Interview

Les 20 ans de Jean-Paul Hévin : comment il est devenu chocolatier et pâtissier

20 ans_Jean-Paul Hévin © E. Garault/Pasco & Co pour l'Etudiant_PAYANT
"À 26 ans, j'ai remporté la Coupe de France de pâtisserie. Le thème en était le Japon..." © Eric Garault/Pasco & Co pour l'Etudiant
Par Nathalie Helal, publié le 06 mars 2017
1 min

Meilleur ouvrier de France en pâtisserie-confiserie en 1986, Jean-Paul Hévin nous régale avec ses créations chocolatées et ses pâtisseries. Humble et discret, il nous a confié les grandes étapes de sa vie consacrée à ses passions gourmandes.

L'école, pour vous, c'était un plaisir ou une corvée ?

"Je suis originaire de Méral, en Mayenne (53). Comme beaucoup d'enfants de parents agriculteurs, j'ai commencé l'école assez tard, à l'âge de 7 ans. Cela ne choquait personne, à l'époque. Je vivais dans la nature, je m'occupais des animaux, j'observais les oiseaux, je donnais un coup de main à mes parents, et cela m'allait très bien ! Donc, quand j'ai intégré l'école primaire, puis le collège, j'ai fait un cursus classique, sans plaisir ni déplaisir. Ma matière de prédilection était les sciences naturelles, la continuité de mes expériences de petit campagnard ! Quand je suis arrivé en troisième, je savais déjà que je n'irais pas au lycée et je n'avais qu'une envie, me choisir un métier."

Comment avez-vous été aiguillé vers la pâtisserie ?

"Par un pur hasard ! Au départ, je me suis orienté vers un BEP [brevet d'études professionnelles] en informatique et en électronique. L'examen d'entrée avait lieu assez loin de chez moi, à Rennes [35]. Je ne sais pas ce qui s'est passé exactement, mais je me suis embrouillé dans les dates, et je me suis présenté une semaine après.

J'ai décidé de passer une année sabbatique à faire de la pâtisserie chez mes parents

Comme je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire, je me suis dit que j'allais passer une année sabbatique à faire de la pâtisserie : à la campagne, chez mes parents, on avait beaucoup d'arbres fruitiers. Mon père adorait les tartes et les gâteaux, mais pour notre famille, ceux des pâtissiers étaient chers et inaccessibles. Ma mère n'en faisait pas, elle n'en avait pas le temps, avec ses 4 enfants. Moi, le cadet, je voulais faire plaisir à mon père, alors, je confectionnais des tartes aux fruits, sans grand raffinement. Il y avait le lycée professionnel Robert-Buron, à Laval, qui enseignait la pâtisserie. Je m'y suis inscrit, j'ai passé un test, et, à ma grande surprise, j'ai été reçu en BP [brevet professionnel] pâtisserie !"

Comment s'est déroulée votre scolarité ?

"La première année de BP, il y avait beaucoup de stages à effectuer chez des professionnels. C'est dans une boulangerie-pâtisserie traditionnelle que s'est déroulé le mien. Rien de très excitant, je devais juste napper les tartes aux fruits, mais déjà, cela me faisait regarder d'un autre œil mes essais de tartes aux abricots ou aux cerises ! L'année suivante, je me retrouve stagiaire dans une pâtisserie fine réputée, celle de M. Geswiller. À l'époque, ce qu'on appelait la pâtisserie fine, c'étaient les meringues, les saint-honoré, les paris-brest, les crèmes pâtissières et autres crèmes au beurre, avec beaucoup de beurre, et autant de sucre, parce que celui-ci servait de conservateur. La troisième et dernière année de ma formation, il n'y avait plus de stages, on était beaucoup à l'école et on travaillait dur, entre la pâtisserie et les pièces en sucre."

Vous souvenez-vous particulièrement d'un professeur ?

"Ces années ont été déterminantes pour moi, pas uniquement en ce qui concerne la transmission du savoir, mais aussi parce que j'ai eu la chance d'être encadré par un homme formidable et bienveillant, M. Goupil. C'était le genre de professeur à l'ancienne, qui s'intéressait à ses élèves et se donnait à fond pour communiquer sa passion du métier. Avec lui, on s'impliquait beaucoup et avec fierté."

Avez-vous réussi à trouver du travail dès la sortie de l'école ?

"Mon diplôme en poche, j'ai décidé de faire mes valises et de partir travailler à La Baule [44], pour la saison d'été. Comme je n'avais pas un sou, je m'y suis rendu en auto-stop. Et j'ai été embauché en tant que commis, à la très réputée pâtisserie Laurent, pendant les 2 mois de la saison d'été. Quand mon contrat s'est achevé, je suis monté à Paris, avec exactement 100 francs [environ 15 €] en poche. Cette fois-là, j'ai pris le train.

À l'hôtel Intercontinental, on m'a enseigné à travailler vite et bien.

Grâce à mes relations avec d'anciens professeurs, j'ai trouvé une place de commis à l'hôtel Intercontinental. Le chef pâtissier était un homme particulier, exigeant mais qui m'a beaucoup appris. Il ne fallait surtout pas lambiner, on m'a enseigné à travailler vite et bien. C'était une belle pâtisserie, soignée, basée sur des produits de qualité. On sentait l'influence du grand chef Gaston Lenôtre, en cette fin des années 1970. Quant à moi, j'apprenais, j'évoluais. J'assistais à des concours. Bref, je travaillais, essentiellement. D'ailleurs, je passais des semaines sans rentrer chez mes parents. Je suis resté un an à ce poste, avant que la bougeotte ne me reprenne..."

De pâtissier, vous êtes devenu aussi chocolatier. Comment la transition s'est-elle faite ?

"Après l'Intercontinental et une saison à Contrexéville [88], j'ai été engagé à l'hôtel Bristol à Paris, toujours comme commis. Au bout de 6 mois, le chef pâtissier part pour l'hôtel Nikko, qui vient d'ouvrir ses portes (aujourd'hui Novotel Tour Eiffel), et m'emmène avec lui. Je découvre la mentalité japonaise, et une nouvelle approche du métier, même s'il n'y a aucune influence japonaise dans la pâtisserie que l'on y confectionne.

Je découvre l'univers des meilleurs ouvriers de France, celui de la perfection et du goût.

Puis, le staff est touché par des changements, et on voit arriver Joël Robuchon et Michel Foussart, un MOF [meilleur ouvrier de France], qui est également un grand pâtissier. À partir de là, je n'ai plus eu envie de m'en aller. Je découvre l'univers des MOF, celui de la perfection et du goût. Un vrai déclic : tout était à la fois étonnant, créatif et incroyablement abouti. Rien que la façon dont les tartes étaient travaillées, le fruit posé sur la pâte... Le résultat était profondément artistique. J'avais tellement envie d'en faire autant que je me suis mis à acheter des livres et des revues professionnelles, pour la première fois de ma vie. C'est à ce moment-là que j'ai commencé des travaux personnels sur le chocolat, un formidable terrain de jeux. On en fabriquait à l'hôtel, ainsi que des mousses, des chantilly, des gâteaux assez simples, mais pas aussi élaborés qu'aujourd'hui. Je découvre que les textures, les goûts, les parfums du chocolat me plaisent énormément. Bref, je me prends de passion pour cette matière, noble et particulière à la fois."

Vous avez un lien particulier avec le Japon. Votre réussite est-elle liée à votre expérience de l'étranger ?

"En 1982, j'ai remporté la Coupe de France de pâtisserie. Le thème en était le Japon... Alors, quand j'ai reçu une demande de la Maison Peltier, rue de Sèvres à Paris, une des plus belles pâtisseries de la capitale, pour ouvrir une succursale à Tokyo, je n'ai pas hésité. J'y suis resté une année entière, et j'en ai profité pour étudier le japonais. De retour à Paris, j'ai réintégré l'hôtel Nikko, où j'ai été promu chef pâtissier. Et j'ai continué à pratiquer les arts martiaux, que j'avais découverts à l'âge de 18 ans."

Un parcours comme le vôtre est-il encore possible aujourd'hui ?

"Oui, et heureusement ! En revanche, je suis convaincu qu'enchaîner les stages ne sert pas à grand-chose. Ce qui est essentiel, c'est de progresser auprès des bonnes personnes. Bien entendu, le choix de l'école au départ est important.

Ce qui est essentiel, c'est de progresser auprès des bonnes personnes.

Et si on a la chance de tomber sur des professeurs qui donnent envie d'apprendre, comme celui qui m'a formé à mes débuts, c'est extraordinaire. La transmission, c'est fondamental. Moi-même, j'ai formé des gens, même si j'estime être un médiocre pédagogue. Tout cela ne peut pas se faire à sens unique !"

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait devenir pâtissier ou chocolatier ?

"Vous ne devez jamais perdre le sens de l'argent ni celui des valeurs de la vie. Il ne faut pas tout confondre. Et ne pas hésitez à diminuer son train de vie personnel. Soyez prudent... J'aime la performance, dans tous les domaines, mais j'ai toujours ressenti le besoin d'apprendre. Si je n'apprends rien, je n'y vais pas ! Par chance, j'ai du flair, et celui-ci m'a toujours guidé vers les bonnes personnes, que j'ai remerciées en retour. Il faut savoir renvoyer l'ascenseur..."

Quel est votre moteur, le credo qui vous fait vous lever tôt chaque matin ?

"La performance, l'idée du dépassement permanent de soi sont mes moteurs. Je crois que c'est pour cette raison d'ailleurs que je me sens si bien au Japon : ce pays place très haut la performance et l'indépendance. La compétition plaisir existe là-bas, cela n'est pas juste un concept. Mais ce qui me fait me lever (très tôt) le matin, ce sont mes 80 salariés parisiens, et les 160 autres que j'emploie à l'étranger. J'ai une responsabilité vis-à-vis d'eux.
Et puis, j'ai encore envie d'être étonné : je prends toujours un grand plaisir à mon travail de création, à mes projets, à mes voyages aux quatre coins de la planète pour dénicher de nouveaux grands crus de fèves de cacao, afin d'aller toujours plus loin dans la fraîcheur, la diversité... Je fonctionne en circuits courts, je n'ai pas d'intermédiaires. Je prends des risques mais je suis un artisan à 100 %, et j'en suis fier. C'est à la fois ma force et ma faiblesse."

Bio express
1957 : naissance à Méral (53).
1982 : gagne la Coupe de France de la pâtisserie.
1983 : décroche le premier prix international de la chocolaterie.
1986 : élu meilleur ouvrier de France en pâtisserie-confiserie.
1987 : ouvre sa première boutique parisienne.
2002 : inaugure sa première cave à chocolats, à Tokyo.
2008 : ouvre sa première boutique à Hong Kong.
2016 : inaugure une boutique à Shanghai.

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