Métiers du luxe : le bijou dans tous ses éclats à la maison Chaumet

Place Vendôme, à Paris, la maison Chaumet. Au milieu des diamants, un trésor tout aussi précieux : le savoir-faire des artisans de la haute joaillerie française. De la chasseuse de pierres au sertisseur, de nombreuses mains participent à la création d’un bijou. Visite au cœur de l’atelier du luxe parisien.
Le designer : de l'inspiration... et du travail
Munie de ses crayons, Céline prépare ses croquis. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Pour imaginer les pièces de haute joaillerie, l'équipe de designers s'appuie sur un brief de tendances, élaboré par le département marketing et la directrice artistique. La base de travail des designers ? L'inspiration ! Elle vient des archives de la "maison", de livres de mode, d'architecture, d'expositions, de voyages...
Une fois le fil conducteur trouvé, les designers se munissent de leurs crayons ou de leurs feutres pour esquisser les premiers croquis (des "rendus rapides"). Céline, 25 ans, titulaire d'un DMA (diplôme des métiers d'art) art du bijou, estime avoir de la chance de vivre sa passion sur la mythique place Vendôme. "Mais rien n'arrive par hasard : le talent ne suffit pas, c'est surtout beaucoup de travail", nuance-t-elle.
Le responsable du studio : coordination des designers et des gouacheuses
Chaque document est conservé au département patrimoine. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Une fois la collection validée par la direction, vient un temps de recherche et d'échanges avec le service développement. Le bijou est créé sur ordinateur et une version en résine est imprimée en 3D.
"Les joailliers peuvent aussi être sollicités pour apporter leurs solutions techniques", souligne Gervaise, designer et responsable du studio. Bras droit de la directrice artistique, elle coordonne le travail de quatre designers et de prestataires externes, comme les gouacheuses. Ces expertes sont chargées de mettre en couleurs la version finale du dessin technique, à la gouache. "Il faut poser la lumière aux bons endroits pour donner de l'éclat et s'approcher des couleurs des pierres originales", explique Gervaise. Un huissier certifie ensuite le document, qui sera conservé au département patrimoine. Il faut compter six mois pour dessiner une collection, et rajouter un an de développement et création.
Le gemmologue : recherche et négocation des plus belles pierres
Le gemmologue doit connaître parfaitement les critères de sélection des pierres. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Françoise est gemmologue, autrement dit, spécialiste des pierres précieuses. Elle recherche les plus belles pierres, qu'elle négocie au meilleur prix selon un cahier des charges bien précis. Parmi les critères de sélection : la couleur, qui doit être naturelle et intense, la pureté, ou encore les inclusions, ces petites "impuretés" qui attestent du gisement d'origine de la pierre. "Il faut des années pour se mettre en tête toutes les pierres, les provenances, les prix... Il n'y a pas de référentiel comme pour les diamants", explique la chasseuse de pierres, qui a fait quatre ans d'études à l'Institut national de gemmologie, à Paris.
Munie d'une paire de précelles (pince à ressort) et d'une loupe, Françoise fait tourner chaque pierre au-dessus d'un plateau en daim et l'examine en jouant avec la lumière naturelle. Une jauge lui permet de mesurer la pierre au dixième de millimètre près.
Lire aussi : la formation à la gemmologie
Françoise doit savoir repérer les belles pierres au bon prix. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Impossible d’exercer ce métier si l’on n’a pas de bons yeux ! Autres qualités importantes : avoir des connaissances scientifiques (en chimie, en optique…) et savoir négocier… en français et en anglais. "Dans nos métiers, l’intégrité est indispensable, ajoute Françoise. Il ne faut pas avoir l’esprit de convoitise, il y a trop de tentations." La gestion du stress fait également partie du métier : "Nous sommes responsables de nos achats, qui correspondent à de grosses sommes d’argent."
L'authenticité de ce saphir de 17 carats a été vérifiée par le laboratoire. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
En haute joaillerie, la création peut parfois partir d'une pierre. Lorsqu'elle reçoit un négociant dans son bureau parisien ou qu'elle est sur un salon à Bâle (Suisse), Hong-Kong ou Tucson (Arizona), Françoise repère les plus beaux lots, bien placés en termes de prix. Elle envoie des photos à la directrice de la création, qui valide l'achat si les pierres l'inspirent ou correspondent à un projet de la collection à venir. Les pierres passent au laboratoire, lequel vérifie leur authenticité : le client qui achètera le bijou aura un certificat attestant de l'origine naturelle de la pierre. Ici, un saphir bleu de 17 carats, qui sera la pierre centrale du collier de la collection "Classiques".
L'apprenti-joaillier : patience et répétition du geste
Maxime travaille d'abord sur le maillechort avant de passer à l'or. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Maxime, 20 ans, est apprenti. Sa passion des pierres remonte à loin : petit, il collectionnait les fascicules Atlas sur les minéraux. Après un bac STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués), il opte pour le CAP (certificat d'aptitude professionnelle) art et techniques de la bijouterie-joaillerie à l'École de bijouterie joaIllerie de Paris, en alternance avec Chaumet. Il apprend à scier, limer, souder... mais aussi l'esthétique et la valeur des métaux. L'apprenti travaille d'abord sur du maillechort, un métal vil dont les propriétés sont proches de celles de l'or. "Mais rapidement, on lui confie des métaux précieux", précise Nicolas, son maître d'apprentissage. "Le but est qu'il soit autonome, en faisant le bon geste au bon moment."
Les qualités d'un bon apprenti : curiosité, motivation, sens du volume et beaucoup de patience ! Pour des gestes précis, les artisans travaillent "à la cheville" : cette pièce en bois pleine d'encoches qui dépasse de l'établi.
Le joaillier : l'artisan de la précision
Cinq joailliers travaillent à l'atelier. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Dans l'atelier, chaque artisan occupe une place bien précise. "Nos outils sont personnels et chacun a sa façon d'organiser son poste de travail", justifie Yann, 27 ans, l'un des cinq joailliers. À leurs côtés : deux sertisseurs, une polisseuse, trois apprentis et un gestionnaire d'atelier. Aiguilles, pinces, cire, loupe, bobines de toile émeri... font partie de la panoplie de ces artisans.
Une peau en cuir disposée sur les genoux du joaillier permet de recueillir les poussières d'or. Elles sont mises chaque soir dans une boîte à limaille. À la fin de l'année, cela représente plusieurs centaines de grammes d'or par personne qui pourront être réutilisés.
Lire aussi : la fiche métier "bijoutier-joaillier"
Yann, un des joailliers, insère le saphir au centre du collier. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
"Il faut aimer passer du temps sur les choses", confie Yann. Le jeune homme va ainsi consacrer près de quatre-vingts heures à ce collier, en partant du dessin transmis par le studio. "Le joaillier est celui qui fait les volumes, c'est-à-dire qui fabrique la structure en métal", précise-t-il. Par métal, il faut entendre de l'or (gris, jaune, rose) ou du platine, seuls utilisés pour les pièces de haute joaillerie.
Le collier compte 155 chatons, qui accueilleront autant de diamants. À cela s'ajoute la pierre de centre, un saphir bleu de 17 carats. Il faut d'abord réaliser une maquette dans un moule en silicone, puis émeriser les chatons (les faire briller). "Après leur avoir donné du poli, on les emmaille. Autrement dit, on les articule pour en faire une chaîne, poursuit Yann. Il faut compter environ trois jours, car il y a neuf ou dix étapes à réaliser."
Le vendeur : dernier maillon de la chaîne
Les vendeurs sont les représentants de la maison Chaumet et connaissent parfaitement son histoire. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Du studio à la boutique, en passant par le service pierres et l'atelier, tous les collaborateurs s'accordent sur le fait que la plus grande joie est de voir le bijou fini. Dans la boutique, les vendeurs sont les ambassadeurs de la Maison Chaumet. Ils connaissent son histoire sur le bout des doigts, ainsi que l'aspect technique de la création de chaque pièce. L'objectif ? Faire rêver le client. À ce poste, sourire, discrétion et confidentialité sont de mise. "On sort de la vente pure, on est dans l'intimité", explique Vincent, 25 ans, titulaire d'un MBA (Master of Business Administration) management et marketing du luxe. Il n'est pas rare qu'il passe deux heures avec un acheteur potentiel. "Il faut établir une relation de confiance. Il s'agit souvent d'un achat important, comme une bague de fiançailles." S'il maîtrise l'anglais et l'espagnol, Vincent estime que parler le russe, le chinois ou l'arabe littéraire est un atout supplémentaire.
L'installation des bijoux dans les vitrines se fait tous les matins. // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Chaque matin, Vincent procède à la mise en place des bijoux et des montres de la boutique de la place Vendôme. Ce jeune vendeur est le dernier maillon de la chaîne : avant d'être en vitrine, ce collier de la collection "Classiques" aura nécessité près de quatre-vingts heures de travail de joaillerie, trente-six heures de sertissage et vingt heures de polissage.
La directrice du département patrimoine : la mémoire de la maison Chaumet
Le musée de la maison Chaumet comprend des diadèmes, des broches, des boucles d'oreille... // © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Dès 1780, le fondateur de Chaumet, Marie-Étienne Nitot, a eu l'idée de conserver la mémoire de sa "maison". C'est ainsi qu'un musée privé, situé au-dessus de la boutique parisienne, rassemble un fonds de 55.000 dessins. "Des œuvres d'art à part entière !", confie Béatrice, directrice du département patrimoine. À partir de 1875, un fonds photographique est venu compléter les archives avec, encore, des milliers de documents. Tout aussi impressionnante, la collection de 556 diadèmes en maillechort, ces maquettes permettant aux clientes d'essayer une pièce avant sa fabrication en haute joaillerie. Sans compter les nombreux autres bijoux anciens : broches, peignes, boucles d'oreille... On retrouve dans ces pièces les thèmes naturalistes qui font le style et la réputation de Chaumet : fleurs, blé, lys, chêne... Ils nourrissent, encore aujourd'hui, l'inspiration des designers de la "maison".
Le régisseur des collections du musée : la conservation des fonds
Romain veille à ce que les collections circulent au mieux lors d'expositions.// © Mat Jacob/Tendance Floue pour l'Etudiant
Romain travaille aux côtés de Béatrice, directrice du département patrimoine. Historien d'art passé par les Arts déco (ENSAD, École nationale supérieure des arts décoratifs), il est le régisseur des collections du musée. C'est lui qui veille à la bonne conservation des fonds et à la circulation des collections lorsqu'une exposition est organisée.
Pour se former à ces métiers
Après la troisième ou après le bac, pour nombre de candidats –, le CAP (certificat d'aptitude professionnelle) art et techniques de la bijouterie-joaillerie est un passage obligé. Il se prépare en deux ans et propose trois options : bijouterie-joaillerie, bijouterie-sertissage ou polissage-finition. Une dizaine d'établissements français offrent cette formation en alternance (contrat d'apprentissage ou de professionnalisation).
Pour approfondir les techniques, comptez deux années supplémentaires pour préparer un BMA (brevet des métiers d'art) bijou, avec les trois mêmes options. Pour ceux qui envisagent d'évoluer en tant que designer dans un studio de création, il est possible de compléter sa formation par un DMA (diplôme des métiers d'art) art du bijou en deux ans. En début de carrière, le salaire tourne autour de 1.500 € brut.