Interview

Les 20 ans d’Évelyne Emery : comment elle est devenue neurochirurgienne

20 ans_Evelyne Emery_neuro chirurgienne © J-P SAGEOT/SIGNATURES pour l'Etudiant_PAYANT
À 19 ans, Évelyne Emery est major de sa promotion de première année de fac de médecine à Angers. © Jean-Pierre Sageot/Signatures pour l'Etudiant
Par Séverine Tavenec, publié le 28 juin 2017
1 min

À 52 ans, Évelyne Emery est l’une des rares femmes en France à diriger un service de neurochirurgie dans un hôpital public. Elle exerce son métier au CHU de Caen. Aujourd’hui experte émérite, elle revient sur son parcours scolaire au Mans et sur ses études de médecine.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années lycée ?

J'étais scolarisée dans un lycée de quartier, au Mans. Il y régnait une bonne ambiance avec des professeurs très impliqués. Je pense notamment à ma professeure d'allemand qui m'a fait aimer cette langue. Cela a été une vraie révélation. En terminale, j'ai ainsi pris l'allemand en première langue.

Je ne peux pas non plus oublier ma professeure de mathématiques. Je préparais le bac C [l'actuel bac S] et je n'étais pas la meilleure en maths, cela me demandait beaucoup plus de travail que dans d'autres matières. Cette professeure était très exigeante et dure, mais juste. Nous la redoutions tous mais elle nous a rendu service. Avec elle, nous avons appris la méthode.

Vos parents suivaient-ils attentivement vos études ?

Fille d'agriculteurs, j'ai quitté la campagne pour la grande ville au moment de mon entrée au collège. J'habitais donc chez mes grands-parents. Ils ont été très présents durant toute ma scolarité et, malgré des revenus modestes, ils m'ont payé des cours particuliers quand j'avais des difficultés en mathématiques.

Vous obtenez votre bac avec une mention bien. Dans quel état d'esprit étiez-vous ?

Ce premier diplôme est l'ouverture vers l'inconnu. On devient grande d'un coup. Tout est possible ! On doit se lâcher et être lâché, quitter son environnement familial, son cocon. Je voulais faire médecine. C'était un challenge que je voulais relever.

Lire aussi : Êtes-vous fait(e) pour des études de médecine ? 

Vous réussissez le concours d'entrée à la fac de médecine à Angers. Et vous vous plongez à corps perdu dans vos études...

Je débarque à Angers et je suis logée dans un établissement catholique pour jeunes filles. Je suis seule au monde et je ne sais pas vraiment quel effort fournir, alors je m'impose une méthode de travail. Chaque jour, après les cours, je bosse comme une folle. Je ne sors pas. Je ne rentre qu'un week-end sur deux chez moi.

Je m'autorise quelques heures de sport mais je ne pense qu'à travailler non-stop. Je suis comme une athlète : je fais beaucoup d'efforts et de sacrifices et cela va payer !

En première année, je suis reçue major de promotion. Ma famille est tellement fière ! Pour mes grands-parents qui vivent à la campagne, leur petite-fille a réussi. Alors, pour fêter cela, nous sommes tous partis à Cannes en vacances.

Comment se déroule la suite de votre cursus de médecine ?

Avec les stages, je suis très vite confrontée à la réalité du métier, de l'univers de la santé, du soin, et je sens rapidement que je suis faite pour ça. Puis, au cours d'un stage dans un hôpital, j'ai le coup de foudre pour la neurochirurgie. J'adore être aide opératoire.

Je me souviens de la première fois où je suis entrée dans un bloc. Déjà, je ne suis pas tombée dans les pommes comme cela peut arriver à certains jeunes stagiaires. Je n'ai pas eu peur du tout. J'étais au contraire très à l'aise. Moi qui détestais pourtant les films violents où il y avait du sang... J'aimais tout particulièrement ce travail d'équipe.

Pourtant vos professeurs vous déconseillent de vous orienter vers la neurochirurgie. Quels arguments avançaient-ils ?

Ils me disaient que c'était un métier difficile, pas fait pour les femmes. Alors, je me suis autocensurée. Ce rêve était peut-être inaccessible pour moi. Cet état de découragement n'a pas duré longtemps.

Un été, un chef de service en hôpital avec lequel j'avais déjà travaillé, m'appelle pour un remplacement d'un interne dans le service de neurochirurgie. Au départ, j'étais très impressionnée et fière qu'il fasse appel à moi.

Tout s'est très bien passé et, à l'issue du remplacement, je me suis dit que je choisirais cette spécialité au concours de l'internat. On m'a très vite fait comprendre qu'ici, à Angers, il n'y avait pas de place pour les femmes.

Comment avez-vous réagi ?

À 24 ans, à l'issue de l'ECN [examen classant national], je choisis de quitter ma province et j'arrive dans la capitale à l'UPMC [université Pierre-et-Marie-Curie, campus de la Pitié-Salpêtrière] pour exercer la spécialité de neurochirurgie en tant qu'interne des hôpitaux de Paris.

Les premières années sont très dures. Je découvre un milieu compétitif, élitiste et machiste. J'essuie de nombreuses humiliations. Je dois me battre mais j'ai les nerfs solides car je sais que je suis à l'aise sur le plan technique et que je dois me démarquer par le travail.

Je décroche, en 1993, mon doctorat en médecine et mon diplôme de neurochirurgien. Je deviens chef de clinique en neuro­chirurgie et je reste quinze ans à l'AP-HP [Assistance publique-Hôpitaux de Paris].

Parallèlement, en 2002, j'obtiens un poste de professeur agrégé au CHU [centre hospitalier universitaire] de Caen. Plus tard, en 2011, j'ai intégré le CHU de Caen en tant que chef du service. J'y suis la première femme à exercer cette responsabilité.

Lire aussi  : De l'école à l'emploi, les filles assurent mais se censurent.

Le milieu médical s'ouvre-t-il aujourd'hui davantage aux femmes ?

Les mentalités ont beaucoup évolué. Fort heureusement, les chefs de service sont plus ouverts. Il y a actuellement environ 115 internes inscrits en filière neurochirurgie dont 30 filles. L'enquête menée, l'an passé, sur la féminisation de la neurochirurgie – non publiée à ce jour mais présentée en conférence lorsque j'étais invitée au dernier congrès de chirurgie du rachis, à Lyon, le 7 juin 2016 – montrait des filles motivées, mais découvrant un métier plus dur qu'elles ne le pensaient. Aucune ne fera l'impasse (ou le sacrifice) sur une vie personnelle.

Toutes me disent n'avoir aucun regret, mais quelques appréhensions sur leur avenir professionnel. Très peu se destinent à une carrière universitaire (professeur et/ou chef de service). Quelques-unes m'ont dit qu'elles ressentaient encore un univers machiste ou la nécessité de travailler plus que les internes masculins pour faire leur place.

Pouvez-vous nous parler de l'Institut universitaire du rachis du CHU de Caen dont vous êtes la principale instigatrice ?

Cet institut a pour objectif de permettre à tous les spécialistes des pathologies du rachis [nom scientifique de la colonne vertébrale] d'unir leurs compétences afin d'offrir aux patients une gamme complète de soins, de la pathologie la plus simple aux cas les plus complexes.

Chaque mois, un staff de neurochirurgiens, rhumatologues, kinésithérapeutes de soins de suite et de réadaptation, médecins du centre d'évaluation et de traitement de la douleur, chirurgiens pédiatriques... étudient ainsi les dossiers les plus complexes pour aboutir à une prise en charge thérapeutique optimale et efficace.

Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

J'en suis très fière car je sais d'où je viens. Le chemin a été très long et semé d'embûches. J'ai vaincu mes appréhensions durant ces années, je me suis sans cesse dépassée et j'ai payé très cher pour en arriver là, mais quelle récompense ! J'exerce un métier passionnant que j'aime profondément et que je rêvais de faire.

Je fais 350 interventions chirurgicales par an. Mariée et maman de deux enfants, j'arrive à concilier vie professionnelle et vie privée, malgré toutes les contraintes de cette profession que j'exerce depuis plus de vingt-cinq ans.

Qu'est-ce qui vous plaît dans l'exercice de votre métier ?

La neurochirurgie est une discipline très exigeante qui demande beaucoup de technicité, et ce challenge technique me plaît mais également l'empathie pour mes patients que je soigne et soulage. Chaque jour, ils me motivent plus que jamais. Tout cela implique, bien sûr, d'être solide sur le plan psychologique.

Quels conseils donneriez-vous à un(e) jeune qui souhaiterait s'orienter dans cette voie ?

Il faut avoir la passion pour exercer ce métier, c'est l'élément principal. J'encourage les jeunes à s'orienter vers une discipline qui leur plaît vraiment et de foncer en s'investissant pleinement et en ayant les nerfs solides.

J'aime transmettre aux internes ce que j'ai appris. C'est essentiel à mes yeux. Notre service est ouvert à toutes les nationalités. Nous accueillons notamment beaucoup d'étudiants d'Afrique francophone qui, de retour dans leur pays, transmettent ce qu'ils ont appris ici.

Bio express
1964 : naissance au Mans
1982 : obtient son bac C (actuel bac S)
1983 : major de sa promotion en première année de fac de médecine, à Angers
1993 : docteur en médecine, avec un diplôme d’études spécialisées en neurochirurgie, à l’UPMC (université Pierre-et-Marie-Curie, campus de la Pitié-Salpêtrière)
2002 : poste de professeur agrégé au CHU de Caen
2011 : chef de service de neurochirurgie au CHU de Caen

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