Interview

Martin Hirsch "À 20 ans, j’étais à Normale Sup, en 3e année de médecine et en licence et maîtrise de biochimie"

Par Propos recueillis par Isabelle Maradan, publié le 27 avril 2010
1 min

À 20 ans, Martin Hirsch a trouvé son meilleur antistress : le travail. Le nouveau président de l’Agence du service civique – qu’il a mise en place alors qu’il était haut commissaire à la Jeunesse – suivait alors un triple cursus en médecine, biochimie et à Normale sup. Rencontre avec celui qui se définit comme une preuve vivante de l’inégalité des chances.


Martin Hirsch

Quels souvenirs gardez-vous de vos années lycée ?

 
Sans être passé par Copains d’avant, j’ai gardé le contact avec de nombreux amis du lycée de Sèvres (92), où j’ai passé un bac C [devenu bac S]. Et avec des professeurs de français, de philo et d’histoire aussi. J’aimais particulièrement le grec. Les auteurs grecs, la dimension ésotérique de cette langue intellectuellement stimulante. J’aimais aussi la montagne, l’escalade, le violoncelle, les copains et la lecture des journaux.

Vos parents suivaient-ils attentivement vos études ?

 
Ils m’obligeaient à être toujours plus exigeant. Même si j’avais eu une très bonne note, ma mère, tantôt bibliothécaire, tantôt professeur de sciences naturelles et de maths, me faisait refaire mes rédactions. Mon père, haut fonctionnaire, ingénieur, me donnait des trucs très durs en maths, de telle sorte que je n’avais jamais le sentiment d’être bon, mais j’aimais bien.

Avaient-ils la même attitude avec vos frères et votre sœur ?

 
Oui, mais j’étais le plus jeune et peut-être le plus docile. Mes frères et ma sœur n’ont pas continué après le bac. Ils ont construit un parcours plus original, moins dans le moule.

Vous avez marché dans les pas de votre père…

 
J’ai surtout été aidé par mon père. Mais je savais que je n’arriverais jamais à faire comme lui. D’abord parce qu’il a été résistant à 16 ans et a fait la guerre très jeune. Ensuite, parce qu’il a fait maths sup-maths spé en un an, avant de rentrer à Polytechnique. C’est pour cela que je n’ai pas choisi la prépa. Cela me faisait peur.

Quelles études avez-vous suivies ?

 
J’avais découvert Freud à 17 ans et je me suis dit que la psychanalyse était l’une des choses les plus intéressantes qui soit. J’ai choisi médecine. Et dès le 1er jour, j’ai vu qu’il s’agissait d’apprendre par cœur alors que j’aimais les raisonnements. Je me suis demandé ce que je faisais là, jusqu’à ce qu’une professeure dise que le meilleur de l’amphi pourrait entrer à l’École normale supérieure. Mon père m’a fait bosser. Comme il m’a ensuite entraîné pour l’ENA [École nationale d’administration]. Pour que je me dépasse, il répétait avec une infinie bienveillance que je n’étais pas à la hauteur. Jusqu’à la veille du grand jour, où il considérait que c’était parfait ! C’est assez rare d’avoir un père qui puisse vous préparer à Normale Sup et à l’ENA. J’ai eu beaucoup de chance.

Est-ce cette conscience de votre chance qui vous a rendu sensible aux inégalités ?

 
C’est parce que je suis la preuve vivante que les chances sont tout à fait inégales que je suis à fond pour l’égalité des chances. Je ne vois pas pourquoi on demande à certains de faire 3 fois mieux avec 3 fois moins. Je n’aurais pas fait de telles études si je n’étais pas tombé dans le milieu qui était le mien. En plus, j’ai ajouté le privilège au privilège à Normale sup : j’étais payé pour étudier !

Vous avez tout de même travaillé dur…

 
Sans relâche à partir de 18 ans. Je faisais 3 choses à la fois, avec la peur de ne pas bien faire. À 20 ans, j’étais élève à l’ENS, en 3ème année de médecine et en licence et maîtrise de biochimie. À l’époque, pour dire que les Normaliens étaient bien meilleurs que les autres, on les obligeait à faire la licence et la maîtrise en un an. Depuis ce moment-là, le travail n’a pas cessé d’être le meilleur calmant des angoisses. C’est un antistress.

Aviez-vous déjà le goût de l’engagement associatif ?

 
Celui de l’engagement politique d’abord. À 17 ans, je me suis inscrit au Parti socialiste. J’avais envie de m’engager à gauche parce que je n’aimais pas la misère, depuis tout petit. C’est très bateau. Je pense avoir gardé la même indignation, même si elle se formalise autrement aujourd’hui. À l’époque, notre liste a fait 17 % aux municipales. J’avais déjà échoué aux élections des délégués de classe au lycée. Ils avaient préféré le plus sympa, le plus rebelle, celui qui avait un blouson de cuir, à celui qui avait une tête de premier de la classe. Je ne me suis plus présenté depuis.

Quels conseils donnez-vous aux jeunes que vous rencontrez ?

 
Je leur dis que grandir, c’est être capable de cultiver ses rêves et de rendre féconde sa capacité d’indignation, alors que tout le système, notamment le système éducatif, est fait pour les convaincre du contraire. Qu’il faut utiliser ce que la société vous donne comme études, comme argent, comme moyens, pour les mettre au service de ses idéaux. Je crois que l’une des choses les plus castratrices de notre système est de considérer que l’on ne pourra travailler que dans la filière dans laquelle on s’est formé. Cela met tout le monde dans l’angoisse. Il n’y a pas de réussite sans garder sa capacité d’idéal. Ceux qui disent qu’ils réussissent dans le cynisme ou la capitulation face à l’envie de changer le monde ne m’inspirent pas un grand respect.

Ce sont vos idéaux qui vous ont mené à militer ?

 
Ma 1ère expérience de bénévole, je l’ai vécue parce que j’étais amoureux d’une jeune fille hyper-catholique, hyper-engagée, qui s’occupait de jeunes adultes trisomiques pendant les vacances. J’avais 20 ans exactement et j’ai adoré cela. Emmaüs, c’était 10 ans plus tard. J’y suis arrivé par une rencontre, avec Gérard Prigent, qui travaillait avec Bernard Kouchner. J’étais déjà en quête d’humanitaire, depuis longtemps.

La rencontre avec l’abbé Pierre vous a-t-elle marqué ?

 
J’ai milité longtemps sans le rencontrer vraiment. Ensuite, en devenant président de l’association, j’ai eu une relation très exceptionnelle avec lui. Mais ce qui m’a surtout marqué chez Emmaüs, c’est l’absence de barrières entre personnes de milieux sociaux très différents. J’étais plutôt embringué dans un truc où l’on pense que seuls ceux qui ont des diplômes et de "bonnes positions" valent la peine. À Emmaüs, c’était l’inverse. On me disait : "Peut-être que malgré tes diplômes, on pourra tirer quelque chose de toi !" C’est arrivé au bon moment. Avant que je ne sois puant.

La "grosse tête" vous menaçait-elle ?

 
Avec les diplômes, la reconnaissance, le Conseil d’État, la haute fonction publique, il y a une engeance qui vous pousse. Je l’avais déjà ressentie pendant mon externat. Une dame est arrivée en pleine nuit. Elle se tordait de douleur. J’étais de garde et j’ai dit à l’infirmière : "Rien ne presse, on va l’installer et aller boire un café." Je me revois me laver longuement les mains, tourner la tête et dire : "Alors ma p’tite dame, qu’est-ce qui vous amène ?" Là, j’ai pensé que cela devenait dangereux. C’est un combat permanent. Je considère que, pas plus qu’un autre, je ne suis à l’abri de cette maladie qui s’appelle la suffisance.

Si c’était à refaire…

 
Je partirais davantage à l’étranger. Je n’ai passé que 6 mois aux États-Unis, en stage à l’ENA. Il faut plus d’échanges dès le collège et le lycée. Les internats d’excellence devraient être aussi en Europe. À l’étranger, vous pouvez prendre des risques et faire vos preuves indépendamment des étiquettes qu’on vous colle. Cela vous fait prendre conscience du fait de ne pas vivre dans un univers fermé. Notre société définit des univers considérés comme complets parce qu’ils sont fermés. Alors qu’ils sont justement incomplets pour cette raison. C’est pour cela que je n’avais aucune contribution à apporter au débat sur l’identité nationale.

Biographie
1963
: naissance le 6 décembre à Suresnes (92).
1980 : il découvre Freud, la psychanalyse, et se rêve analyste.
1981 : il décroche son bac C (actuel bac S) avec mention bien.
1983 : il suit sa troisième année de médecine, passe sa licence et maîtrise de biochimie et entre à l’École normale supérieure. Il vit sa première expérience de bénévole en s’occupant de jeunes adultes trisomiques pendant les vacances.
1988 : il entre à l’École nationale d’administration.
1993 : il devient secrétaire général adjoint du Conseil d’État et commence à militer dans le mouvement Emmaüs.
2002 : il entame 5 ans de présidence d’Emmaüs France.
2007 : il est nommé haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté par le président de la République.
2009 : il endosse un second costume gouvernemental et devient également haut commissaire à la Jeunesse.
Mars 2010 : il quitte ses fonctions gouvernementales et prend la présidence de l’Agence du service civique
 


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