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Interview

Les 20 ans d'Éric Dupond-Moretti : "Au lycée, j’avais une image assez romantique du métier d’avocat"

Les 20 ans d'Éric Dupond-Moretti, avocat
Les 20 ans d'Éric Dupond-Moretti, avocat © J-P Guilloteau / R.E.A
Par Camille Stromboni, publié le 05 décembre 2014
1 min

Des affaires célèbres, plus de 100 acquittements à son actif… Éric Dupond-Moretti, avocat au barreau de Lille (59), est l’un des plus grands pénalistes français des vingt dernières années. Indiscipliné au lycée, sérieux à l’université, acharné dans son métier, il retrace son parcours. Avec, comme fil rouge, l’impertinence.

Quel souvenir gardez-vous de vos années scolaires ?

J'étais très indiscipliné, et ma mère a eu l'idée de m'envoyer, après la sixième, en internat chez les curés, à l'Institution Saint-Pierre [à Fourmies (59), près de la frontière belge, NDLR]. J'ai passé ma première année à pleurer tous les soirs. Et je me suis totalement investi dans le travail jusqu'à devenir premier de ma classe. J'avais battu un record, m'avait indiqué un enseignant, en obtenant, pendant un mois entier, une moyenne générale de 19,07 sur 20. Mais les choses se sont dégradées à partir de la quatrième. J'ai retrouvé mon goût immodéré pour l'indiscipline, et d'élève très brillant je suis devenu tout à fait moyen. Un peu fainéant, même, je faisais le strict minimum !

Vous avez toujours difficilement supporté d'obéir ?

J'avais une très forte rétivité à la discipline parce qu'elle était très sévère. Alors je faisais le mur. C'est mon professeur d'histoire qui m'a sauvé de l'exclusion de l'établissement. Il a été mon avocat à plusieurs conseils de discipline. C'était aussi une forme d'engagement, plutôt anticlérical ! Une anecdote me revient. Lorsque j'étais en seconde, le prêtre qui dirigeait l'institution avait réuni tous les élèves pour recevoir l'archevêque. Nous étions à la veille d'importantes élections nationales. L'archevêque nous cite, moqueur, une phrase de Georges Marchais [alors secrétaire général du Parti communiste] : ce dernier, à la question "Qu'y a-t-il après la mort ?" avait répondu : "Je ne sais pas, je ne suis pas encore mort". Cela avait fait rire toute l'assemblée. Je ne goûtais pas la plaisanterie. Lorsqu'il a été possible de poser des questions, je suis intervenu en expliquant que j'étais d'accord avec Georges Marchais, et j'ai demandé si l'archevêque était venu faire sa campagne électorale... J'avais à peine fini ma phrase qu'on m'avait empoigné par le col et jeté dehors.

Vous quittez finalement le pensionnat juste avant le bac...

En fin de compte, ils ont décidé de se séparer de moi à la fin de la première ! J'ai alors intégré un autre lycée de curés, à Valenciennes [59], pour suivre ma terminale. J'ai eu mon bac avec mention assez bien, en bachotant beaucoup à la fin de l'année, faute d'avoir vraiment travaillé avant. Ce qui m'a mis d'ailleurs un très gros coup de stress. Mieux vaut travailler régulièrement !

Quelles matières vous plaisaient le plus au lycée ?

L'histoire et le français. J'ai eu des bonnes notes au bac de français. En seconde, on m'a pourtant dirigé, un peu contre mon gré, vers la série C [maths-physique, l'équivalent du bac S actuel], alors que je me sentais plutôt littéraire.

À quel moment le métier d'avocat s'est imposé à vous ?

À 15 ans, quand j'ai entendu que Christian Ranucci avait été guillotiné, en 1976. J'ai été profondément choqué par son exécution. À partir de ce jour-là, il était écrit que je deviendrais avocat. Cela vient peut-être aussi de ma propre histoire : mon grand-père maternel, immigré italien, a été retrouvé mort sur une voie ferrée, assassiné. Ma famille a voulu porter plainte, mais tout le monde s'en est moqué... J'ai, par ailleurs, eu beaucoup de chance d'avoir cette vocation, car ma famille n'est pas issue du monde judiciaire.

Comment imaginiez-vous la profession quand vous étiez adolescent ?

J'avais une image assez personnelle et romantique du métier. Avec l'envie de lutter contre l'injustice, d'être le seul soutien d'un homme que tout accable. Et l'idée très forte de liberté.

Et, dans la réalité, vos rêves de lycéen n'ont pas été déçus ?

Non, ils correspondent, je crois, à ce qu'est vraiment le métier. Avec une différence tout de même. Quand on est jeune, on pense que la justice sera au rendez-vous et que les règles sont bien faites. Elles le sont, mais quand on voit comment elles peuvent être appliquées, il y a souvent des distorsions. De ce point de vue, on perd assez vite ses illusions.

Vous entamez vos études de droit : est-ce la fin de l'indiscipline ?

J'ai fait mon droit à Lille 2, sans jamais redoubler. Je voulais surtout que cela se termine et commencer mon vrai métier. J'avais souvent fait des petits boulots au lycée, en été dans des usines ou comme fossoyeur, et, une fois à l'université, je suis devenu pion au collège, en semaine. Le week-end, je travaillais dans la restauration. J'avais juste hâte de devenir avocat à plein-temps.

L'université, ça vous a plu ?

Pour moi, c'était un vrai bonheur parce que j'ai découvert la liberté. J'en ai un peu abusé, mais je travaillais tout de même assez régulièrement, principalement aux moments clés, de manière intense. C'est d'ailleurs mon seul conseil pour réussir les études de droit : il faut travailler !

J'ai fait mon droit à Lille 2, sans jamais redoubler. Je voulais surtout que cela se termine et commencer mon vrai métier. 

Le droit pénal vous passionne d'emblée...

Oui, toutes les matières autour du droit pénal, ou même du droit privé en général. Un professeur de sciences politiques m'a aussi marqué profondément : José Savoye, dont le cours était passionnant. Il deviendra par la suite doyen [et président] de l'université, et sera aussi l'un de mes premiers patrons. J'aimais le talent de cet homme, un tribun, drôle, cultivé, qui savait plein d'anecdotes.

À quel moment découvrez-vous le métier de près ?

Il n'y avait pas encore de stages dans les formations. Je suis donc allé m'asseoir sur les bancs de la cour d'assises pour écouter les grands avocats. Ce qui a encore renforcé ma détermination.

Vous entrez ensuite à l'école du barreau...

Après la maîtrise [l'équivalent actuel du M1], j'ai suivi une année de formation à l'école du barreau [1983-1984], qui venait tout juste d'ouvrir. À quelques mois près, j'aurais pu y échapper ! Car cela a été pour moi un vrai supplice : je voulais être avocat, pénaliste, mais je devais suivre des matières qui ne me servaient à rien. Je me rappelle notamment d'un cours sur les loyers et la loi de 1948, que j'ai séché, pour aller aux assises. Ce qui m'a été bien reproché. Je crois qu'on m'a fait payer mon manque d'assiduité : je suis entré premier dans l'école, j'en suis sorti dernier !

Le diplôme en poche, comment décrochez-vous votre premier job ?

Au départ, je ne trouve pas de patron ! Je remporte un concours d'éloquence – le concours de la Conférence du stage –, qui me donne le droit de prononcer un discours le jour de la rentrée judiciaire. Une fois celui-ci prononcé, un avocat vient me voir et me dit qu'il souhaite m'embaucher. Je trouve ainsi mon premier cabinet. Mais l'avocat souhaitait que je travaille en droit du travail et non en droit pénal, comme je le voulais. Nous avons trouvé un compromis : j'effectuais un mi-temps en droit du travail et un mi-temps en droit pénal.

Quelles sont vos premières impressions

Je m'y suis tout de suite plu. J'alternais entre le droit du travail, du côté des employeurs, le droit administratif, pour les collectivités publiques, et le droit pénal. Ce qui donnait alors un mélange plutôt inédit quand je recevais mes clients : de petits délinquants se retrouvaient à côté de grands patrons et chefs d'entreprise... Les avocats du cabinet m'ont toujours laissé "carte blanche", et je leur en suis très reconnaissant.

Encourageriez-vous un jeune qui veut exercer le métier d'avocat aujourd'hui ?

Je ne découragerais sûrement pas quelqu'un qui veut l'exercer, mais il faut savoir qu'il est exigeant et difficile. On ne compte pas ses heures. Et il est très dur de le concilier avec une vie personnelle. Ce n'est pas une terre promise, il faut se battre. Comme pour le droit, la recette est : travail, travail, travail !

Auriez-vous pu faire un autre métier ?

Non. D'ailleurs, c'est l'un des indices pour savoir si l'on est fait pour être avocat. Ceux qui pensent qu'ils pourraient faire un autre métier n'ont pas leur place dans cette profession. Mieux vaut donc faire autre chose, le plus tôt possible.

Vous vous retrouvez plutôt du côté des accusés et non des victimes. C'est un choix ?

Parmi les accusés, que certains présentent comme les "méchants", il y a aussi des innocents ! La frontière est ténue entre l'homme honnête et l'homme malhonnête, le crime est à la portée de tous. Je suis en effet plus enclin à être avocat de la défense, une sorte de procureur de droit privé. Il m'arrive tout de même parfois d'être du côté de la partie civile, la souffrance des victimes a toute son importance. Mais je trouve plus difficile et gratifiant d'être du côté de l'accusé.

Avez-vous un modèle ? 

Alain Furbury, avocat à Toulouse [31], mon mentor, qui a eu une infinie patience et gentillesse avec moi lorsque nous avons plaidé ensemble.

Si vous pouviez changer quelque chose dans votre carrière, ce serait quoi ?

Il y a plein de dossiers que j'aimerais plaider de nouveau. Autrement et mieux.

L'insolence vous caractérise, c'est indispensable pour être avocat ?

Bien sûr ! Il faut être insolent ! Je me définis souvent comme un anarchiste épicurien. Dans le système judiciaire, très pesant, une bonne dose d'insolence est très utile !

Vous avez aussi des qualités d'orateur, c'est incontournable ?

Je me rappelle la réflexion d'un avocat du Sud : "Ce n'est que du vent, mais ça souffle fort." C'est donc en effet une qualité essentielle, mais ce n'est pas suffisant. Et je n'oublie pas que pendant dix ans – systématiquement ! – j'ai vomi avant de prendre la parole en plaidoirie !


 

Biographie express
1961 : naissance à Maubeuge (59).
1979 : bac S. Débute ses études de droit à l'université Lille 2.
1984 : obtention du CAPA (certificat d'aptitude à la profession d'avocat), il prête serment. Inscription au barreau de Lille (59).
1987 : premier acquittement. Quelques-unes de ses grandes affaires : la "boulangère" d'Outreau (2004), Jean Castela (affaire du meurtre du préfet Érignac, 2006), Nikola Karabatic (2012), Bernard Tapie (2012), Abdelkader Merah (2012), le Dr Jean-Louis Muller (2013).
2012 : publie "Bête noire. Condamné à plaider", aux éditions Michel Lafon.

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