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Richard Descoings : "Au lycée, ma prof principale me disait incapable de suivre dans les classes supérieures"

publié le 10 novembre 2011
1 min

Lycée à Louis-le-Grand, prépa à Henri-IV, Sciences po, ENA… À première vue, le directeur de Sciences po Paris a le parcours lisse des élites politiques. Rester sur cette impression serait se méprendre. Car ce haut fonctionnaire, qui a par ailleurs été l’un des artisans de la dernière réforme du lycée, ne fut pas toujours un premier de la classe… Rencontre avec celui qui s’est fait renvoyer de Louis-le-Grand pour mieux sécher les cours à Henri-IV.



Où étiez-vous au collège et au lycée ? Quels souvenirs gardez-vous de toutes ces années ?

J’étais à Paris en classe de sixième à Montaigne, un établissement qui se situe à côté du jardin du Luxembourg. Deux ans plus tôt, mes parents – mon père était médecin spécialiste de la tuberculose, ma mère était cadre dans l’industrie pharmaceutique – s’étaient saignés pour déménager du XVe au VIIe arrondissement afin que je puisse aller là, puis au lycée à Louis-le-Grand [un des meilleurs lycées de France, NDLR]. La sixième, pour moi, fut une révolution : je quittais l’école communale de garçons pour me retrouver au milieu de filles. Elles me paraissaient en avance sur tout et ultra-dégourdies. Cette époque, c’était aussi celle de l’ouverture au monde. Pendant les cours de français, on parlait de la bombe atomique, de la Palestine, de la guerre du Biafra… C’était sans doute un effet post-Mai 68.

Des années heureuses, donc…
Pas seulement. J’ai aussi le souvenir d’un univers très dur, de coups de béquilles, d’insultes homophobes… J’étais gringalet, je ne faisais pas partie des meneurs, et ce n’était pas agréable. J’en ai pas mal souffert. Je me souviens aussi d’une forme de violence vis-à-vis des profs : le jeu consistait à les faire pleurer, surtout lorsqu’elles étaient femmes et remplaçantes. Comme quoi, nous n’étions pas si différents des jeunes d’aujourd’hui !

Étiez-vous bon élève ?
J’étais bon en primaire, et moyen au collège. Mes parents étaient encore derrière moi : le dimanche, je devais subir des dictées de Chateaubriand par mon père. C’était insupportable, mais efficace ! En troisième, j’ai fait un test avec un psychologue scolaire, qui m’a dit que ce serait bien si j’arrivais jusqu’au bac, mais que je ne pourrais pas prétendre aller au-delà.

Cela ne vous a pas empêché de passer en seconde à Louis-le-Grand. Vous y êtes-vous plu ?
C’était l’enfer ! Ce lycée ressemblait à une caserne, on était éduqués avec une discipline de fer. Le jour de la rentrée, le professeur de maths nous a fait ressortir, puis mis en rang afin que nous entrions en file. Ça donne le ton. J’étais en section scientifique, et dans ma classe il n’y avait presque que des "brutes". Ce qui me frappait, c’est que, pendant la récré, les élèves discutaient encore des exercices de maths. Je me sentais complètement en décalage.

En cours, vous vous en sortiez ?
Pas vraiment. Beaucoup de mes camarades avaient une forme d’intelligence abstraite supérieure et ils ont terminé à Normale sup [l’ENS, École normale supérieure]. Ceux qui "ramaient" se rabattaient sur Polytechnique ! J’avais un camarade sur qui je copiais les exercices de maths, et lui pompait mes versions de latin. Mais il est arrivé un moment où je ne comprenais plus ce qu’il écrivait…

J’ai fini par me faire virer, car je ne suivais plus les matières scientifiques. Ma prof principale avait écrit sur mon bulletin : "Élève totalement dénué d’esprit de synthèse, incapable de suivre dans les classes supérieures." Être aujourd’hui à la tête d’une maison qui incarne l’esprit de synthèse [la note de synthèse est un exercice phare des étudiants de Sciences po], cela ne manque pas d’ironie !

Avez-vous vécu votre renvoi de Louis-le-Grand comme un échec ?
Pas plus que ça. Je suis passé en terminale littéraire à Henri-IV, ce n’était pas un drame. Il y avait moins la "folie" parentale d’aujourd’hui. Et puis, la hiérarchisation des filières était moins forte. À l’époque, on ne disait pas : "Si tu ne vas pas en S, tu es foutu", ce que je trouve totalement stupide.

Comment votre scolarité à Henri-IV s’est-elle passée ?
C’était l’épanouissement. J’ai découvert l’histoire, la littérature française… On avait philo tous les matins de 8 heures à 10 heures, et ensuite je séchais les cours. Avec des amis, on achetait un pain au chocolat sur la place de l’École polytechnique et on filait regarder les derniers films américains, les Fellini ou les Visconti au cinéma Les Trois Luxembourg, rue Monsieur-Le-Prince. La séance de la matinée était remplie de lycéens du quartier Latin.

Est-ce que vous vous plaisiez davantage dans cet environnement ?
Je n’étais pas non plus un élève modèle. Tout le monde trichait. Il faut arrêter de penser qu’avant, c’était l’âge d’or de la discipline. En latin, je faisais des devoirs entiers avec mon Budé [livre de versions et thèmes, NDLR] sur les genoux. Le prof se marrait, il me rendait ma copie et disait : "Descoings, vous êtes allé trop loin !"

Après votre bac, souhaitiez-vous déjà faire Sciences po ?
Oui, mais au dernier moment, je ne me suis pas présenté au concours. J’ai décidé de rester à Henri-IV en hypokhâgne pour une histoire d’amour. J’ai baratiné mes parents. Et finalement, cela m’a beaucoup plu. Pour autant, je n’ai jamais voulu faire Normale sup. À la fin de l’hypokhâgne, j’ai eu le concours de Sciences po. Mon professeur de philosophie m’a convoqué en me demandant de rester en khâgne, me jurant que Sciences po était un suicide intellectuel. Mais comme j’avais mauvais caractère, j’y suis allé quand même.

À quoi ressemblait Sciences po à cette époque ?
Cela n’avait rien à voir avec aujourd’hui. Déjà, c’était bien moins sélectif. On passait par une première année préparatoire, puis la scolarité durait 2 années, et non 5. C’était aussi très parisien : l’idée de passer un semestre hors de France n’existait pas. Sciences po était avant tout une antichambre de l’ENA [l’École nationale d’administration] : tout le monde ne parlait que de ça.

Surtout, l’IEP était un endroit où l’on "passait", on avait trois cours par semaine, il n’y avait pas de vie de campus. On travaillait peu… C’étaient des années de fête, je passais des heures à jouer à la belote dans un café en sous-sol de la rue de la Chaise. Et puis, il y avait le loden. Ce nom ne dit rien aux élèves d’aujourd’hui, mais à l’époque, tout étudiant de Sciences po se devait de porter ce manteau. Dès la rentrée, je m’étais précipité pour m’en acheter un. C’était pourtant immensément laid et rêche, mais il fallait avoir son loden pour "en être".

Aviez-vous pour objectif d’entrer à l’ENA ?
J’ai fini par me laisser convaincre, parce que tout le monde me disait que l’ENA c’était formidable. Et puis, à cette époque, servir l’État, c’était quelque chose ! C’était le début de l’ère mitterrandienne, les nationalisations, les grands projets… J’ai été admis à la troisième tentative.

Quels souvenirs gardez-vous de l’admission ?
Je garde un souvenir assez précis de mon grand oral. À l’époque, le jury était composé de 13 personnes. Je commentais un texte sur le rôle de l’instruction civique à l’école. Un membre du jury, assez âgé, m’a demandé si je connaissais d’autres enseignements scolaires du même acabit. Je voyais 13 paires d’yeux braquées sur moi, j’étais en panique, et j’ai répondu : "L’éducation sexuelle ?" Le monsieur est devenu tout rouge, et a bredouillé : "Monsieur, je voulais parler des leçons de morale !" Le jury s’est esclaffé. Je pense que j’ai été reçu à cause de ça.

Comment vos études à l’ENA se sont-elles déroulées ?
J’étais parti vivre près du métro Buzenval, dans le XXe arrondissement. J’allais en cours, je repartais, je ne restais jamais, et je connaissais très peu de gens de ma promo. Je passais énormément de temps au cimetière du Père-Lachaise à réviser mes fiches. À la fin, j’ai été reçu dans la "botte" [haut du classement qui permet d’accéder aux grands corps : Cour des comptes, Inspection des finances, NDLR]. Je suis allé au Conseil d’État. Personne de ma promo n’aurait parié sur moi. Le jour des résultats, quelqu’un est venu me voir en me demandant : "T’es qui, toi ?" Certains trouvaient que je leur avais volé leur place.

Vous avez beaucoup développé l’attractivité de Sciences po. Mais la sélection fait énormément de déçus. Que dites-vous à ceux qui ne sont pas pris ?
Je leur dis qu’il vaut mieux être déçu à 20 ans qu’à 50. Que rien n’est joué et, évidemment, qu’ils réussiront leur vie sans Sciences po… Après, j’ai un vrai souci avec notre sélectivité. Nous sommes arrivés à un tel degré que nous écartons forcément de très bons élèves qui auraient leur place à Sciences po. Cela n’est pas satisfaisant.

Propos recueillis par Jessica Gourdon
10 novembre 2011


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