montez-vous vous-même vos reportages ?
Je pars avec un ordinateur portable pour digitaliser les rushes et parfois commencer le montage. De retour en France, je travaille avec  Jean-Laurent Bodinier, qui est monteur-réalisateur. On monte le film ensemble, mais c’est lui qui maîtrise le logiciel de montage.

Quelles qualités ce métier requiert-il ?
Il faut vraiment être passionné pour le faire. La phase d’attente avant le tournage est angoissante, surtout quand on a la bougeotte. Sur place aussi il y a beaucoup de stress, car on ne trouve pas toujours l’info. Si, à la moitié du tournage, on est toujours "à poil", c’est dur. Le reporter n’a pas le droit à l’erreur : il doit forcément ramener quelque chose de bien. Évidemment, on stresse aussi pendant le montage, car les délais sont souvent courts et il faut que le film soit prêt pour le jour de sa diffusion.

Vous venez de fonder une société de production, Cargo Culte. Pourquoi ?
Quand on travaille pour un producteur, on est aussi amené à faire des sujets qui ne nous intéressent pas. Maintenant que je produis mes films, je vais directement voir le rédacteur en chef de l’émission, par exemple Arte reportage, et je propose différents sujets que j’ai envie de faire. On discute du fond et il sélectionne le sujet qui lui convient le mieux.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut faire ce métier ?
De lire et relire des bouquins sur l’image et des magazines de photo. Il faut comprendre pourquoi certaines images nous marquent, alors que d’autres ne laissent aucun souvenir. Il faut regarder beaucoup de documentaires et analyser comment les images sont montées. On ne peut faire ce métier que si on a un rapport passionné à l’image. l

Formation : du journalisme avant tout
Un reporter, qu’il soit JRI ou non, est un journaliste. Il est donc conseillé de passer par l’une des 12 écoles reconnues par la profession : le CFJ (Centre de formation des journalistes) et l’IPJ (Institut pratique de journalisme) à Paris, l’ESJ (École supérieure de journalisme) à Lille, l’EJT (École de journalisme de Toulouse), les IUT (instituts universitaires de technologie) de Lannion et de Tours, l’IJBA (Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine), le CELSA (École des hautes études en sciences de l’information et de la communication, Paris 4), le CUEJ (Centre universitaire d’enseignement du journalisme, Strasbourg 3), l’École de journalisme et de communication (Aix-Marseille 2), l’ICM (Institut de la communication et des médias, Grenoble 3) et l’IFP (Institut français de la presse, Paris 2). Plusieurs de ces établissements proposent des spécialisations JRI. Les IEP (instituts d’études politiques) de province ont signé des conventions avec des écoles de journalisme, permettant l’obtention en six ans du diplôme d’IEP et d’un diplôme de journalisme reconnu. Sciences po Paris s’est même dotée d’une école de journalisme, accessible à bac + 3. La formation dure deux ans et permet d’obtenir un master de science politique, mention journalisme.
Enfin, une dizaine d’écoles privées et quelques universités proposent des cursus spécialisés.


Parcours
1975 : naissance à Lorient (56).
1993 : décroche un bac scientifique.
1997 : entre au CUEJ, à Strasbourg (67), après une maîtrise (M1) d’histoire
2002 : suit une spécialisation JRI au CUEJ.
2007 : fonde Cargo Culte avec un ami.

Patricia Holl

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