Reportage

Métiers du BTP : chez les bâtisseurs de la ligne 15

Portfolio_Ligne 15_Clamart_7 h du matin © A.-C. Compan/H. Lucas_PAYANT
À Clamart, sur le chantier de la ligne 15, la sécurité est la priorité des priorités, chaque ouvrier doit enfiler des bottes, mettre des lunettes, un casque de sécurité, des oreillettes antibruit. © Anne-Charlotte Compan/Hans Lucas
Par Paul Conge, publié le 02 mars 2017
1 min

Un tunnel de 33 kilomètres. 16 stations. Des milliards d'euros investis. La ligne 15 Sud, l'un des quatre futurs métros souterrains du Grand Paris Express, est un chantier colossal. Elle ouvrira fin 2022 et marquera un arrêt à la gare de Clamart (Hauts-de-Seine). Depuis juin 2016, ouvriers et ingénieurs y excavent le sol chaque jour.

Le coffreur : montage de murs en béton

Sur le site de Clamart, il touche un peu à tout. Lui, c'est Faria, 59 ans, coffreur polyvalent. Il est spécialisé dans le montage de murs en béton. Et il est catégorique : "Dans le bâtiment, il n'y a jamais deux choses pareilles". Casque et lunettes de sûreté, il manie des outils comme la scie à métaux, conduit des nacelles ou cloue du contreplaqué pour fermer les coffrages, qui servent de moule au béton. Ce Portugais a quitté l'école en cinquième : "Je voulais fabriquer quelque chose de mes mains." Ouvrier et fier de l'être, il s'attriste que "les métiers manuels soient dévalorisés". "Les jeunes sont toujours bienvenus. Ici, on n'est jamais une roue de secours."


L'opérateur : extraction et analyse de la boue

Du haut de la centrale à boue, Raphaël, 40 ans, a une vue panoramique sur tout le chantier. Ici, d'énormes pompes plongent dans le sous-sol, y aspirent la terre, avant de la stocker dans de gigantesques silos. "Elle remonte par ici, où les tamis séparent les cailloux, le sable, et la "bonne boue" repart en dessous, en circuit fermé", crie l'opérateur, à cause du bruit assourdissant des machines. "On aide un peu avec le jet, parce que l'argile colle énormément aux grilles." Deux heures pour atteindre 42 mètres de profondeur. Pendant ce temps, tout l'échafaudage tremble.

Avec une grosse "louche", il vérifie la qualité de la boue qui continue de monter. Cette matière, une fois filtrée, sert à faciliter les forages, en lubrifiant le trépan. Et lorsqu'un des engins tombe en panne ? Lui ou son binôme sort ses outils et répare le matériel récalcitrant. Des réflexes, il en a, après dix ans de chantiers. Récemment, il œuvrait sur ceux d'une des tours de la Défense à Paris et d'un tramway à Nice. Rien ne l'y prédestinait. Titulaire d'un CAP [certificat d'aptitude professionnelle] en peinture automobile, Raphaël a tout "appris sur le tas, comme tout le monde".


Les compagnons : réparation, entretien et démolition

Trois "compagnons" découpent, en début d'après-midi, les excès de ferraille sur un coffrage. Au fil de la journée, les tâches de ces ouvriers professionnels varient : réparation, entretien, démolition... "La seule vraie contrainte dans ce boulot, c'est la météo", lance Faria, sentant la pluie arriver. Son voisin poursuit : "On n'a pas le temps de s'ennuyer. Les journées passent vite." Derrière, d'énormes grues enfoncent leurs pelles mécaniques dans les sous-sols.


L'ingénieure méthodes : défintion des budgets et conception des plans

Depuis les bureaux de la base-vie, le QG du chantier, loin de l'agitation des travaux, Désirée, 31 ans, ingénieure méthodes, ne reste pas cantonnée devant son ordinateur. "Je dois être près du chantier, vérifier que ce qu'on a pensé sur des plans se concrétise correctement dans la réalité", explique cette double diplômée de l'université polytechnique de Valence, en Espagne, et de l'ESTP [École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie] à Paris.

Suivant l'avancement du chantier, elle porte plusieurs casquettes. En phase commerciale, avant les travaux, elle définit les budgets, les moyens, les cadences, pour répondre à la demande du client. En phase exécutive : "On conçoit alors les plans d'installation et les outils sur mesure : coffrage, butons, portiques... Où installer la nacelle ? Comment circulent les camions ?" Du travail de synthèse. "C'est merveilleux de voir se matérialiser ce qu'on a pensé sur des plans."

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L'ingénieur principal en génie civil : respect des plannings et suivi des méthodes

Ingénieur principal en génie civil, Lukasz (à gauche), 33 ans, a une jolie formule pour décrire son travail : "Chasse-neige. Je déblaye l'autoroute pour que le chef d'équipe n'ait pas de problème en poursuivant les travaux." De son bureau au troisième étage de la base-vie, orné de multiples plans de coupe, il assure le suivi des méthodes et des finances. Il veille au respect des délais du planning et doit composer avec les imprévus. "Une fois, le béton est arrivé trop granuleux. On a pris deux heures de retard. Il n'y a jamais de garantie qu'on sera dans les temps."

Lucasz s'occupe aussi des contrats avec les fournisseurs. Si, aujourd'hui, il est maître d'œuvre de la colossale ligne 15, à ses débuts, il n'a pas hésité à mettre "les mains dans le cambouis" : "Lors de mes stages de manœuvre, je faisais le nettoyage de chantier, du bricolage, du coffrage..." Il a, auparavant, construit des infrastructures en Pologne, tels des ponts et des chaussées. Il en est fier. "Quand un chantier est abouti, et qu'on voit le résultat, c'est difficile de croire qu'on a vraiment réalisé ça."


Le chef bâtisseur : supervision du travail des compagnons et des chefs d'équipe

Chef bâtisseur, José [avec les gants] supervise le travail des compagnons et des chefs d'équipe. "Je définis, avec un conducteur de travaux, les moyens à mettre en œuvre : la quantité de coffrages, l'effectif et le budget à allouer...", énumère le quarantenaire. "J'ai aussi un rôle de management avec mes chefs de chantier." Cet après-midi, les yeux rivés sur le plan, il contrôle les finitions d'un coffrage manuportable [ne nécessitant pas de moyen de levage mécanique].

En plus de diriger les ouvriers, il est responsable du matériel : béton, pompe à béton, mini-pelles... "Je m'assure qu'on respecte les règles de sécurité." Et les risques et les aléas ne manquent pas : "Récemment, on a dû décaler la grue, parce qu'elle surplombait une voie de la SNCF... "


L'agent de proximité : lien entre chantier et riverains

D'elle, on dit qu'elle est "les yeux et les oreilles de la Société du Grand Paris". Gilet jaune sur les épaules, Élodie, 30 ans, agent de proximité, fait le lien entre le chantier et les riverains. Concrètement ? Elle récolte leurs doléances, leurs questions, "et, souvent, leurs réprimandes". Car le chantier génère des nuisances. Dans le quartier, "les commerçants sont les plus touchés, notamment en raison du manque de places de parking. Certains riverains se plaignent également du bruit nocturne."

Son secret ? "Faire preuve de diplomatie !" Elle les informe, les rassure. Après un master en géopolitique à Paris 8, elle a finalement choisi un métier de la communication. Et l'opportunité de travailler dans le BTP lui révèle "le côté un peu mystérieux des travaux publics : vous saviez comment on construit un métro souterrain, vous ?"


Le chef d'équipe : organisation du planning quotidien et des missions à réaliser

Chef d'équipe sur le chantier, Mourad, 40 ans, muni d'un tachéomètre, calcule, par la distance, la hauteur d'un coffrage. Premier gradé sur le terrain, il rend compte aux chefs de chantier et aux maîtres bâtisseurs. Il a plusieurs compagnons sous sa responsabilité et possède plusieurs cordes à son arc. À la fois manager et technicien, il encadre une équipe et s'assure que celle-ci tient les cadences. Il organise le planning journalier. "Je briefe mon équipe sur les missions à réaliser, avec quels moyens et quels objectifs à atteindre", nous explique-t-il.

Mourad n'a pas le bac, mais il a obtenu le concours de l'Institut des travaux publics, puis une promotion, pour devenir chef d'équipe. Toutefois, les chefs d'équipe BTP ont en général un bac professionnel ou un BTS (brevet de technicien supérieur) dans le domaine des travaux publics ou du bâtiment.

D'autres métiers du bâtiment et des travaux publics

Chef de chantier
Grade au-dessus du chef d'équipe, le chef de chantier dirige toute une équipe. Un métier qui allie compétences humaines et techniques. Il suit l'avancement des travaux, en organise les tâches en fonction du planning prévisionnel. Toujours sur le terrain, il supervise et s'assure que la réglementation est respectée. Il est un relais entre l'équipe et la hiérarchie, qu'il informe de la bonne marche des travaux. Les secteurs des chantiers peuvent varier : naval, construction, rénovation... Pour accéder à ce métier, un BTS ou DUT (diplôme universitaire de technologie) sont souvent nécessaires. Quelques années avec la casquette de chef d'équipe sont indispensables.

Conducteur de travaux
Il coordonne et pilote les travaux du chantier. Présent du démarrage jusqu'à la fin des travaux, il a plusieurs rôles. Il gère l'administratif, étudie les plans des architectes et s'occupe des relations avec les fournisseurs et les sous-traitants. Il recrute et gère la main-d'œuvre. Secondé par le chef de chantier, il a la responsabilité de la gestion financière du projet. Ce métier s'adresse d'abord aux ingénieurs (Mines, Ponts et Chaussées...) mais aussi aux titulaires d'un BTS génie civil ou travaux publics, ainsi qu'à certains bacheliers professionnels. Dans tous les cas, une bonne expérience des chantiers est primordiale.

Sans oublier... l'adjoint au directeur de projet. À la gare de Clamart, Laurent représente le maître d'ouvrage. C'est lui qui parle du projet avec le plus d'emphase : "En quinze ans, on va recréer l'équivalent du métro parisien actuel. C'est le projet du ­siècle !". L'adjoint au directeur de projet, ici la Société du Grand Paris, a plusieurs titres d'ingénieur en poche : diplômé de Polytech Lille, spécialité génie civil ; diplômé du Centre des hautes études de la construction. Son métier requiert des compétences techniques : il connaît les ouvrages d'art et la sécurité ferroviaire. Ses missions sont aussi administratives : il gère les contrats avec les entreprises. Côté communication, les relations avec les élus locaux, c'est lui aussi ! Et bien qu'il ne manœuvre pas lui-même les grues, il tient aux liens avec le terrain. "Un tour de chantier vaut 10.000 comptes rendus !"

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