Interview

Les 20 ans d'Alexis Jenni

Alexis Jenni prix goncourt 2011
Alexis Jenni prix goncourt 2011 © helie/gallimard, Florita Raschas
Par Propos recueillis par Isabelle Maradan, publié le 10 janvier 2012
10 min

À 20 ans, le lauréat du prix Goncourt 2011 – récompensé pour son premier livre publié, l’Art français de la guerre (éditions Gallimard) – étudiait la biologie en rêvant de planter des arbres dans le désert. Retour sur les années de formation d’ni, écrivain et enseignant qui s’adonne à l’écriture entre ses copies à corriger et ses cours de SVT au lycée.

Comment avez-vous digéré vos années lycée ?
 
J’ai de très bons souvenirs de ces années-là. J’étais à Belley, petite ville isolée dans l’Ain, où tout le monde connaissait tout le monde. La vie du lycée continuait donc en dehors. Par ailleurs, les relations avec les adultes étaient assez tranquilles. Cela n’empêchait pas les tensions et les inimitiés, mais il y avait un côté rassurant. J’avais tout de même une fascination pour Lyon, situé à une centaine de kilomètres, une ville, grouillante, avec plein de monde et de l’animation.


Au lycée, quelles étaient les matières que vous dominiez le plus ?

 
J’étais un élève un peu fainéant. Les maths et la physique m’intéressaient moyennement et je n’étais pas brillant. La seule science que j’aimais, c’était la biologie. J’étais fort en histoire-géo et en rédaction, nettement moins en analyse de texte.


Vous préfériez disséquer les grenouilles que les textes ?

 
Je trouvais ça beaucoup plus amusant ! Déjà à l’époque, mon rapport à la littérature était profond, personnel et radical. Je portais une grande parka avec des livres pleins les poches, comme mon père. Pour mes copains, j’étais le type un peu à côté de ses pompes qui avait lu des tas de trucs. Pour moi, la littérature, soit on en faisait, soit on en lisait, mais cela ne s’étudiait pas. Donc hors de question de choisir des études de lettres !


Comment votre envie d’étudier la biologie est-elle née ?

 
Je me souviens d’un professeur de bio au lycée qui expliquait les choses avec humour. Du coup, ce qu’il racontait n’était pas uniquement froid et technique. C’est là que je me suis dit que j’allais faire des études dans cette spécialité, à la grande surprise de mes parents. J’ai donc passé un bac D [actuel bac S option SVT, ndlr]. À l’époque, le bac C était considéré comme la voie royale, mais les maths me rasaient, la physique aussi. En revanche, j’aimais bien la chimie, parce que c’était du montage et du démontage de molécules. Le côté manipulation, cela me parlait beaucoup. J’ai toujours aimé jouer aux Lego.


Les études dans votre famille, c’était génétique ?

 
Dans ma famille, une famille de classe moyenne diplômée, c’était évident de faire des études. La question ne se posait pas. Et on disait qu’il y avait des débouchés en bio, ce qui donnait un aspect rationnel à mon choix. Mais j’ai fait ça sans aucune stratégie. Ma mère, documentaliste, et mon père, professeur de langue, avaient fait la fac et m’auraient imaginé en histoire. Les historiens vont hurler, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait des règles assez fortes en histoire pour me structurer suffisamment. Faire des sciences, avec le côté expérimental, le recours à la réalité, m’a imposé un cadre, ce qui m’a sauvé. J’en ressors en faisant des romans. Sans cela, j’aurais été livré à ma fantaisie…


Visiez-vous déjà le métier d’enseignant ?

 
En commençant la fac de bio, mon rêve était d’étudier les écosystèmes désertiques, arides, pour les rendre à nouveau fertiles avec la question de la gestion de l’eau, de la biodiversité, etc. Les arbres m’ont toujours plu. Je voulais en planter. C’est après une phase d’introspection que j’ai décidé de préparer l’agrégation. Je ne voulais pas faire de la recherche, comme l’imposait une certaine pression sociale. L’utilisation pratique de la bio, ce n’était pas mon truc. J’aimais raconter des histoires. Et puis, je voulais avoir un métier où je pouvais organiser mon temps.


Étudiant, dépendiez-vous de vos parents ?

 
Mes parents ont été sympas. Je bossais seulement l’été, pendant un mois, comme aide-soignant, facteur ou moniteur dans la montagne. J’ai fait les vendanges aussi. Et puis à l’époque, le logement coûtait trois fois rien.


Quand avez-vous contracté le virus de l’écriture ?

 
Dès que j’ai su écrire ! Vers 8 ans, j’ai commencé des romans, des histoires de chevaliers. J’écrivais le début et j’attendais que la suite vienne, sans penser qu’il fallait la construire, alors je m’arrêtais au bout de deux pages et demie. Après l’agrégation, vers 27-28 ans, je me suis dit que j’avais un métier, donc un cadre – on y revient – dont je pouvais sortir. Enseigner m’a permis d’avoir toujours du temps pour écrire. L’avantage du travail invisible du prof, c’est qu’on le fait quand on veut. Je me suis organisé de manière un peu maniaque pour écrire les matins où je n’avais pas cours, et corriger les copies et préparer mes cours quand tout le monde dormait.


Cela vous fait quoi d’être classé dans la famille des écrivains qui ont obtenu le prix Goncourt ?

 
Ah, les "écrivanus goncourti"… Il n’est pas sûr que je réalise tout à fait. Souvent, il se passe des années entre le moment où vous publiez et le Goncourt. Dans mon cas, il y a eu une conjonction des deux. Quand un éditeur décide de vous publier, cela vous dit que vous n’avez pas écrit n’importe quoi. Cela veut dire : "Tu n’es pas fou." Pour ce roman, j’ai eu le sentiment que ce que j’écrivais me correspondait. Avant, j’avais déjà envoyé 3 ou 4 manuscrits à des éditeurs. Je me suis toujours considéré comme écrivain. Même si, quand j’ai atteint 40 ans sans être publié, j’ai pensé que j’étais un écrivain raté.


Le Goncourt va-t-il changer votre vie ?

 
Pas vraiment. Je n’ai pas besoin d’être célèbre. Ma petite vie de village, de quartier, me va bien. Je suis ravi de ce prix, parce que cela me donne la possibilité d’écrire plus, peut-être mieux. Mais je n’arrêterai pas d’enseigner. J’aime les rapports avec les élèves. Même l’inconfort de ces rapports est important. Sans cela, j’aurais tendance à me contenter de peu, sans efforts, et à ne pas me risquer à vivre des choses un peu difficiles. Si je n’avais pas enseigné, je serais moins structuré, moins ouvert, moins riche. Et faire quelque chose qui ne soit pas de la littérature me rassure. Cela me maintient dans le réel. Depuis 20 ans, je parle à des classes de 30 élèves qui ne veulent pas m’entendre et dont il faut capter l’attention !


Quels conseils donnez-vous à vos élèves sur l’orientation ?

 
Je leur dis que le plaisir est rentable. Ce qu’on a plaisir à faire, on le fera mieux que ce qu’on n’aime pas faire. Même si c’est une formation de niche, si on est à fond dedans, on sera bon. Dans ce monde compliqué, il faut faire ce pour quoi on est fait. Ingénieur par exemple, ça a l’air rassurant. Mais, dans le monde de l’industrie, même les meilleurs ingénieurs peuvent perdre leur boulot… Quant à ceux qui voudraient devenir écrivain, je leur conseillerais d’écrire, bien sûr, mais surtout de lire. Le problème, c’est que les amateurs d’écriture écrivent plus qu’ils ne lisent.


Qu’aimeriez-vous enraciner le plus chez vos élèves ?

 
Un certain goût du savoir, pour pouvoir se confronter à autre chose que son petit monde. Le savoir est gai et pas "prise de tête". Et je suis désespéré par l’espèce d’anti-intellectualisme primaire porté par l’air du temps.

Écrivain, c’est un métier ?

 

On peut très bien être écrivain à 25 ans. Après, est-ce qu’on peut gagner sa vie avec ça ? Ce n’est pas facile. Ou alors il faut écrire des scénarios, des pièces de théâtre… Cela ne m’intéresserait pas de me diversifier dans l’écriture pour gagner des sous. J’aime écrire. Je l’ai toujours fait. Ce que je fais à côté, c’est prof. Et c’est carrément autre chose !


Biographie express
1963 : naissance à Lyon (69).
1971 : commence à écrire des histoires de chevaliers, des romans inachevés.
1981 : décroche son bac D (actuel bac S option SVT) avec une mention assez bien.
1989 : est reçu à l’agrégation de biologie. Devient professeur de sciences naturelles, puis de sciences de la vie et de la Terre, en lycée.
1989-2006 : se remet à l’écriture. Envoie ses manuscrits à de nombreux éditeurs, en vain.
2006 : entame l’écriture de l’Art français de la guerre.
Août 2011 : l’Art français de la guerre est publié chez Gallimard.
2 novembre 2011 : obtient le prix Goncourt.
 



Et si c’était à refaire?

Alexis Jenni a passé T.O.P., le Test Orientation & Potentiel de l’Etudiant. Était-il destiné à décrocher le Goncourt ?


Son bilan T.O.P.

Un profil "Artiste" tendance "Investigateur", complété par les pôles "Social" et "Réaliste" au même niveau : les résultats d’Alexis Jenni correspondent bien à son parcours entre sciences, enseignement et écriture.

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> Pôle "Artiste" : imagination, curiosité, créativité, intuition, passion sont les mots clé de la sphère de compétences liée au pôle "Artiste". Celui-ci caractérise des personnes qui ont des idées. Avides de découvertes, de variété, de liberté, elles suivent leurs émotions et leurs intuitions, craignent la routine et aiment se démarquer.

> Pôle "Investigateur" : ce pôle correspond à des personnes qui aiment raisonner, résoudre des problèmes complexes, rechercher des informations afin de mieux comprendre leur environnement. Elles ressentent l’envie d’étudier et de se former. Ces personnes sont souvent attirées par ce qui est d’ordre intellectuel ou scientifique.

> Pôle "Social" : ce pôle réunit les personnes qui ont besoin de se sentir utile, d’avoir un métier tourné vers les autres ou au service de la société.

> Pôle "Réaliste" : réaliser, concrétiser, esprit technique et expérimentation, voilà les mots clé de ce pôle. Ces personnes ont souvent des capacités manuelles ou techniques.


Son profil, son métier

Ses résultats expliquent très bien son parcours et son métier. D’abord un pôle "Artiste" dominant, auquel s’adosse un pôle "Investigateur" : le profil d’Alexis Jenni est typique des créatifs, des intellectuels, des littéraires.

De plus, la combinaison des pôles "Artiste" et "Investigateur" (A + I) est presque toujours celle qui domine dans les métiers de l’écriture. Il est logique, dans ce domaine, de conjuguer l’imagination, l’intuition, le sens esthétique et le besoin de s’exprimer (pour l’aspect affectif et créatif de la personnalité) à la curiosité intellectuelle, l’esprit d’investigation, le goût d’apprendre et le besoin de comprendre (pour le côté réflexion).

La combinaison A + I révèle une capacité à conceptualiser, inventer, découvrir. Ces compétences sont aussi mises à profit dans l’architecture, la création musicale, le design… Si on inverse les pôles "Investigateur" et "Artiste" (I + A), c’est la recherche et les métiers scientifiques et intellectuels qui dominent. Et Alexis Jenni est agrégé de biologie.

Son pôle "Réaliste", adossé au pôle "Investigateur", indique souvent un goût pour les sciences, pour le vivant et/ou la technique.

Enfin, son pôle "Social" correspond à son besoin de transmettre, qui colle aussi bien à son métier d’enseignant qu’à celui d’écrivain.

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