Interview

Hélène Darroze "A 20 ans, j'étais à Sup de co Bordeaux avec la volonté de reprendre les rênes de l’auberge familiale"

Par Propos recueillis par Séverine Tavennec, publié le 14 janvier 2010
1 min

De Sup de co aux fourneaux ! Avant de devenir la grande chef cuisinier auréolée de deux étoiles au Guide Michelin depuis 2003, Hélène Darroze a suivi une formation en école de commerce à Bordeaux. C’est alors que le chef Alain Ducasse est venu bouleverser la vie de la nouvelle jurée de l'émission Top Chef 2015… 


Quels souvenirs gardez-vous de vos années lycée à Mont-de-Marsan ?

 
Une chose est sûre : je n’aimerais pas y revenir. Je n’ai jamais aimé bûcher. En fait, je n’étais pas très travailleuse. Je faisais le minimum, et surtout à la dernière minute. Ce n’est que lors des examens que je passais à la vitesse supérieure.

Pour une élève paresseuse, vous avez suivi de brillantes études…

 
C’est vrai qu’après ma prépa HEC, j’ai enchaîné avec Sup de co Bordeaux. Pour le concours de cette école, j’ai tout de même bossé très dur. J’étais une travailleuse ponctuelle.

Des professeurs vous ont-ils marquée ?

 
Je me souviens particulièrement de ma professeure de biologie, une petite bonne femme très sévère, qui savait se faire respecter. Elle était très appréciée. Ce n’était pas une débutante. Et c’est drôle : elle avait eu ma maman en élève!

Vous avez choisi de faire un bac S : n’aimiez-vous pas l’économie ou le français ?

 
Je pense que j’étais une personne assez cartésienne, réfléchie. J’étais notamment excellente en statistiques. C’est vrai que les matières littéraires ne m’attiraient pas spécialement.

Pourtant, quelques années plus tard, vous avez écrit un livre.

 
Et j’ai pris beaucoup de plaisir à le rédiger. Et puis, il a été salué par les critiques. C’était très encourageant. Je pense que je pourrais en écrire un autre.

Après le bac, plusieurs domaines vous attiraient.

 
Je ne savais pas quoi faire. J’ai longtemps voulu être chirurgien. Ce métier m’attirait peut-être parce que ma maman était pharmacienne. À 18 ans, je ne savais pas trop où j’allais. Après le bac, je me suis donc inscrite en médecine, en architecture, au concours de Sciences po, et en prépa HEC.

Alors que vous êtes fille, petite-fille et arrière petite-fille de cuisiniers, vous n’aviez pas songé à intégrer une école de cuisine ?

 
Baignant dans ce milieu, cela aurait été plus logique. Mais ma vocation de chef de cuisine m’est apparue sur le tard. Je regrette un peu de ne pas avoir intégré une école de cuisine. J’aurais été plongée plus tôt dans cet univers. En même temps, mon parcours atypique me rend plus instinctive et c’est peut-être mieux comme cela.

Vous avez opté donc pour la prépa HEC, qui répondait à vos attentes du moment.

 
À 18 ans, je voulais faire des études qui m’ouvrent beaucoup de portes sur le monde du travail. À HEC, on suivait des cours d’économie, de marketing, de finance, de ressources humaines… Cette formation a collé à mon destin. Ce que j’y ai appris me sert au quotidien.

Puis vous avez passé le concours de Sup de co Bordeaux. Vous avez séduit le jury à l’oral.

 
Nous étions plus de 5.000 candidats. Il fallait convaincre, se faire remarquer, être différente des autres. Je leur ai tout simplement exprimé ma volonté de reprendre les rênes de l’auberge familiale "Chez Darroze", à Villeneuve-de-Marsan. Ils ont vu que ce projet me tenait vraiment à cœur.

À Sup de co, vous vous êtes investie au niveau associatif.

 
Je faisais partie du BDE [bureau des élèves] avec une dizaine de personnes. J’étais chargée de la communication interne et externe de l’établissement. Je me souviens avoir été très fière quand Michel-Édouard Leclerc et Claude Bébéar ont accepté de participer à un forum. Cela a été très formateur.

En revanche, vous n’étiez pas très assidue.

 
Avec le recul, je me rends compte que la direction était très indulgente envers moi. J’ai en effet été convoquée très souvent pour mes absences en cours. Je crois que j’avais même explosé mon quota d’absences !

En dehors des cours, vous aimiez beaucoup faire la fête.

 
Je sortais tout le temps. J’adorais ça. C’est dans les gènes. Je suis née à Mont-de-Marsan. J’aime l’ambiance des ferias. Adolescente, je partais déjà en juillet à Pampelune [en Espagne] avec des copains. Sinon, étudiante, je jouais aussi beaucoup au golf. Et je faisais la cuisine à mes amis dans mon petit appartement à Bordeaux. Le soir, on finissait chez moi : ma table était ouverte en permanence.

S’il y avait un conseil à retenir de ce que vos parents ont voulu vous transmettre, quel serait-il ?

 
Celui d’être indépendante. Ils me l’ont beaucoup rabâché. Très jeune, ils m’ont ainsi appris le goût du travail. J’ai commencé à bosser à 14 ans : je faisais la plonge tous les étés dans des restaurants pendant que mes copains allaient à la piscine.

Fraîchement diplômée de Sup de co, vous avez d’ailleurs rapidement cherché du travail.

 
J’ai passé l’été à travailler dans l’auberge familiale, puis j’ai envoyé des lettres de motivation dans les palaces, les chaînes de restaurant… J’ai montré cette liste de contacts à mon père. Il s’est alors souvenu d’un jeune chef cuisinier landais, à qui il venait d’envoyer un pot d’armagnac pour le féliciter d’avoir obtenu sa troisième étoile. Il s’agissait d’Alain Ducasse, qui avait un restaurant à Monaco. Mon père l’a appelé et lui a décrit un peu mon profil. Le grand chef cuisinier lui a dit qu’il avait justement besoin de quelqu’un avec un tel bagage.

Vous êtes donc partie pour Monaco…

 
J’ai passé une journée avec Alain Ducasse. Cela a été un vrai coup de foudre professionnel. En revanche, il m’a dit qu’il ne pouvait pas me prendre avant le mois de mars. Je lui ai répondu alors que j’allais faire des stages ailleurs. C’était un peu de la provocation de ma part. Il n’était pas content et est revenu sur sa décision : il a alors décidé de m’embaucher en qualité de commis de cuisine pendant quatre mois.

Un premier choc professionnel…

 
Je découvrais un monde de perfection et de rigueur, de recherche en permanence de la qualité. Je me souviendrai toute ma vie du premier service. Côté coulisses, je me sentais bien. Puis, j’ai pris par la suite le poste de responsable administrative. Mais Alain Ducasse me demandait souvent d’aller dans les cuisines voir ce qu’il s’y passait. J’étais ravie : j’avais en effet mon petit copain qui travaillait dans l’équipe.
 

Alain Ducasse vous a vite accordé sa confiance…

 
Notre relation a été marquée par cela. J’étais la seule à lui dire que je n’étais pas d’accord avec lui. Il avait besoin d’entendre ce bémol de temps en temps. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Nous sommes encore très liés.

Quels conseils donnez-vous aux jeunes femmes qui veulent se lancer dans cette carrière ?

 
Elles ont bien évidemment leur place. Elles sont d’ailleurs nombreuses dans mes effectifs en cuisine. Cet été, j’ai notamment accueilli en stage une jeune femme passionnée par la cuisine et qui voulait se reconvertir et se confronter à la réalité du métier avant de faire un choix définitif. Je dis toujours que l’essentiel est de se donner à fond avec sincérité. 


Biographie
1967 : naissance à Mont-de-Marsan (40).
1990 : elle sort diplômée de Sup de co Bordeaux (33).
1993 : elle reprend l’auberge familiale Chez Darroze, à Villeneuve-de-Marsan (40), aux côtés de son père.
1995 : elle est élue en décembre "Jeune chef de l’année" par le Guide Champérard et "Grand de demain" en 1996 par Gault Millau.
1996 : elle est chargée par Relais & Châteaux de la restauration pour la rencontre des chefs d’État Jacques Chirac et Helmut Kohl à Périgueux (24).
1999 : elle vend le relais gourmand familial pour fonder son propre restaurant gastronomique traditionnel landais Hélène Darroze (4, rue d’Assas, Paris VIe).
2001 : moins d’un an après l’ouverture, elle obtient sa première étoile au Guide Michelin, puis la seconde en 2003 (seule femme en activité avec Anne-Sophie Pic à détenir ces trophées).
 

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